AU CHAMP DES MORTS + THE GREAT OLD ONES
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RevueAu milieu des bars et des boites qui pullulent dans ce quartier, une odeur méphitique stagne dans la rue. Elle semble provenir d’une lourde porte noire, enfoncée sous un immeuble. Pas de doute, c’est ici. Je regarde autour de moi ; les passants parlent dans leur téléphone en marchant d’un pas pressé, insouciants des dangers invisibles qui rôdent. Les misérables ignorent tout des visions indicibles qui m’obsèdent. Difficile de reculer à présent que mes pas m’ont conduit si loin dans les entrailles de la ville, et c’est mû par une curiosité morbide que je finis par tambouriner contre le battant en acier. Lorsqu’on m’ouvre enfin, une enfilade de couloirs sombres mène à une guérite grillagée. Derrière se trouve une salle, remplie par des personnages vêtus de noir s’abreuvant de bière.

Lorsqu’Au Champ des Morts monte sur la scène, l’odeur jusque-là indéfinissable se révèle plus clairement, relent d’une quelconque consomption sous-terraine. Les quatre musiciens, ensanglantés, font déferler leurs litanies noires, chargées d’amertume et de mélancolie, devant une assemblée attentive. Les hurlements – en français – se multiplient, soutenus par des blasts appuyés et portés par ces mélodies tristes. Les chevaux de l’Enfer sont lâchés par les Auvergnats, accueillis par le public dodelinant doucement de la tête, écoutant ce concentré de noirceur dans le recueillement. Etrange paradoxe d’un spectacle oscillant à chaque instant entre des émotions exacerbées et une retenue solennelle, presque religieuse. Dans un râle plus que jamais désespéré, les titres principalement tirés de leur album Dans la joie s’égrainent et résonnent comme un bel oxymore tant la contradiction entre cette joie et les scènes de désolation dépeintes est forte.

Peu après, comme si, à force d’avoir martelé le sol, celui-ci s’était ouvert en deux, vomissant de terribles démons, les Grands Anciens prennent possession de la scène. Toujours peu éclairés, masqués sous de grandes capuches, ce sont les messagers de Cthulhu lui-même qui profèrent sa parole dans un déchaînement abrupte de décibels, seulement interrompu de temps à autres par quelques bandes d’ambiance. A présent la salle est pleine à craquer, religieusement à l’écoute. Là encore se mélangent curieusement introspection profonde et violence froide, dure, figée comme de la glace. The Great Old Ones replonge ses fidèles dans chacune de leurs aventures et notamment la plus récente d’entre-elles : Cosmicism, mais c’est bien par le début de l’album Tekeli-li et un « Je les ai vues, ces montagnes hallucinées ! » scandé par Benjamin, précédant un majestueux « Antartica », que se conclura le concert.

Ainsi s’affirme une scène atypique, extrême dans sa densité sonore, préférant de longs morceaux empêtrés dans un marasme communicatif aux refrains ostensibles, aux riffs limpides ou autres corps enchevêtrés dans une joyeuse furie. En cela, surtout au sein de la grande famille du rock, le rituel détonne par sa solennité. C’est une grande tradition dans le metal noir que de se maquiller ou de se masquer, et ainsi de déshumaniser les interprètes, donnant plus de poids à la dimension implacable d’une musique finalement de l’ordre du sacré, dont la dimension dépasse parfois tout cadre matériel, comme une invitation discrète faite à tout à chacun pour entrer dans une transe bien personnelle.

Nouveau Casino – 25/11/2019

François Armand

 

 

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