Ceci (Midsommar) n’est pas un film d’horreur. Car si Hérédité conservait des traces de ce genre protéiforme tout en favorisant assez nettement le drame familial glauque, Midsommar s’aventure loin, beaucoup plus loin, dans un long et insoutenable bad trip. Si l’on osait la comparaison, on rapprocherait plutôt Midsommar de Salò ou les 120 Journées de Sodome que des dernières belles surprises It Follows ou Get Out : par ce même souci permanent du décorum, du rituel minutieux, Ari Aster joue beaucoup plus sur la mise en forme du malaise que sur sa résolution par l’affrontement, procédé classique du cinéma horrifique.
Pas de jump scare donc. Ni de tentative d’évasion, de course poursuite ou de morceau de bravoure. Dans l’air pur de la Suède de Midsommar flotte une fatalité poisseuse – insidieuse même – dont on ne se défait que très longtemps après la projection du film. Il n’est jamais question que Dani, Christian et leurs amis puissent s’extirper de l’étau qui se resserre irrémédiablement sur eux. Le fait qu’ils n’essayent même pas de s’opposer aux événements contribue d’ailleurs largement au trouble ressenti. L’horizon des protagonistes (autant que celui du spectateur d’ailleurs) semble bouché dès les premières minutes et ces plans splendides sur une forêt impénétrable, noyée sous la neige, digne d’un conte effrayant.
En ce sens on peut d’ailleurs voir dans Midsommar la prolongation d’Hérédité autant que son hors-champ. Dans son premier long métrage, Ari Aster, par un long travelling avant sur une maison miniature construite par la mère de famille, laissait déjà entrevoir la possibilité d’une histoire « racontée » plutôt que réaliste ; tout comme le premier plan de Midsommar, figé sur une illustration qui pourrait très bien sortir tout droit d’un conte perdu. Impression confirmée par l’insistance du réalisateur sur différents signes très graphiques aux connotations fantastiques : des runes gravées sur la roche, une étrange disposition de tablée, un morceau de bois placé sous un lit façon vaudou… On retrouve également dans Midsommar la thématique sectaire, qui, si elle n’était qu’en filigrane dans Hérédité, est ici examinée sous toutes les coutures ; si bien qu’Ari Aster se fait ici d’une certaine manière le double anthropologiste de ses thésards de « héros » (on y reviendra plus tard) venus découvrir cette communauté scandinave pour le moins barrée.
Enfin, Midsommar est encore pour le réalisateur américain le moyen d’explorer le travail du deuil de façon fantasque. Hérédité s’ouvrait sur un enterrement, et Midsommar s’annonce sous des auspices pour le moins mortuaires, dans un climat hivernal ténébreux et anxiogène à souhait. Très rapidement cette introduction débouche sur un suicide collectif : l’été annoncé par le titre est évidemment sardonique. Dani voit dans ce voyage en Suède l’opportunité d’oublier la longue nuit qu’elle vient de traverser (le décès de ses parents et de sa sœur), et de recoller les morceaux de son couple. Mais la lumière est ici source d’étourdissement, de perte de contrôle et de repères (ce que symbolise très bien le travelling nauséeux de cette voiture qui se retourne à 180°). Le séjour aux beaux atours Woodstockiens (sexe, drogues et folk sont au programme) se transforme lentement et sûrement en purge autant qu’en révélateur impitoyable des tensions internes du groupe… Pour autant, Ari Aster n’oublie pas de rire. Mais c’est un rire crispé, s’accompagnant systématiquement d’un douloureux grincement de dents, où le grotesque côtoie l’abominable sans transition.
Si tant est que l’expression veuille encore signifier quelque chose, on pourrait évoquer au sujet d’Ari Aster un travail d’auteur, tant la connexion entre ses deux premières œuvres est forte et surtout signifiante. Car derrière la redistribution des cartes du cinéma d’horreur, le réalisateur américain dresse le portrait inquiétant d’une Amérique bourgeoise et cultivée, repliée sur elle-même, en voie lente de déshumanisation (cf. les personnages masculins fermés d’Hérédité, et l’absence d’empathie, l’individualisme des jeunes gens de Midsommar). Ari Aster est un réalisateur de l’anxiété. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sait la rendre contagieuse.
François Corda
2h 27min | 31 juillet 2019 | Etats-Unis