AUTOMATA
interview

RevueSorti au tout début de l’année, le premier album d’Autómata impose d’emblée un style à la croisée des chemins psyché, post rock, prog, voire metal. Le disque au titre éponyme égraine ses notes tout au long de morceaux peu nombreux certes, mais capables de séduire les oreilles les plus paresseuses avec une facilité déconcertante. D’ailleurs pourrait-on croire que la notion d’efficacité s’applique aussi bien à de longues compositions vouées à l’errance et à la pensée voyageuse ? Par webcams interposés, Etienne (guitare) et François (claviers et guitare) reviennent sur la genèse du groupe, le post rock, les mystères de la composition et le rapport aux images.

François Armand : Autómata est né sur les fameuses cendres de Lovely Girls Are Blind puis (Lovely Girls Are) Sad. De cette aventure, commencée il y a plus de dix ans…

Etienne Ertul : Quinze ans plutôt…

F.A. : Quinze ans oui. Qu’avez-vous conservé et que laissez-vous derrière vous ?

E.E. : Ils ont en effet quinze d’existence. J’ai commencé à les suivre en 2006, à leur premier concert. Ils venaient de sortir une démo et un EP était en cours. Depuis il y a eu quatre albums des Lovely Girls. Moi j’ai intégré le groupe sur le quatrième, le dernier, le « Sad ».

François Lamouret : Effectivement, Etienne nous a rejoint début 2016 parce qu’à l’époque, David (batteur de Autómata, ancien guitariste et membre fondateur de Lovely Girls Are Blind) voulait arrêter le projet Lovely Girls. On connaissait Etienne car il venait jouer au même local de répétition que nous à Gennevilliers (92) avec Dream and I et Silent Whale Becomes A Dream. On avait assisté aux concerts des uns et des autres.

E.E. : On a eu des dates ensemble aussi, une avec Dream and I et une avec Silent Whale.

F.L. (s’adressant à Etienne) : Donc j’avais ton téléphone, je t’ai appelé et tu as répondu présent tout de suite ! Pour moi il n’était pas question de refaire appel à des petites annonces. Il fallait absolument que ce soit quelqu’un de notre entourage pour qu’on parte tout de suite du bon pied. On avait les mêmes influences aussi, donc ça a très vite démarré, et on peut dire que Lovely Girls Are Sad, c’est déjà un peu un autre groupe. Etienne a mis une patte importante puisque quasiment tous les morceaux de l’album partent d’un riff d’Etienne.

E.E. : Quasi ouais, sauf l’un des morceaux ou c’était plutôt ton clavier (« Orca »).

F.L. : Voilà ça fait trois des quatre morceaux que compte l’album qui partent d’Etienne. Dans Lovely Girls Are Blind, la patte de David était extrêmement importante. Il apportait un son, il était d’ailleurs réputé pour passer une demi-heure à régler ses pédales avant chaque répétition (rires). Ensuite Sébastien est parti, et là ça va répondre un peu plus à ta question, qu’est-ce qu’on a souhaité conserver, qu’est-ce qu’on a souhaité laisser derrière nous. Sébastien avait un problème d’agenda, c’était compliqué. Bref ce sont des raisons personnelles qui l’ont fait quitter le groupe après plus de dix ans passés ensemble, mais il y avait quand même ce truc qu’on commençait à titiller un peu avec Etienne et Jean-Baptiste (bassiste, membre fondateur de Lovely Girls Are Blind), en lui disant « écoute, il faut arrêter le DIY ». C’est parti de là aussi un peu. C’est-à-dire que jusqu’à son départ, Seb voulait tout gérer lui-même. Il gérait l’enregistrement, le mixage, le mastering, avec je crois beaucoup de talent pour un amateur. Et Etienne est arrivé avec son expérience Silent Whale, qui était beaucoup plus professionnelle, et ça nous a donné une impulsion pour sortir du DIY et donner un aspect plus pro à notre production, ce qui, je crois, est nécessaire dans le genre instrumental qu’on pratique.

E.E. : C’était une manière de tirer ce projet vers le haut, vers la professionnalisation au niveau de la production, des compos tout ça…

F.A. : Le projet reste pourtant fondamentalement le même, l’évolution se situerait plutôt au niveau de l’intention. Vous fermez une parenthèse et vous en ouvrez une nouvelle. Repartez-vous sur de nouvelles bases ?

