EMMANUEL MOURET
interview

RevueEncore dans la promotion de Mademoiselle De Joncquières, qui rencontre un succès inattendu en salles, Emmanuel Mouret a bien voulu répondre à nos questions par téléphone, le samedi 20 octobre. Au menu : intuition et crudité.

François Corda : Est-ce que vous êtes encore dans la promotion du film, plusieurs semaines après sa sortie ?

Emmanuel Mouret : C’est la sixième semaine, ces derniers jours je l’ai encore présenté et je m’étais chargé de beaucoup de choses au cas où le film ne marcherait pas. Bon il a marché, et c’est la raison pour laquelle j’ai été un peu débordé.

Tant mieux !

Oui, et puis en plus après votre appel je vais partir un peu à l’étranger dans des festivals.

Vous devez être très ravi aujourd’hui car Mademoiselle De Joncquières est votre plus grand succès au box-office non ?

Oui de loin ! On avait tourné autour de 250 000 avec L’Art d’aimer, et là on passe la barrière des 500 000 aujourd’hui donc on est très heureux.

Et comment analysez-vous le succès du film, étant donné que c’est un film d’époque, pas spécialement dans l’air du temps. C’est très écrit, le langage utilisé est vraiment littéraire…

On ne peut jamais anticiper ce genre de choses, c’est ça qu’on peut retenir comme leçon. Le film plaisait beaucoup à des exploitants mais je n’ai pas l’explication. Mais ce qui m’a le plus surpris c’est le côté unanime qu’on retrouve après les enquêtes de satisfaction à la sortie des salles. On avait un taux de 9,3/10 ce qui est assez incroyable quand on sait que mes films précédents partageaient beaucoup.

Caprice avait moins divisé il me semble non ?

Oui mais c’était une grosse déception pour le producteur parce qu’en salle ça avait été atone. Ca n’était pas un échec mais ça n’avait pas marché non plus. Quand c’est atone, pour les producteurs, c’est décevant.

De toute façon les explications qui viennent après le succès d’un film ne servent jamais parce que les calculs ne servent pas à grand-chose, à part peut-être pour les studios américains qui font des remakes, des analyses, des courbes etc.

Pourquoi cette fois-ci vous avez souhaité réaliser un film d’époque alors que toute votre œuvre s’ancre dans le contemporain ?

C’est une initiative de mon producteur qui m’a encouragé à aller vers  cette époque, c’était plus une intuition de sa part que de la mienne. Et puis il y avait ce récit de Diderot que je connaissais très bien.

Le casting m’a semblé très surprenant au départ… C’est vous qui vous en chargez ?

Oui bien sûr. De toute façon, le directeur de casting est là pour aider les deux personnes qui mènent le projet du début à la fin c’est-à-dire le producteur et le réalisateur. Moi je travaille avec un producteur avec lequel je suis très proche, c’est un de mes meilleurs amis. Et donc sur le casting c’est vraiment en partenariat avec mon producteur qu’on fait les choix. Le casting a été très très très long à se constituer et quand le directeur de casting a évoqué Cécile de France je lui ai tout de suite dit que c’était une très mauvaise idée (rires). C’est une super comédienne mais moi je l’ai toujours vue dans des rôles cool, décontractés, de la meilleure copine, loin  de la Marquise passionnée et diabolique qu’elle interprète dans le film. Et en fait c’est à force de ne pas trouver, d’insistance, que j’ai envoyé, avec toutes les précautions, le scénario à Cécile de France, qui l’a beaucoup aimé. On a fait une lecture et là c’est vrai que je me suis aperçu qu’elle pouvait être formidable. Alors après elle a travaillé pendant trois mois intensément sur le rôle. Mais c’est vrai que finalement ce côté lumineux, solaire qu’elle a, et ce sourire plein d’intelligence permettaient cette ironie, ce côté d’autant plus retors quand elle joue le rôle de la meilleure amie du marquis. Et c’est une idée dont je suis très heureux, car c’est elle qui mène le film.

Pour Edouard Baer c’était quand même plus simple. Alors en fait c’était pas si simple parce qu’il n’y avait pas de rôle au cinéma qui m’avait enthousiasmé mais je l’avais vu faisant une lecture sur scène du Pedigree de Modiano, et il avait une sincérité que j’avais trouvée très belle et qui était nécessaire au rôle. Parce que pour moi ce Marquis ce n’est ni un Don Juan ni un Valmont, il a quelque chose de sincère. Après, par rapport à l’élégance, la distinction, l’élocution, Edouard Baer a cette façon de parler qui joue un peu avec ce côté noble de notre temps. Donc on peut lui donner n’importe quel dialogue de cette époque là, ça lui va comme un gant.

Vous n’avez pas pensé à vous pour interpréter le Marquis ?

Non jamais, jamais. L’ampleur du texte, du rôle… Moi j’imagine que je peux jouer un rôle un peu lunaire et maladroit mais pas autre chose.

C’est la première fois que vous vous inspirez d’un livre pour écrire un film, alors qu’à chaque fois c’est vous qui écrivez vos scénarios…

C’est un récit qui fait une vingtaine de pages donc c’est un peu comme si j’adaptais une nouvelle, à la fois avec une ligne dramatique qui m’intéressait beaucoup, et cette liberté d’écriture par rapport à un texte court.

