Plus de quatre ans que nous n’avions pas de nouvelles de Maxence Cyrin, et son troisième album de reprises au piano de morceaux pop, intitulé Novö Piano 2. Le français est revenu le 6 mars avec Aurora, disque de compositions originales dans lequel s’entremêlent, comme toujours chez lui, grâce, mélancolie et légèreté. Maxence Cyrin a bien voulu répondre à nos questions par tchat, en plein confinement, le 8 avril. Il y est question, entre autres, de Metallica, de musicologie, d’une main brûlée, et de solitude.
François Corda : La première question à vous poser en ces temps troublés, c’est : « comment allez-vous ? »
Maxence Cyrin : Plutôt bien. J’ai loué une petite dépendance dans l’Yonne avec un piano…
FC : Comment vivez vous ce confinement?
MC : Désolé je n’ai rien à dire là-dessus. Il y a eu trop de bruit, trop de lives, je sature. Je n’ai pas aimé l’attitude très nombriliste qui a poussé en masse les artistes à faire un live « spécial confinement »…
FC : L’essentiel c’est que vous ayez un piano j’imagine !
MC : Voilà. Que je puisse continuer à travailler mon instrument et tenter de ne pas devenir fou.
FC : Les bienfaits de la musique sur le cerveau ne sont plus à prouver. Je pense que c’est une période pendant laquelle, plus que jamais, on a besoin de musique. Vous en écoutez beaucoup ?
MC : Moi j’en fais, c’est différent. J’en ai écouté beaucoup mais maintenant quand j’en écoute c’est plus pour me documenter. Ce qui est assez dommage en fait. J’essaie de redevenir mélomane.
FC : Et du coup, quand vous parlez de « documentation », c’est plus dans un but musicologique si je comprends bien ?
MC : Oui c’est cela. J’écoute pour comprendre. Mais j’aimerais revenir au simple plaisir physiologique. Et j’y arrive de plus en plus !
FC : Bonne nouvelle ! Grâces à quels artistes y êtes-vous parvenu récemment ?
MC : Des choses que j’écoutais adolescent : Metallica par exemple.
FC : C’est le genre de groupes qui ont façonné votre cerveau pop, comme vous l’appelez ?
MC : J’ai écouté / consommé beaucoup de musiques différentes ; comme un peu tout le monde en fait j’imagine. En allant de la musique contemporaine, au métal, à l’easy-listening, la musique industrielle, et bien sur la techno sous toutes ses facettes ! Sans oublier la musique mainstream, que nous « entendons ».
FC : On va bien sûr évoquer votre dernier album Aurora, mais j’aimerais d’abord revenir un peu en arrière, notamment sur votre tournée américaine. Quelle expérience en gardez-vous, et en quelle mesure cette expérience a-t’elle conduit à Aurora ?
MC : C’était il y a quatre ans. J’en garde des souvenirs inoubliables : des très bons et d’autres plus cocasses. Comme par exemple quand je me suis brulé la main dans un restaurant à Seattle et que nous avons failli annuler le concert… J’avais pris un dessert dans une cocote en fonte et le serveur ne m’avait pas dit que le plat était brûlant ! Je me souviens également de notre arrivée en voiture à New-York. Le GPS s’était trompé et nous sommes arrivés en plein Greenwich devant le club. Mais le meilleur souvenir c’est San Francisco je crois. Nous avions trouvé un hôtel très vintage assez typique pas très loin de la baie, le concert était très bon et Jello Biaffra (The Dead Kennedys) et sa bande étaient venus après le concert. Bref on a fait la route et ça mérite d’être fait une fois dans une vie de musicien. Les USA sont d’ailleurs mon meilleur public. C’est en particulier à Los Angeles que les gens m’écoutent le plus dans le monde.
FC : Parlons maintenant d’Aurora. Vous avez basculé d’Evidence Classics à Warner Classics. En quoi cela va-t-il changer votre vie d’artiste ?