E.E. : Une parenthèse non, c’était vraiment une transition. C’est un peu comme des marches d’escalier, Lovely Girls Are Blind en était une première, Lovely Girls Are Sad une deuxième, et aujourd’hui Autómata avec une production plus pro. Ca s’est fait au fur-et-à-mesure, on n’est pas passé du « Do it yourself » au pro d’un coup comme ça du jour au lendemain.

F.L. : Plus qu’une continuité, j’y vois moi une marche très haute, et ce n’est pas pour faire injure à Seb qui par ailleurs reste un très bon ami. Seb était très influent dans les compositions et il nous emmenait dans des directions qui étaient beaucoup plus prog. Il a un jeu de batterie beaucoup plus complexe que celui de David. Alors on retrouve certainement des tics mélodiques de Lovely Girls dans Autómata, ça c’est difficile à dire pour nous, mais la marche est clairement plus haute. Cet album est celui dont je suis le plus fier, de très loin, en grande partie en terme de production, mais pas seulement. On a mûri aussi en terme de composition.

F.A. : Lorsqu’on parle de post rock, la référence à Mogwai s’impose. On peut penser qu’il y a une filiation avec Autómata, mais peut-être pas en fait ? Est-ce que c’est une référence que vous partagez au sein du groupe ? Il me semble de toute façon qu’Autómata est un projet qui se démarque pour peu qu’on y prête une oreille attentive. Est-ce un questionnement au sein du groupe de savoir comment tuer le père ? Mogwai est une référence un peu écrasante…

E.E. : Je dirais que oui, les racines post rock sont là. Avant que je rejoigne le groupe, c’est vrai qu’on discutait pas mal avec François d’une volonté de sortir de cette étiquette post rock. Même en guitare quand on fait des longues lignes avec du delay, des choses comme ça, on essaye de sortir de ce carcan. Moi naturellement, je suis souvent amené à utiliser le delay, je suis attentif à notre sensibilité du moment quand on compose, ça nous inspire mais c’est bien aussi de savoir s’en détacher, petit à petit. Après je trouve que la racine post rock, elle est toujours un petit peu là, malgré tout, assumée !

F.L. : Le courant post rock est un petit courant, il n’y a pas beaucoup de groupes. En tout cas, il n’y a pas beaucoup de groupes qui ont émergé, qui ont connu la célébrité telle que la connait Mogwaï. C’est à peu près les seuls survivants. Il y a Explosion in the Sky, je ne sais même plus ce qu’ils font. Godspeed, ils ressortent des albums après une longue absence mais ils m’ennuient. C’est une mouvance qui, comme le trip-hop, a un peu disparu des radars. Comment tuer le père ? J’essaie vraiment de le tuer, mais c’est compliqué, parce que quand tu fais du rock instrumental, et si tu fais du rock instrumental minimaliste, comme ce que l’on fait, tu es immédiatement rattaché à l’étiquette post rock. En même temps on essaie de s’en démarquer comme le dit Etienne. Ca peut passer par des barrières qu’on s’impose. Etienne l’a dit, il adore le delay, et le delay ça fait passer une émotion à la guitare qui est directe. C’est à la fois dur de s’en passer pour cette raison-là, et en même temps, ça a été trop entendu je pense. C’est en s’imposant ce type de barrières qu’on arrive à sortir du carcan purement post rock avec cette alternance de plages calmes et de passages bourrins. Je crois et j’espère qu’on a réussi ça sur notre premier album.

F.A. : Est-ce que vous aviez des albums en particulier dans les oreilles au moment où vous composiez ? Ou est-ce que vous vous êtes retrouvés avec une feuille blanche au niveau des intentions de départ ?

E.E. : Sur cet album, c’est parti souvent des mélodies de clavier que François proposait. Il y avait souvent une petite structure couplet-refrain. Ca durait peut-être une minute. On partait souvent de ça et on développait.

F.L. : Sur « Verdik », c’est une ligne de guitare que j’ai amenée, mais ensuite le morceau dure neuf minutes donc tout le monde a participé au final… Et puis il y a « 3×3+5 » qui lui est parti clairement de la ligne de basse de Jean-Baptiste.

E.E. : Un truc qui avait été composé à la base pour Lovely Girls d’ailleurs. Et « Tanger », ça faisait trois ans qu’on avait commencé a travaillé dessus.

F.L. : Avec Seb.

