LES SORCIERES DE L’ORIENT
Julien Faraut

Autour d’un bon repas, voici quelques vénérables dames qui devisent entre-elles. Ce sont les fameuses sorcières du titre, et elles cachent plutôt bien leur jeu ! Mais quand telle mamie se met à tirer de la fonte ou telle autre dirige l’entrainement d’une équipe de volley avec assurance, les sourires s’effacent pour faire place à une histoire poignante. Il y a peu, dans un débat en vidéo au sein du Bub sur le film 5ème Set, était évoqué le regret de ne pas voir davantage de fictions hexagonales racontant le sport. Pire, était décrit un mal cinématographique Français : tuer l’émotion au profit d’un réalisme et d’une précision quasi-documentaire, comme si c’était une sorte de canon de notre cinéma. Au cœur de Jeux Olympiques controversés au Japon, Les Sorcières de l’Orient est précisément un documentaire Français qui dépasse la fiction sur son terrain  : la saga d’une équipe féminine de volley-ball devenue nationale, puis championne du Monde et Olympique.

De manière ostensible, le réalisateur Julien Faraut prend ses aises en reconstruisant matchs et entrainements sur la base d’images d’archives, de mangas (inspirés dans les années 60 par l’épopée de cette équipe de volley) et d’électro-pop. Outre un indéniable aspect graphique, le résultat est une mise en abîme, entre l’absolue simplicité de ces dames, leur humilité, et leurs pouvoirs super-héroïques, frappant le ballon avec une telle force que celui-ci en est aplati (les similitudes avec le classique Capitaine Tsubasa – et donc sa filiation – sont bien entendu évidentes).

Sans mot dire, ces femmes se sont entrainées parfois jusqu’à l’aube six jours sur sept dans le cadre de l’équipe de leur usine, en plus de leur journée d’ouvrière (avant de devenir sélection nationale, l’équipe était tout simplement un club d’une entreprise de confection). Ce groupe féminin est devenu intouchable dans le monde entier durant six ans, des J.O. de Rio jusqu’en 1966. Pour parvenir à enchainer ces résultats, elles subiront un entrainement incroyablement intense sous la houlette d’un ancien soldat, survivant des jungles birmanes. Il n’aura de cesse d’atteindre leurs limites physiques et mentales, les privant de sommeil et leur imposant des exercices infernaux.

La force de ce documentaire est de parvenir, par ses dispositifs tant pop que manga, à faire céder le cadre historique pour mieux permettre à l’émotion de déferler, aussi vibrante qu’inéluctable, comme en témoigne la réaction des joueuses à l’issue de leurs différentes victoires. Chez les Sorcières, la magie du sport n’a jamais existé, seulement leurs sacrifices, plus ou moins consentis, leur sueur et leurs larmes. Héritières des destructions de la Seconde Guerre Mondiale, nées dans les décombres des bombes atomiques et pour la plupart orphelines, la portée politique et métaphorique de leur geste leur demeure cependant étranger. Pourtant, c’est sûrement de cette dimension symbolique dépassant largement le cadre simple du jeu dont elles ont été victimes. Possible qu’elles aient été la personnification d’une reconstruction et d’un état d’esprit farouche. Cependant derrière les allures tranquilles de ces grandes championnes, de grands mystères demeurent… Celui d’avoir accepté de souffrir à ce point pour un objectif qui n’était peut-être pas vraiment le leur, celui de considérer aujourd’hui ces sacrifices comme une nécessité et d’admirer celui qui les tourmentait… Bien sûr le contexte culturel Japonais, outre la dimension patriarcale de cette société corsetée, pourrait expliquer partiellement l’énigme, mais il reste insuffisant. Le sport permet le dépassement de soi et c’est ce spectacle en particulier qui est proprement fascinant. En arrière-plan se trouve bien souvent un contexte politique. L’histoire de cette équipe contient tous ces ingrédients et se montre tout simplement bouleversante..

François Armand

1h 44min | 28 juillet 2021 | France

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