La presse française a beaucoup reproché à Antiviral, le premier film de Brandon Cronenberg, d’être étouffé par ses influences paternelles. A de nombreux égards, on peut penser que cette critique n’est pas juste : il faut en effet comparer ce qui est comparable, tout artiste héritant, consciemment ou inconsciemment, des œuvres produites avant lui (*). Et cette mise en parallèle d’Antiviral et du premier film séminal de David Cronenberg, Frissons, qui déterminera pratiquement toute sa carrière, est là pour le montrer : Antiviral est plutôt une extension, voire une excroissance des obsessions de David Cronenberg plutôt qu’une pâle adaptation.
Qu’Antiviral ait le « malheur » d’avoir un quelconque rapport avec le travail de David Cronenberg ouvre forcément une voie royale à ses détracteurs puisque le lien est évident à faire et que le statut de Cronenberg père est aujourd’hui celui d’un auteur à part entière, devenu quasiment intouchable (cf. l’accueil dithyrambique reçu par le très hermétique Cosmopolis). Mais qui peut croire Brandon Cronenberg suffisamment naïf pour nier cet atavisme cinématographique ? On pourrait finalement prendre le contrepied des critiques négatives et saluer le courage du fils d’oser marcher dans un sillon auparavant creusé par son célèbre père, celui de la série B fantastique et horrifique. Car il savait, en s’engageant dans cette voie, qu’il allait s’exposer à une comparaison impitoyable.
Antiviral n’est pas dans la singerie, c’est un film qui interroge son héritage paternel et développe autrement des thèmes qui sont, malgré lui, imprimés dans l’inconscient de Brandon Cronenberg. D’ailleurs, en se penchant sur Frissons, on se rend compte à quel point le rapprochement avec Antiviral est à la fois légitime et pourtant trompeur. Car si l’on retrouve bien chez Brandon Cronenberg l’intérêt porté à la clinique, si cher à son père (le personnage principal de Frissons est médecin, celui d’Antiviral une sorte d’infirmier qui vend du rêve) et plus globalement à la maladie, ce qui fascine Cronenberg père c’est le corps dans ce qu’il traduit de plus extrême (violence et sexualité). L’enjeu du corps chez Cronenberg père est donc à l’extérieur, de l’ordre du visible : on voit donc dans Frissons des scènes érotiques (voire d’orgie), des peaux maltraitées… Tout ce qui se joue dans Antiviral est au contraire à l’intérieur du corps, la maladie se propageant sagement, lentement et ses manifestations étant souvent invisibles. Et quand elles ne le sont pas, c’est par un acte de la volonté, et non sous forme de stigmates (cf. le Dr Abendroth, interprété par l’excellent Malcolm McDowell, qui se greffe des bouts de peau comme d’autres se font des tatouages) et n’ont rien à voir avec les délires visuels du père (cf. le parasite qui s’agite sous la peau des victimes de Frissons).
Et puis les personnages de Brandon sont aux antipodes de ceux de David. Beaux, mais terriblement asexués, ils ne semblent jamais pouvoir vibrer de désir. Tandis que les visages et corps atypiques de Frissons sont secoués de frénésie sexuelle dès lors qu’ils se sont fait pénétrer (au sens propre) par le parasite. On distingue là aussi deux visions de société radicalement différentes. En 1975, David Cronenberg épinglait une société occidentale qui muait vers une forme de puritanisme hypocrite. En 2013 cette mutation est achevée et les corps tendent désormais à épouser un modèle standard imposé par la publicité et le star system. Cela se traduit dans l’imagerie des deux réalisateurs : Frissons déverse des couleurs sales (le parasite est même tout à fait dégoûtant) quand Antiviral se révèle extrêmement léché, très attentif à sa représentation. Dans les deux cas, Cronenberg père et fils dénoncent une société terriblement froide, mais chez David il y a une aspiration évidente à la révolte, au changement, tandis que chez Brandon, on n’y croit plus, l’abdication est consommée : même mis devant ses propres contradictions, l’être humain n’a plus d’autre volonté que de pousser son individualisme à l’extrême.bub
François Corda
bub
(*) Ce qui en l’occurrence est bien évidemment le cas de David Cronenberg : La Nuit des Morts Vivants de Romero est ostensiblement à l’origine d’un des plus beaux plans de Frissons, son premier film.
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Frissons de David Cronenberg (Canada ; 1h27)
Antiviral de Brandon Cronenberg (Canada ; 1h44)
Dates de sortie : 4 août 1976 / 13 février 2013