FOREST IN BLOOD
interview

RevueIl y a peu, un mémorable fait d’arme, par ailleurs chroniqué dans ces pages (lien), marquait un jalon dans le cheminement d’un groupe sans cesse en quête de nouvelles z’aventures. Sur ces entrefaites, les terribles forbans de Forest in Blood ont mis les tonneaux en perce pour l’occasion sur les terres du festival de l’Enfer. Qu’à cela ne tienne ! Le Bub n’étant pas du genre à se défiler, c’est donc sous des flots de rhum que nous plongeons avec simplicité dans une histoire racontée par Elie (chant), Hervé (guitare) et Pierre (basse, fraîchement arrivé de feu The Arrs), histoire d’un groupe rigolard et accueillant, fonctionnant à l’instinct et surtout entier, à la ville comme dans sa musique.

François Armand : Le thème de l’album Pirates, ce sont donc évidemment les… Pirates ! Ceux-ci élisaient leur capitaine à chaque course, avaient un système de rétribution sur les blessures reçues au combat…

Hervé : Égalitaire, oui exactement.

F.A. : J’imagine que cet aspect vous a parlé.

Hervé : Il y a un truc très égalitaire chez nous, c’est qu’on se distribue chacun zéro (rires). Il y a plusieurs choses qui sont importantes. Déjà Elie est un arrière-petit-fils d’esclave, et c’est vrai qu’il y avait beaucoup d’esclaves qui basculaient pirates, lorsqu’ils étaient libérés sur les bateaux. Pour nous, la piraterie, c’est la vraie liberté. Les mecs étaient hyper opprimés, et pendant quinze ans, vingt ans, ils ont eu la vraie liberté, ils ont vécu à deux mille pour cent.

Elie : D’ailleurs il y avait un pirate célèbre qui s’appelait Max, il était libre Max.

Hervé : voilà, alors on est aussi égalitaires dans les blagues (rires). Bon du coup ce truc-là d’être libre, de pouvoir faire ce que tu veux, ça nous correspond assez. Même si on a fait une pause de dix ans pendant laquelle on s’est occupé de nos femmes et de nos gosses.

F.A. : Il y a eu des utopies qui ont été créées par les pirates, par exemple Libertalia au large de Madagascar. Est-ce que vous, vous croyez encore aux utopies ? On a l’impression que ça n’existe plus de nos jours…

Hervé : Il n’y a plus que les métaleux qui ont encore un peu d’utopie sur cette terre. Entre ces crétins qui font du rap et qui ne pensent qu’à avoir du pognon, voilà. Pardon pour ceux qui aiment le rap…

Elie : Tu assumes tes propos.

Pierre : Il y a les écolos aussi.

Hervé : Oui mais on ne va pas se mentir, les métaleux sont écolos à fond ! La preuve on a du rhum sans glyphosate (à vérifier !).

Elie : Il y a l’esprit crew, l’esprit équipage. On est au Hellfest, tu vois les gens qui sont là, c’est comme une grande famille. C’est mon premier et je suis assez impressionné. Il y a de l’espoir !

F.A. : Concernant le hardcore, on constate en Amérique du Nord qu’il y a une scène très dynamique, y compris au Canada. Qu’est-ce qu’il manque à l’émergence d’une scène française ?

Pierre : Paris, c’est peut-être un peu impersonnel… Ca dépend du public.

Elie : Paris c’est un peu spécial. Il y a toujours eu plusieurs scènes. La scène parisienne, qui était à part, et la scène Rennaise. La scène Rennaise c’est Stormcore, Off the wall, Marc Saty, c’était plus fun. Nous, en tant que Parisiens, on était plus attirés par la scène Rennaise. Notre premier album, on l’a enregistré à Rennes. Le hardcore à Paris, c’est bizarre. Les Parisiens sont blasés. T’as tellement de concerts…

F.A. : Est-ce que c’est le public qui manque ?

Elie : Le public, il a trop de choix. Sur une semaine, il peut passer trois groupes de hardcore de fou.

Pierre : Oui le public peut être un peu snob, mais il ne faut pas généraliser non plus.

Hervé : Nous on a de la chance, on est des vieux, donc on a déjà tous les vieux qui viennent nous voir. On est un peu leur madeleine de Proust. Les jeunes, c’est plus difficile. Après nous, on a basculé un peu plus metal, on est moins hardcore.

F.A. : Mais c’était Apocalypse Now, votre projet vraiment metal ?