Tous vos films sont plutôt légers, comiques, Une autre vie mis à part, qui est un drame. C’est la première fois que vous associez les deux genres dans un même film non ?

Alors là oui, parce que l’on est dans des situations plus extrêmes et des milieux sociaux plus extrêmes aussi. Mais j’ai l’impression que certains de mes autres films avaient aussi une charge soit un peu mélancolique, soit un peu cruelle, comme dans Un baiser s’il vous plaît ou Caprice.

Après, un réalisateur c’est un peu comme un comédien ou un interprète, il a une partition, un scénario, qu’il personnalise, et même si je suis parti d’un matériau cette fois un peu différent, il n’y avait rien de volontaire dans la tonalité employée. Cette tonalité elle apparaît via la personnalité du metteur en scène et des comédiens. Et une grande part de comédie vient de la part d’Edouard quand il apparaît ou de l’ironie des situations.

Lors d’une interview, lorsque l’on vous a demandé quel conseil vous donneriez à un jeune metteur en scène vous avez répondu qu’il ne faut pas chercher à transmettre un message. Et jusque là, ça me semblait tout à fait adapté à votre filmographie. Sauf que dans Mademoiselle De Joncquières, est-ce une histoire de contexte ?, et là, même si ce n’est pas le sujet principal du film, il y a, comme dans Shéhérazade, une vraie réflexion sur le statut de prostituée. On peut aussi voir une réflexion sur les rapports de séduction dans un contexte très chargé sur le harcèlement sexuel. Est-ce un hasard ?

Oui c’est un hasard complet car le scénario a été écrit bien avant l’affaire Weinstein, et le mouvement #MeToo…

Et dans tous vos films précédents, c’était plutôt les femmes qui allaient vers les hommes et non le contraire…

Ah vous pensez ? Je ne sais pas, il faudrait que j’y réfléchisse alors. Cela me paraît moins évident qu’à vous… En tout  cas ce n’est pas un choix intentionnel non plus !

On vous rapproche souvent de Rohmer et Truffaut, mais vous aimeriez peut-être évoquer d’autres influences, dans le cinéma international par exemple ?

Evidemment il y a beaucoup d’auteurs qui m’ont énormément marqué… Dans le cinéma américain, oui il y a Wilder, Lubitsch, Blake Edwards, Woody Allen… Ce sont les plus évidents. Allen c’est un cinéaste qui me nourrit beaucoup, moi et mes collaborateurs.

Quel regard portez-vous sur le cinéma Français, si vous avez encore le temps d’aller au cinéma ?

Depuis que je fais des films, je vais très peu au cinéma et donc je ne peux pas porter de regard dessus. On fait des films pour défendre un cinéma que l’on aime et aussi un peu par impertinence contre un certain cinéma ; donc peut-être que cela remonte à des films que je croise depuis que je fais du cinéma. Mais c’est aussi un moyen de rendre hommage à des films qu’on aime. Bon évidemment cela m’arrive de voir des films français mais pas suffisamment pour que je puisse en parler.

Il y a un réalisme assez cru dans le cinéma Français aujourd’hui alors que le vôtre diffuse une forme de douceur…

Dans le côté cru, il y a souvent un côté vrai. Et je n’aime pas, mais ça ne regarde que moi, quand un cinéma se prétend vrai. Cela remonte à mon amour de certains cinéastes, comme Renoir, notamment. Mais je trouve que lorsque l’on prétend être vrai au cinéma on est d’une certaine manière un charlatan. Ce qui n’empêche pas la violence, le tragique. Mais le mot cru ne m’inspire absolument pas (je parle de mes envies de spectateur)  car le mot cru relève toujours de cette  idée d’une chose telle qu’elle est, pure, en elle-même. Et ça c’est des idées de charlatan pour moi, vraiment, je le pense. Je pense que le cinéma c’est du cinéma avant tout, ce n’est pas la vie, c’est comme la musique ou la peinture, ça résonne avec notre intimité, ça inspire la vie, mais ce n’est pas la vie. C’est une autre dimension qui peut nous faire réfléchir, qui peut nous faire songer. Il faudrait plus de temps pour m’expliquer, mais tout naturalisme est un effet de mode, est formel. Comme disait Jean Renoir tout est dans la forme. Il n’y a pas le fond et la forme, tout est dans la forme parce que tout est dans la façon, parce que c’est dans la façon que l’on s’exprime, que l’on transmet quelque chose. Il n’y a pas d’un côté le fond, et la façon. Le cinéma est un art de la relation, de la relation du cinéaste avec son objet, ce qu’il filme, ses comédiens et son histoire, mais aussi dans une relation avec le spectateur. Donc un film est l’expression d’une relation et non d’une chose en soi. Donc ce qu’on juge dans un film c’est la nature de la relation dans laquelle le film veut nous mettre ou veut nous faire participer, nous interroger.

Cela vingt ans que vous avez réalisé Laissons Lucie faire. Qu’est-ce qui a pu changer dans votre façon d’appréhender votre métier ?

Je ne sais pas mais je n’ai pas vu les vingt ans passer en tout cas, j’ai toujours l’impression d’apprendre mon métier. J’en sais encore moins aujourd’hui (rires) !

 

 

bub

 

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