Igorrr est un funambule. Autrement, comment pourrait-il passer de la musette au metal extrême, de la musique de chambre à l’électronique la plus dévergondée avec une telle grâce ? Laboratoire de savant fou ou purgatoire rigolo, Spirituality and Distortion s’appréhende étonnamment facilement malgré ses atours d’égo trip délirant.
Tout passe par la fluidité : Spirituality and Distortion DEVRAIT être bordélique, indigeste, assommant. Mais parce qu’Igorrr est aussi un savant mélodiste et technicien (mais que n’est-il pas ?), la sauce prend dès les premiers « clashs » musicaux : sur une mélodie orientale sans âge s’enchevêtre un riff brutal, primitif, avec un naturel confondant. Au-delà de la cohérence harmonique (la clé nécessaire de ces enchaînements improbables), c’est la liberté totale d’Igorrr qui nous sourit et nous épate. L’auteur/compositeur français fait naître une complicité avec l’auditeur, en jouant sans arrêt sur la surprise, en le trimbalant sans ménagement d’un univers à l’autre. Impossible de ne pas s’amuser à l’écoute de « Camel Dancefloor » et de « Musette Maximum », de headbanger en tenue de moine tibétain sur « Himalaya Massive Ritual ». De sombrer avec délice dans les enfers tour à tour hideux et classieux de « Paranoid Bulldozer Italiano ».
Percutant et désinhibé, Spirituality and Distortion fait aussi bien appel au cœur qu’à la tête, et se révèle plus ludique que tourmenté, malgré ses nombreuses escapades du côté obscur d’un metal sale et bestial. Mais le jeu est ici avant tout synonyme d’espièglerie, d’acrobaties insensées avec les genres, où le moindre faux pas ferait basculer le projet dans le ridicule. Il n’en est rien : Igorrr jongle avec ses idées antinomiques les yeux bandés, et l’on est hypnotisé.
François Corda
Igorrr / spirituality and distortion (France | 27 mars 2020)