E.E. : Oui il y avait Seb aussi à la batterie initialement. On avait commencé tous les deux, François. J’avais cette idée de nappe ambiant sur le début du morceau, parce que j’avais fait découvrir à François un groupe ambiant, Hammock. Il a beaucoup aimé et c’est un gros coup de cœur. Sur ce morceau-là, on est parti là-dessus. Il y a du seventies, du Pink Floyd… Ce morceau aussi à son identité.

F.L. : Mais pour répondre à ta question sur ce qu’on a écouté au moment de la composition, ça va sembler étrange, mais en fait, il n’y a guère qu’Etienne et moi qui discutons de la musique que nous écoutons dans le groupe, et même pas si souvent d’ailleurs. En même temps, on a cette base commune très forte, et c’est là qu’on est obligés de citer de nouveau Mogwai !

F.A. : Il y a certains auditeurs qui tirent leur plaisir de la capacité d’une musique à approcher la transe. La musique instrumentale est un bon moyen pour cela, et indéniablement Autómata fait cette musique-là : finalement très viscérale. Est-ce que vous êtes conscients de cet effet-là ?

F.L. : L’effet de transe ?

F.A. : Oui autour du riff, assez simple finalement, avec des répétitions comme un mantra. Est-ce quelque chose que vous conscientisez ?

E.E. : Oui un peu. C’est en lien avec ce que j’écoute beaucoup. Je me dis que la musique, il faut la laisser s’exprimer. S’il y a un beau riff qui ne tourne que deux fois, je me dis que c’est dommage. Il pourrait sonner dix fois en boucle, je suis convaincu quasiment que ce serait beau, parce qu’au moins ça s’exprime.

F.L. : Ce que dit Etienne fait écho à un très bel album que je viens d’écouter de William Basinski (Lamentations). C’est assez sidérant car ces morceaux sont faits de boucles répétées sans aucune altération. La boucle est tout le temps répétée exactement de la même manière. Il n’y a pas d’arrangements qui se développent autour de la boucle, il n’y a QUE la boucle. On atteint cet état de transe, alors qu’il n’y a pas du tout de beat, comme dans la techno, qui est sans doute le mouvement qui permet le mieux ce genre de sensations. Et j’entends ce que dit Etienne, sur l’idée de la répétition ; mais en même temps toi et moi on est les deux à avoir une approche un peu prog des morceaux. Cette approche progressive pourrait nuire à cette idée de répétition conscientisée et assumée. Parce que l’idée du prog, c’est aussi qu’il y a plein de ruptures. Du coup les morceaux on pourrait peut-être les analyser plus comme une suite de riffs qui vont être enrichis à chaque fois un peu plus. Pour le coup, je pense que, dans Autómata, on aime l’idée d’arrangement et de richesse d’arrangement autour d’un même riff, pour le mettre en valeur, pour le transcender un peu et pour nous transcender nous. En revanche, on aime bien aussi l’idée de pouvoir casser ces riffs-là pour pouvoir arriver sur d’autres mélodies, qui elles aussi vont être répétées et arrangées de manière différente pour les mettre à chaque fois plus en valeur. Après il y a en effet une vraie question qui se pose par rapport à la longueur des motifs qui se répètent. Bon ben ça c’est un truc qu’on négocie entre-nous, à quatre, à chaque fois. Est-ce qu’il faut le jouer quatre fois, six fois, huit fois… combien de fois a-t-on eu ce questionnement ? Donc il y a l’aspect un peu progressif, autour de l’arrangement avec l’idée de rupture, et en même temps il y a l’idée de répétition qui est totalement assumée.

E.E. : Oui je crois qu’il y a des morceaux sur cet album où j’aurais aimé que des motifs se répètent encore plus.

F.L. : (rires) C’est toujours une histoire de négociation !

F.A. : Dans la musique instrumentale il y a l’idée que les instruments se substituent à l’interprète, et qu’ils auraient des choses à dire. Aviez-vous des émotions en particulier à transmettre à travers les différents morceaux ? Est-ce que ce sont des choses que vous avez comprises à la fin du processus créatif ?

E.E. : Wahou (rires). Bonne question : est-ce qu’on veut faire passer un message ?

