JUSTINE TRIET
interview

RevueSorti le 18 septembre dernier, La Bataille de Solférino a marqué les esprits de notre rédaction. Sa réalisatrice, Justine Triet, a bien voulu prendre le temps de répondre à quelques questions. Pas de langue de bois !

La Bataille de Solférino associe images de fiction et images documentaires. Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à adopter ce format original ?

Le goût de l’aventure.

La trame de La Bataille de Solférino est celle d’un drame (la séparation d’un couple et ses dommages collatéraux, ndlr). Pour autant, et même si les personnages sont tous très touchants, on rit beaucoup de leurs malheurs et de leurs maladresses. Lequel de ces deux aspects, drame et comédie, a-t-il été à la base du projet ?

C’est un drame, rien de drôle dans ce qui touche nos personnages. Mais c’est dans la densité de cette journée où l’insensé surgit, que le drame côtoie la comédie. Car, dès l’écriture, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le film se distanciait déjà d’une approche purement naturaliste. Le côté pièce montée, que l’accumulation des galères et le grotesque de certaines situations peuvent nous faire vivre frôlent l’invraisemblable parfois.

Quelles sont vos références dans ces deux styles cinématographiques ?

Lvosky, Guiraudie, Brac, Forgeard… et plein d’autres.

Les trentenaires que vous décrivez semblent se désintéresser totalement des élections, ce que l’on peut comprendre étant donné la crise qu’ils vivent. En tant que réalisatrice vous n’êtes pas tendre avec les militants que vous avez filmés (je me suis d’ailleurs demandé s’il ne s’agissait pas d’acteurs !)… La Bataille de Solférino ne serait-il pas un film anar par hasard ?

D’abord il faut arrêter de dire les trentenaires, je n’aime pas l’idée de mettre en avant l’âge approximatif d’une pseudo-catégorie de gens qui n’évoque rien et qui dégoûte. C’est comme « quadra » : c’est immonde ce mot. Ces gens pourraient avoir 25 ans comme 45,  je ne pense pas qu’ils agiraient si différemment. Et je n’ai pas l’impression d’être sévère avec les militants. Je crois que je suis très tendre. Je suis plus critique vis-à-vis de la situation dans laquelle on les invite. Ils prennent part à une fête dont ils ne peuvent pas réellement s’emparer et c’est cela qui est étrange et vaseux. Il y a une dimension je-m’en-foutiste dans le film anar, qui ne correspond pas du tout à ce que je fais. Même si je joue avec les codes de la politique, je le fais sérieusement.

Les personnages de votre film semblent tous inadaptés ou en tout cas pas très à l’aise dans leurs baskets (excepté le voisin sportif du dessous). Ils sont finalement de grands enfants. Sont-ils pour vous le reflet de notre société ou leur folie douce est-elle juste un ressort comique et/ou un moteur dramatique ?

C’est sûr, le voisin a l’air bien confort dans ses grosses Nike comparé aux talons de Laetitia. Je ne sais pas finalement si ce sont de grands enfants,  je ne crois pas ! Car ils se tuent à défendre leurs convictions, à faire écouter leur vérité. Ils ne sont pas blasés, ni capricieux. Car ils ne sont jamais dans une position de commenter leur vie, ils se débattent. Et oui je crois que ces gens-là ne sont pas fantasmés. Ils existent dans la vie. Ils ont un côté trébuchant, comique maladroit, prêt à tomber.

Vincent Macaigne, Laetitia Dosch, Arthur Harari et Virgil Vernier sont ce que l’on appelle des nouvelles têtes au cinéma. Ils impressionnent tous les quatre par leur présence à l’écran. Comment les avez-vous choisis ?

Laetitia parce qu’en faisant Vilaine Fille je pensais déjà qu’on retravaillerait ensemble, et j’ai écrit en pensant à elle. J’ai un faible pour elle. Vincent, je n’osais pas l’aborder, je pensais secrètement à lui, il a accepté. Ce sont tous les deux de très grands acteurs. Arthur a été un choix de dernière minute, la très bonne surprise de dernière minute. Des fois on cherche partout ce qui est sous notre nez. Virgil s’est imposé et a même gonflé un rôle qui était plus petit dans le scénario. Il m’a beaucoup donné aussi.

La première scène dans laquelle les enfants hurlent sans cesse va sans doute traumatiser beaucoup de futurs parents ! Vous avez réussi à diriger ces tout petits ou est-ce le hasard du tournage ?

Peut-être que grâce à elles, les futurs parents en sauront plus sur les capacités vocales d’une créature de deux ans. Jeane a été fantastique car elle a compris ce qu’il manquait à ce début du film. L’inquiétude des enfants. Un enfant inquiet hurle ou observe en silence. Jeane hurle, Liv observe. Je ne crois pas au hasard. Certaines scènes, comme lorsque Vincent revoit pour la première fois ses filles qu’il n’a pas vu depuis 4 mois, là je ne parlerais pas de direction d’acteur mais de tricherie, de mise en scène.