MC : Concrètement je ne le sais pas encore car c’est très récent mais on peut dire que c’est une sorte d’aboutissement en soi.
FC : Vous dites que c’est la solitude qui a motivé les compositions d’Aurora. L’album a plutôt une tendance mélancolique, pour autant, je ne dirais pas qu’elle est douloureuse ou sombre. C’est donc que la solitude, pour vous, a de multiples facettes ?
MC : Non je ne pense pas que la solitude soit vraiment créatrice, mais disons qu’elle est souvent nécessaire à la création.
FC : Donc ce sentiment ne revêt pas d’aspect négatif ou positif pour vous ?
MC : Bien sûr que si, quand elle est subie, ça n’a rien d’épanouissant. D’ailleurs quand je trouve certaines idées musicales trop sombres, je les rejette. Par exemple en ce moment de solitude imposé, je n’écris rien de bien fameux !
FC : D’un point de vue technique : vous avez utilisé trois pianos différents pour Aurora. Comment les distinguez-vous, et qu’est-ce qui motive l’utilisation de l’un ou de l’autre ? Ce choix est-il venu après la composition ou le choix du piano est-il déterminant dans l’écriture ?
MC : Oui j’ai fait des essais sur beaucoup de pianos pour cet album. Je pense que je ne me suis jamais autant penché sur la production. Je n’étais pas content du son de certains de mes disques et j’ai voulu vraiment maitriser cet aspect là. J’ai donc enregistré certaines pièces avec mes micros et un piano droit, et d’autres au studio de Meudon où il y a un Steinway et un Fazioli. Le choix s’est fait naturellement en jouant chaque pièce sur l’un et l’autre
FC : C’est en effet votre disque qui sonne le mieux, c’est aussi le plus équilibré aussi en termes de compositions et d’éléments d’arrangements (les petites touches électroniques, le type de réverbération appliqué sur les pianos) : le travail de production est superbe.
MC : Merci beaucoup ! J’ai ai passé beaucoup de temps, presque six mois, entre l’enregistrement et le mix final. Tout cela a été décidé très minutieusement.
FC : On le sent, il y a beaucoup de délicatesse dans le jeu et l’enrobage des compositions. Quels sont vos projets post-confinement du coup ? Avez-vous un jour l’intention d’aller vers une forme de « maximalisme » (dans la composition et les arrangements, des choses techniquement plus complexes, un orchestre plus touffu) ou le minimalisme reste-t-il votre forme d’expression musicale de prédilection ?
MC : Je pense faire quelques concerts à partir de septembre pour soutenir mon album qui est sorti le 6 mars. L’essentiel quand on est artiste c’est de ne pas se répéter mais de toujours se réinventer. Pour cet album ce fut le minimalisme qui me l’a permis, pour le prochain je ne sais pas encore… J’ai envie de faire des collaborations avec d’autres artistes, comme par exemple The Toxic Avenger avec qui j’ai fait un titre (album qui sort le 29 mai).
FC : Cela va être intéressant de vous écouter dans le registre dans lequel vous étiez à vos débuts ! Comme je vous suis depuis longtemps je suis curieux de vous voir dans un registre inattendu. Mais ce que j’aime aussi dans vos disques, c’est que, malgré leur apparente ressemblance, chacun s’écoute avec un état d’esprit différent. Et la formule du piano seul (ou presque) permet tellement de choses ! Je pense que c’est l’instrument le plus complet que l’humain a à sa disposition…
MC : C’est ce que je pensais aussi mais on reste limité tout de même. Piano ou pas on reste confronté à ses propres limites, à ce qui a déjà été fait…
FC : Oui c’est pour cela que je vous demandais si vous n’envisagiez pas, après vos disques solo, de changer de formule ou de forme d’instrumentation…
MC : Je pense plutôt essayer de faire un piano solo pour avoir plus de répertoire pour les concerts. Mais après rien n’est exclu.
François Corda
Maxence Cyrin / aurora (France | 6 mars 2020)
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