F.L. : Ces dernières années, j’ai beaucoup plus composé au piano qu’à la guitare. Je pense que le piano est l’instrument le plus riche qui existe. J’ai besoin de ressentir un frisson au moment où je compose quelque chose et ces derniers temps c’est le piano qui me permet ça. Même tout seul, si je ne ressens pas une vraie vibration je laisse tomber le truc. Après est-ce que je veux faire passer des sentiments particuliers ? En général, je pense que la composition est censée expurger une forme de frustration. Je suis quelqu’un d’heureux, mais je vois bien que la situation autour de nous est compliquée. Depuis que je suis né, je vois bien qu’il y a plein de choses pas cool du tout qui se passent autour de moi, mais pour autant je suis heureux. Il ne m’est jamais rien arrivé de grave, mais je pense que j’ai besoin de faire passer ce sentiment de peur, ou plutôt d’inquiétude, dans mes compos. De ces choses que je voyais comme étant très très sombres il y a plusieurs années, j’ai découvert récemment – et ça répond à ta question – qu’elles pouvaient faire naître de l’espoir. Si je parle de deux morceaux que j’ai amenés, « Church » et « Automate », il y a plein de ruptures en termes d’émotion sur ces morceaux. C’est-à-dire que les couplets sont plutôt très tristes et au contraire les refrains amènent quelque chose de plus positif. Est-ce qu’il y a un message à faire passer ? Non certainement pas. Dans « Verdik » il y a beaucoup de colère, mais je ne sais pas si c’est une colère dirigée contre quelqu’un ou quelque chose. Ou alors c’est quelque chose de purement inconscient, et si ça révèle quelque chose chez quelqu’un, j’en serais ravi. Si ça permet de détourner sa colère ou son anxiété vers quelque chose qui lui est propre, tant mieux.

E.E. : Je pense que quand on écrit ou on compose de la musique, on transmet un peu son inconscient.

F.L. : Etienne, toi tu es dans une école plutôt minimaliste où chaque note compte. On le sent quand tu composes. Il y a ce truc de faire passer quelque chose d’à la fois direct et très pensé.

E.E. : Je cherche beaucoup la simplicité. Depuis que je fais de la musique, je me dis que les plus belles choses sont souvent les plus simples. On peut faire de très belles choses en restant simple. On peut faire des choses très simples et qui seront très belles. Après, des fois j’essaie aussi de compléxifier. Mais quand on voit des guitar heroes qui font des solos de blues ou des choses comme ça, je ne fais pas ces choses-là ; bien que je pourrais (rires) ! Mais je me rends compte que ce n’est pas nécessaire. Bon tout en cherchant parfois aussi à le faire, j’avoue…

F.A. : Une question sur le cinéma ! Dans Lovely Girls, il y avait régulièrement des références au cinéma, notamment sur l’album Les Cendres.

F.L. : Oui.

F.A. : Est-ce que là, des images sont intervenues dans le processus créatif ? Ou des séquences, ou des films

E.E. : En fait non, on n’en discute jamais quand on est tous les quatre. Après peut-être que chacun individuellement a pensé à un film quand il a composé. Après il y a toujours un lien avec le cinéma. On est très influencé par le cinéma. La musique de film aussi, parce que déjà elle est instrumentale. Après oui, ça m’est arrivé sur un morceau de Lovely Girls Are Sad d’écrire des riffs de guitare en regardant un film.

F.L. : Non de mon côté je n’avais pas d’images dans la tête, mais c’est une bonne remarque et je me demande si on n’aurait pas intérêt, quand on compose, à se proposer des images de films, pourquoi pas en boucle. Ce que je peux dire par contre, c’est que j’ai fais récemment des propositions de samples voix, mais plutôt issus du monde du documentaire. Sur les trois morceaux du prochain EP, on se pose la question d’en avoir un avec un sample voix. Juste pour l’anecdote, il y a d’ailleurs Andy Cairns de Therapy! qui nous a offert très gentiment quatre phrases qu’il a dites pendant le premier confinement en mars 2020, postés sur leur page Facebook. Je ne peux pas en dire plus mais en tout cas j’ai trouvé ça très sympa de sa part. Donc on aura un featuring de classe internationale ! (rires)

E.E. : On pourra toujours dire qu’il a enregistré en studio avec nous (rires).

F.L. : Mais il y a une vraie question pour mettre en images notre musique. D’un côté, j’ai cette approche-là : « laissons parler l’imaginaire des gens », en même temps on peut très bien imaginer donner plus de puissance à ce qu’on compose, à ce qu’on joue, avec le soutien des images. Ce serait un vrai travail à faire pour trouver un juste équilibre, c’est-à-dire pas trop de signifiance et en même temps savoir souligner les émotions au bon moment.

E.E. : L’idée nous traverse l’esprit évidemment. En tout cas, notre musique s’adapte à l’image, j’en suis convaincu.

François Armand

Autómata  / Autómata (France | 29 janvier 2021)

 

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