Hervé : C’est ça oui.

Elie : Pas vraiment parce que déjà, même pour Forest, on a toujours eu une base thrash. Sur l’album What a wonderful world, c’est que du speed. Nos grosses influences, c’est Slayer, Testament… On se revendique hardcore quand même, parce que c’est notre public, mais on a toujours une base thrash, on a toujours eu des métaleux à nos concerts. Après voilà, on s’en fout.

Hervé : C’est vrai que les gars aiment bien se taper dessus quand on joue, mais on a du slam et du chevelu. J’ai été longtemps chevelu moi.

Pierre : il y a un peu de tout, vu qu’on est un peu le cul entre deux chaises. Du coreux, du métaleu, tout le monde vient quoi.

F.A. : Du coup pourquoi avoir décidé de faire cet album Pirates avec le nom Forest in Blood ?

Elie : C’est assez compliqué, en fait on a fait une grosse connerie. Après le premier album, on a changé de label, on est allé chez GSM. A l’époque c’était le gros label européen. Les retours qu’on a eus quand on a envoyé les maquettes, ça a été « les gars c’est super bien mais il y a un problème. Forest in Blood c’est une grosse faute d’anglais, ça ne se dit pas en anglais tu vois. »

Hervé : Ca, rien à foutre.

Elie : Ouais. Mais il a dit que ça faisait trop black metal.

Hervé : C’est parce que t’es noir peut-être.

Elie : Peut-être. Il nous a dit donc : « ce serait bien de changer de nom ». Et nous, qu’a-t-on fait comme des couillons après deux semaines de tergiversation ? Lui a décidé… (rires)

Hervé : Ce qui est bien, c’est que comme c’est audio, on ne saura pas qui c’est.

Elie : Oui donc Hervé a décidé. En fait c’était une grosse connerie, ça a foutu une confusion de malade. On a perdu tout le public de Forest, pour eux c’était comme si on commençait un nouveau groupe. Par contre ça a bien marché en Europe. Apocalypse Now a fait une tournée avec Knuckledust et Backfire.

Hervé : On a fait un mois de tour.

Elie : Ca a été un carton.

Hervé : On a du se faire relivrer du merch pendant la tournée, c’était un truc de ouf. Mais pas en France. On a fait à peu près dix concerts.

Elie : Les gens n’ont rien compris. Je pense qu’on a mal communiqué sur ce coup.

Hervé : On s’en foutait.

Elie : Et donc c’est marrant ce qu’on dit, parce que le deuxième album d’Apocalypse Now, Empire’s wall, pour moi il est plus hardcore que metal.

F.A. : Après ces péripéties, reformation de Forest en 2011 pour Shameless & limitless. Il y a la devise de Paris dessus.

Elie : C’était pour réaffirmer notre allégeance au hardcore parisien.

Hervé : Après c’est vrai qu’avec les attentats qu’il y a eu à Paris, à un moment la devise de Paris, c’est la devise de Paris. Toujours à flot, j’y suis très attaché.

Anthony André : De moins en moins de monde la revendique, l’étiquette de parisien…

Hervé : Ouais mais moi, j’en ai rien à foutre.

Elie : Après, est-ce que c’est une bonne idée de revendiquer le hardcore parisien ? Pour moi tu fais de la musique, c’est ça le truc.

Hervé : Il dit ça parce qu’il habite à Soissons (rires).

Elie : Ouais exactement. Mais bon, est-ce vraiment une bonne idée ? Tomber dans le clanisme, le supporterisme ?

Hervé : Supporterisme, ça se dit ça ?

F.A. : Ce matin au café on s’est posé la question si vous étiez plutôt tribune Boulogne ou Auteuil ?

A.A. : Oui, est-ce que vous êtes des ultras ? Non mais les ultras revendiquent une image particulière…

Elie : Oui, moi je suis abonné au PSG depuis une vingtaine d’années.

Hervé : Voilà, mais c’est le seul (rires).

Elie : Mais justement, avec le temps on s’est dit qu’il fallait ouvrir.

Hervé : Tu veux ouvrir qui ? De quoi tu parles ? Bon où est votre verre ?

F.A. : Après, après !

A.A. : Bon ok, mais c’est vraiment parce que je suis faible.

F.A. : Et du coup la parenthèse Apocalypse Now, c’est clos ?

Elie : Ah oui oui

Hervé : Non, on ne sait jamais…

Elie : Franchement…

Hervé : Le deuxième album d’Apocalypse Now, c’est un des meilleurs boulots qu’on ait fait.

