LE GRAND BAIN
gilles lellouche

DeterreAvec sa distribution collectionnant tout ce que le cinéma français compte d’indéboulonnables et son réalisateur un brin potache, le projet promettait d’être un énième Les Petits Mouchoirs. Pourtant, et malgré quelques maladresses, la première partie de ce Grand Bain, tournée vers la comédie, fonctionne assez bien. Chaque personnage y est décrit avec tendresse et trouve sa place, comme autant de poissons dans l’eau, dans cet exercice choral. Les vannes rafraîchissantes fusent et les acteurs nagent sans effort dans leurs compositions respectives, taillées sur mesure. Mais les complications surviennent lorsque le film sombre – bien involontairement – dans une sorte de conte de fée, malheureusement bien dénué de poésie.

Le film s’ouvre sur une allégorie : les ronds qui ne peuvent pas rentrer dans les carrés et inversement. Cette image emprunte à la préface du Meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley : « Les chevilles rondes dans des trous carrés ont tendance à avoir des idées dangereuses sur le système social et à contaminer les autres de leur mécontentement. ». Citation donc consciencieusement vidée de sa substance politique et subversive pour soutenir le propos du conte de fée : on a le droit d’avoir des projets absurdes dans notre société matérialiste, comme faire de la natation synchronisée masculine et aller aux championnats du monde ! Les nœuds scénaristiques construits autour de chacun des personnages vont se serrer, jusqu’à des situations inextricables… pour disparaître comme par magie dans une chorégraphie aquatique. Le trait, forcé outrageusement, fait poindre la fable là où devrait surgir l’émotion. Dès lors, le détachement des spectateurs s’avère inéluctable dans une deuxième partie pataude.

D’autant que le réalisateur Gilles Lellouche se trompe peut-être de sujet en voulant amener ces personnages vers une sorte d’excellence. En effet, le sport en soi est une lutte contre les barrières physiques et morales de ceux qui le pratiquent, avec l’idée de dépassement. En ce qui concerne les sports collectifs, le sentiment d’un effort partagé par le collectif crée des liens qui se passent généralement de mots. La communion se crée dans la douleur et la solidarité. Le seul fait de s’adonner à une pratique sportive, de parvenir à dépasser le seuil de la douleur sans pour autant jeter l’éponge, constitue déjà une victoire. Il s’agit déjà d’une source de confiance en soi. Vouloir à tout prix faire de la brochette de dépressifs du film une équipe de compétiteurs constitue un faux pas. Effectivement, au début du film, les personnages sont plutôt des victimes de l’esprit de compétition qui anime notre société : l’un a fait un burn out, l’autre met la pression sur son fils jusqu’à bloquer son élocution, celui-ci encore est un entrepreneur criblé de dettes quand celle-ci a sombré dans l’alcool après avoir été contrainte d’arrêter, justement, les compétitions sportives… Ceux qui sont en-dehors de cette course permanente sont soit un musicien looser, soit un type un peu naïf et déclassé, en bref des marginaux et des ratés. Pour panser les plaies de leurs vies essoufflées, vont-ils à nouveau se jeter dans le grand bain d’une compétition sportive ? Eh oui. Le film dupe son monde en négligeant la portée de ces victoires du quotidien, qui semblent inexistantes au regard d’une éventuelle victoire sportive (c’est d’ailleurs le point de vue d’Amanda, jouée par Leïla Bekhti). Une médaille serait donc une fin pour parvenir à s’accepter dans une société qui par ailleurs refuse l’échec. Lellouche occulte mine de rien à la fois les valeurs du sport et une des causes du mal-être qui caractérise ses personnages dans leur rédemption.

Au-delà de cette vision, le grand argument du film, c’est évidemment l’idée d’un sport inhabituel, davantage associé à une pratique féminine que virile, permettant la création d’un microcosme idéal qui serait complètement inclusif. Il s’agirait d’une activité qui irait à l’encontre d’une certaine idée du machisme, à l’image d’une nouvelle vision de l’homme, post #MeToo, débarrassée de ses préjugées rétrogrades. Pourtant les personnages du film n’en sont pas moins caricaturaux et répondent totalement aux standards encore actuels : Claire (Marina Foïs), la femme de Bertrand (Mathieu Amalric), se consacre au soutien de sa famille, notamment de son mari, et se retrouve moquée pour sa colère lorsque les frasques de son homme coûtent le véhicule familial, ou encore Marcus (Benoit Poelvoorde), grand escogriffe centré sur lui-même, reste un collectionneur de femmes et de divorces… Pas si simple donc d’évoquer le désarroi d’un masculin remis en question. Lellouche démontre une intention sans prendre la mesure de ce que celle-ci implique. Et c’est la même chose pour l’aspect inclusif porté par le film : pourquoi ne pas avoir travaillé avec une actrice réellement handicapée pour le rôle d’Amanda ? A l’image d’une comédie anglo-saxonne, la structure du film (qui emprunte encore une fois aux mythes antiques, avec son personnage en équilibre précaire, poussé dans le grand bain par des forces extérieures, puis entamant une odyssée qui le mènera à un nouvel équilibre) permet à celui-ci d’être à peu près universel. Plombé par une réalisation sans imagination et la grosseur des flotteurs scénaristiques qui délimitent les voies d’eau de l’intrigue, Le Grand Bain finit par boire la tasse par la trop grande confiance qu’il a dans son cinéma. Concevoir une fiction dans un cadre où le spectateur accepte de se laisser berner doit demander une rigueur qui fait trop souvent défaut dans celle-ci, ne serait-ce que dans sa forme. Pour exemple : l’idée d’implanter l’intrigue loin de Paris, dans le bassin Grenoblois, est louable, celle de désigner le très reconnaissable Palais des Sports de la ville comme lieu d’une finale Norvégienne par commodité logistique l’est beaucoup moins.

Au final, on se rappellera The Full Monty (Peter Cattaneo, 1997), exercice similaire réussi, dont le succès populaire aurait dû démontrer qu’un film peut rester crédible tout en offrant gloire et panache pour une bande de bras-cassés. Surtout, cette comédie britannique avait su se faire politique l’air de rien, plutôt qu’en annonçant avec tambours et trompettes un progressisme qui ne l’est finalement pas tant. Un certain cinéma français, établi et bedonnant, se retrouve comme d’habitude empêtré dans ses travers : sous prétexte de parler au plus grand nombre, il se fait simpliste, il oublie toute idée de cinéma et se repose encore une fois sur ses interprètes.

François Armand

1h 58min | 24 octobre 2018 | France

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