Le film a été très bien reçu par la critique, moins par le public. Pourtant ça ne manque pas de rythme, les personnages sont hauts en couleurs, et c’est un sujet auquel il est facile de s’identifier… Comment expliquez-vous ce fossé ?

Je ne sais pas. Franchement, je suis la dernière personne à pouvoir analyser ça. Nous sommes à 40 000 entrées. Ce n’est pas si mal. Je pense malgré tout que le film provoque des émotions fortes de rejet comme d’empathie alors je peux comprendre que certains n’aient pas envie de se taper ça ! Moi j’aime voir des films qui me font éprouver des sensations fortes comme spectatrice, mais je conçois qu’après une journée de boulot on préfère se fendre la gueule devant un film plus distrayant ou plus léger… Je ne suis pas la mieux placée pour juger de ça.

La musique est assez peu présente dans le film mais une chanson issue du groupe Dead Man’s Bones (dont le chanteur est Ryan Gosling, ndlr) rythme certaines séquences. A la fois grave et candide, avec ses chœurs d’enfants, elle est à l’image de La Bataille de Solférino

J’ai un faible pour les chansons avec des chœurs, le côté gospel. Et « Ce soir tu vas perdre ton âme, tu vas perdre le contrôle ce soir… » (*) parce que j’aime bien les génériques qui résument le film. Le charme de ces films ne réside pas dans le fait de connaître la fin du film mais comment on va y arriver. C’est un peu comme Colombo, on connaît le tueur et donc la fin du film dès les premières secondes de chaque épisode, et pourtant on prend du plaisir à voir comment Peter Falk va le découvrir.

Les femmes réalisatrices ne sont pas nombreuses… A ce titre vous sentez-vous proches de l’une ou plusieurs de vos collègues ou la question de la représentation des sexes au cinéma ne vous intéresse-t-elle pas ?

Le plus beau cadeau qu’on peut faire à une femme qui réalise des films, c’est de l’oublier pour ne lui parler que de son film. J’ai cru que c’était chouette d’être une femme quand j’ai vu l’intérêt que les journalistes ont pour tout ce qui porte une jupe et qui peut faire quelque chose de ses dix doigts. Pourtant, le revers est négatif. Le rassemblement des femmes peuvent les desservir. C’est un peu comme « les jeunes réalisateurs » ou « la nouvelle nouvelle vague », ça ne signifie rien.

Par contre je suis très attentive aux gens qui m’entourent. J’ai très hâte de voir le nouveau film de Katell Quillevéré, les films de Shanti Massud, de Letourneur, Kathryn Bigelow et d’autres femmes qui m’intéressent, pas pour leur regard de femme mais juste pour leur film. On ne pose jamais cette question aux hommes, comme si les femmes ne pouvaient faire des films qu’en pensant à leur sexe, qu’à travers leur sexe. Ce que je souhaite de mieux aux femmes, c’est d’oublier qu’elles sont des femmes, pas pour jouer les viriles mais pour ne se pencher que sur ce qu’elles racontent, qui n’a pas forcément à voir avec leur utérus.

(*) extrait de la chanson « Lose Your Soul » de Dead Man’s Bones, qui sert donc de fil rouge à La Bataille de Solférino.bub

François Corda

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La Bataille de Solférino de Justine Triet (France ; 1h34)

Date de sortie : 18 septembre 2013

bub

 

Comments
  • sorour macaigne

    J’ai trouvé ce film fort et sensible, parle bien de nos sociétés actuelles: où les enfants sont sacrifiés (dans la bataille des vouloirs des parents), et surtout la justice incapable de « comprendre » et voir la vie et future vie des innocents enfants,
    – la justice considère « les pouvoirs » celui qui se paie un avocat qui n’hésite pas tout mensonges et un juge +sensible aussi aux pouvoirs qu’à la vie des innocents enfants…
    – la réalisatrice et les acteurs rendent bien évident cette injustice qui détruisant les enfants innocents. Ce film est très sincère par les naturels des acteurs;
    Ce choix de filmer le jour des éléctions et sur les lieux=excelente idée, on a vu et entendu « des vérités des gens sur place=ce film restera un film dans l’histoire * des éléctions en france* ;
    Ces 2 petits enfants *sont aussi formidables et très touchants=peut-être qu’après *vu ce film* certains parents « réfléchiront » avant de divorcer=à ne pas sacrifier leurs enfants aux profits de leurs envies;
    La 1ere régle de la nature est=se sacrifier pour ses enfants et NON sacrifier les enfants pour les vouloirs des parents;
    Je pense qu’l faut éviter la justice pour divorcer ;
    La justice ne peut être juste.
    Ce film était nécessaire et utile aux parents qui ne voudraient pas faire soufrire leurs enfants avec leur divorce.
    Merci à réalisatrice Justine Triet et les acteurs qui sont formidables. Bonne continuation encore et toujours voir vos oeuvres.

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