Pierre : Moi je trouve que c’était chiant avant mon arrivée.

Hervé : C’est pas faux.

F.A. : C’est quoi votre état d’esprit quand vous montez sur scène ? Il y a de l’adrénaline, de la colère ?

Hervé : Adrénaline, c’est de la drogue ?

Elie : Non non. Pourquoi de la colère ? Nous on fait de la musique.

Hervé : On est vraiment comme une famille. On se marre, on se fait des vieilles blagues, on se touche les burnes sur scène…

Pierre : Il y a toujours un peu d’adrénaline, forcément.

Elie : Mais pas de colère, on est là pour s’éclater.

Pierre : C’est un truc qui nous fait vibrer.

Elie : La seule pression que je mets, c’est que le public doit adhérer. Ils ont payé leur place, il faut qu’ils en aient pour leur argent.

Hervé : Qu’ils aillent au merch quoi… (rires)

F.A. : Si on revient sur l’atmosphère de l’album Pirates, y a-t-il une corrélation entre le fond de celui-ci et un certain climat que l’on sent dans l’air du temps… ?

Hervé : Avec les gilets jaunes par exemple ? On était en plein de dedans quand il est sorti. Je pense qu’il y a un vrai problème d’égalité dans notre pays. Ailleurs en Europe, j’en sais rien, mais ici il y a un vrai souci d’égalité et ça nous touche tous. On a tous des boulots différents, mais ça nous touche tous d’une certaine manière. Notre concept : on voudrait un monde plus juste. On a tous cette valeur. La valeur primaire c’est un monde républicain et plus juste. Sur scène on est que sur de l’allégorie hein. On n’est pas en train de dire qu’il faut aller voter machin ou truc, que la société ceci ou cela.

Pierre : Ce n’est pas notre créneau, on le laisse à d’autres.

Hervé : Nous on est dans l’allégorie, chez nous on est égalitaires.

F.A. : Est-ce qu’il y a un film de pirates qui vous a marqué ?

Hervé : Ah il y en a plein ! Moi c’est celui de Polanski. Il est fabuleux.

Elie : Moi pareil.

Pierre : Moi j’aime bien La Soupe aux choux, parce que le Glaude et le Bombé ce sont carrément des pirates. Ils sont jusqu’au-boutistes !

Elie : Moi c’est un dessin-animé : Cobra.

Pierre : Y avait Albator aussi.

Elie : Oui mais Cobra, il est plus vénère.

Hervé : Et il y avait toujours des meufs à poil.

F.A. : J’image qu’Apocalypse Now est une référence aussi pour vous, vous n’avez pas choisi ce nom par hasard…

Hervé : Ce film représentait bien ce que l’on voulait montrer à l’époque. On était vraiment vénères avec un premier album vraiment metal. A peu près deux cents riffs par morceaux. D’ailleurs on ne sait plus les jouer.

Pierre : Ca devait être pénible, heureusement que je ne suis pas arrivé à ce moment-là.

F.A. : Mais du coup c’est le chemin de Willard qui s’enfonce dans la rivière qui vous intéressait ?

Hervé : Sur le premier album qui s’appelait… Euh comment il s’appelait ?

Elie : In confrontation with God

Hervé : C’est une allégorie, il y en a qui sont croyants chez nous, mais pas trop. A l’époque ce n’était pas d’actualité, mais c’était sur comment se confronter avec ce qui se passe, face à toi. Les préceptes on va dire. Le deuxième c’était Empires falls, donc la chute des empires. C’est pas les pirates, mais c’est toujours notre ADN.

F.A. : Il y a l’idée pour les Européens de fuir le carcan des sociétés…

Hervé : Tout à fait, c’est exactement ça. Les gars étaient vraiment pauvres. De vrais sans-dents quoi. On les mettait sur les bateaux pour survivre. Les gars crevaient dedans, c’était l’horreur. Ils se retrouvaient Pirates, ils avaient les filles, l’alcool, la liberté, la teuf. En fait, ils arrivaient au Hellfest (rires). Pendant vingt ans, ils avaient une vie de dingue. C’était fabuleux, passer de la misère et de l’exploitation…

Pierre (imitant Renaud) : « la misère et l’exploitation »… Je la connais cette chanson… C’est Hervé Villard je crois.

Hervé : Bon voilà, ça nous correspond vraiment.

François Armand

Forest in Blood  / Pirates (France | 29 octobre 2018)

 

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