—–Twixt est une œuvre compliquée qui donne envie au spectateur de comprendre son logiciel. C’est là sa grande vertu. Quel est donc le chiffre de cette histoire de vampires tournée dans un village du nord de la Californie ? Que découvre-t-on à suivre l’enquête réflexive de cet écrivain perdu qu’est Hall Baltimore ? Que cherche donc Francis Ford Coppola en signant une œuvre sans doute très intelligente mais qui surprend si peu malgré toute l’étrangeté qu’elle déploie ? Voici quelques éléments de réponse possibles, non exhaustifs, et un peu paresseux.
Dès le titre on comprend qu’on a affaire à une énigme. En anglais, le mot « Twixt » est une forme archaïque. Son caractère inusité annonce et trouve un prolongement logique dans l’étrangeté qui sert au film de modalité principale. Toute la séquence introductive est exemplaire à cet égard. Elle nous montre l’arrivée de Hall Baltimore dans la bourgade où se déroule l’action. Le ton est tout de suite donné par la voix off de Tom Waits dont le timbre si parfaitement granuleux et la diction un peu traînante introduisent du mystère au détour de chaque phrase prononcée. La voix off nous apprend que le lieu est connu pour son clocher à sept cadrans d’horloge qui sont désynchronisés depuis un fait divers sordide datant d’une trentaine d’années. A ce ton, le cadrage et le montage ajoutent encore en matière d’étrangeté. Comme par exemple dans cette scène où, dans la librairie du village, l’écrivain Hall Baltimore fait la connaissance du shérif Bobby LaGrange qui vient lui demander une dédicace d’un de ses livres alimentaires sur les sorcières. Il s’agit alors d’enchaînement de plans aléatoirement filmés de front, en plongée violente, en contre-plongée pour des inserts, à travers des vitrages, et assemblés pour produire quelques faux raccords volontaires. L’étrangeté de toute l’introduction est accentuée enfin par une photographie typiquement numérique et décalée par rapport au ton de la voix de Tom Waits : grande profondeur de champ qui écrase un peu tout, rendu métallique des couleurs et excès des contrastes. En quelques minutes seulement tous les repères du genre épouvante et thriller sont brouillés tant ils sont pris dans un régime d’excès et de décalage.
Mais le titre de Twixt ne fait pas qu’annoncer une énigme, il donne aussi deux pistes possibles pour en trouver le chiffre. La première vient de la sonorité du mot. La proximité avec le terme anglais « twist » peut sembler anecdotique, mais le film lui-même milite pour ce rapprochement. Son principe de développement narratif si singulier met justement le spectateur dans une position d’attente d’un « twist », c’est-à-dire pour une oreille francophone d’un « coup de théâtre ». Cet effet est le résultat d’un mix de deux ingrédients habituellement dissociés par les réalisateurs : une bonne dose d’étrangeté formelle appliquée à une succession dramatique d’événements d’une logique implacable et terriblement sans suspense. Car dans ce film on devine tout à petites doses progressives, et sans hystérie. Il y a là un ronronnement dramatique qu’aucun effet pathétique ne vient troubler. C’est à distance et presque désintéressé que le spectateur devine l’identité de l’auteur du massacre des douze enfants, ses motivations, la nature vampirique de V., le visage du cadavre se trouvant à la morgue, et le rôle que jouent « ceux qui vivent de l’autre côté du lac ». Cet enchaînement logique d’explications est rendu possible et appuyé par le recours systématique et un peu facile aux séquences oniriques où le spectateur suit Hall Baltimore dans ses songes divinatoires. Il y croise Edgar Allan Poe qui lui révèle en même temps la vérité du drame qui s’est joué là et ses secrets et trucs d’écrivain. Dans les brumes nocturnes aux teintes bleu gris, brumes mystérieuses que vient irradier l’éclat orangé d’une lampe à pétrole portée par Poe lui-même, Hall Baltimore découvre pas à pas la vérité sur la mort des enfants et sur lui-même. Et si cette attente frustrée du coup de théâtre que subit le spectateur par ce procédé étonnant est finalement satisfaite, elle est en fait trompée par un « twist » qu’on ne dévoilera pas mais dont on peut tout de même dire qu’il n’en a volontairement que la forme. Jusqu’au bout l’attente est entretenue, ce qui confine un peu au malaise pour le spectateur.
Enfin l’autre piste que le titre suggère pour déchiffrer l’énigme qu’est Twixt est indiquée par le sens du mot lui-même. « Twixt » est la forme archaïque de « between » et indique un entre-deux. Une notion de distance est impliquée dans ce mot, voire indirectement de pont. Cette piste prend sens dans le film dès l’arrivée du premier songe divinatoire de Hall Baltimore. Il introduit un monde séparé auquel celui-ci ne peut accéder que durant son sommeil. Somnifères et alcool en tous genres, mais aussi chutes et coups sur la tête font office de ponts fortuits pour y accéder depuis la réalité du jour. Le fossé qu’il y a à franchir est aussi celui du temps, de la mémoire du passé jusqu’à l’avenir dans lequel on cherche à se projeter, ou bien qu’on finit par vouloir abolir. C’est là l’enjeu de l’écrivain marqué par la mort de sa fille dont il se sent responsable, mais aussi celui du shérif Bobby LaGrange qui tente d’exorciser une part de lui-même en voulant co-écrire un livre avec Hall sur le massacre des enfants. Coincés dans un entre-deux insupportable, chacun va chercher un pont pour trouver une issue possible à son mal-être. Chacun va vouloir s’extraire du « twixt ». Avec des fortunes diverses. Le spectateur lui aussi est coincé dans l’entre-deux que forme Twixt, entre un demi-thriller aux reflets d’épouvante et un film intello. Il reste malheureusement à distance à force d’être contenu dans sa position d’attente. A lui d’être déchiffreur d’énigmes pour critiques. Sinon l’ennui.
Jacques Danvin
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Twixt de Francis Ford Coppola (Etats-Unis ; 1h29)
Date de sortie : 11 avril 2012
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