L’histoire d’Hunter (Haley Bennett), c’est finalement celle d’une emprise sociétale. Un mari riche, beau et puissant, une maison ultra design, du temps pour soi à revendre… en somme le rêve désuet de petite fille par excellence : la princesse aurait trouvé son prince charmant assorti de son royaume. A cet instant, la fonction de cette épouse aimante est très claire, faire briller son mari, être son soutien, qu’il soit ménager autant que moral. Le déclencheur arrive très vite : une grossesse et le rôle d’Hunter va changer au regard de son mari et de sa belle-famille. Son ventre s’arrondit, la voilà qui devient une sorte de matrice propre à porter l’enfant que l’on destine, lui aussi, à devenir riche, beau et puissant. Une femme-objet donc, définie à ses fonctions : ménage, cuisine, porter l’enfant… et surtout condamnée au bonheur. Dès lors, dans un luxe feutré et le calme des après-midis d’ennui sans fin, quoi de mieux que ce fameux syndrome de Pica, qui poussent ceux qui en souffrent à manger des objets, comme manifestation des tourments qu’Hunter s’évertue à enfouir ?
Malin, le réalisateur Carlo Mirabella-Davis compose avec minutie chaque plan dans cette maison luxueuse, dans une mise en scène froide et clinique, pour mieux observer Hunter découvrir un nouveau rapport à la matière et un monde de sensations, basé sur les textures, les goûts et la douleur bien sûr, enjeu central pour conserver l’empire d’elle-même. Cette attitude détonne dans son cadre de vie trop parfait et dérange un entourage pris au dépourvu. La fascination exercée par ce syndrome étrange est un outil dont Carlo Mirabella-Davis use, au même titre qu’une grammaire cinématographique empruntée au fantastique, pour mieux s’intéresser à son personnage, archétypal par bien des aspects (son nom Hunter évoque la chasse et donc Artémis, divinité Grecque patronne aussi des accouchements et des transformations clés du corps des femmes comme la puberté par exemple), déchiré par les objets qu’elle ingère autant que par le gap entre ce que son entourage attend d’elle et ce qu’elle est réellement.
Swallow est à l’image du personnage d’Hunter, affiche un travail de l’image et du son très ostensible dans un premier temps, toujours au service d’idées (un personnage installant un décor modifiant l’éclairage sur les protagonistes par exemple), denrée devenue rare dans une industrie cinématographique asphyxiée par son exigence de simplicité/rentabilité. A son tour le spectateur sera avalé (swallow en anglais donc) par Hunter et discrètement, la science cinématographique de son auteur se fera oublier. Malgré un dispositif aujourd’hui caricatural (combien reste-t-il de femmes « entretenues » comme Hunter ?), la réflexion que le film procure sur le contrôle du corps des femmes n’en reste pas moins subtile et pertinente.
François Armand
1h 34min | 15 janvier 2019 | Etats-Unis