JEANNE ADDED
interview

RevueQui mieux que Jeanne Added, fer de lance d’une scène électro-pop hexagonale florissante, pour chasser la grisaille de la fin d’année 2018 ? A quelques heures d’investir la scène de l’EMB de Sannois pour un show plein d’intensité, l’artiste accorde à Bub un entretien pour échanger sur la pop, son dernier album Radiate, et plus encore.

François Armand : Tout d’abord, une chose m’interroge, c’est la découverte de votre personnage. Comment s’est-il imposé ?

Jeanne Added : Oulà c’est une grande question ça. D’abord ce n’est pas un personnage en ce qui me concerne. Au début, quand j’ai commencé à faire les interviews, t’as deux routes sur lesquelles aller : celle où tu parles en tant que toi, tu t’exprimes et tu te présentes toi, et celle où – et il y a des gens qui font ça très bien – t’as une espèce de persona pour les médias. Moi je ne suis pas capable de ça. Ce n’est pas un personnage et effectivement c’est une route pour se rencontrer soi et savoir un peu mieux qui on est. Moi qui je suis ? Une musicienne, ça maintenant c’est très clair.

F.A. : La pop et votre musique véhiculent de la douceur et un certain modèle d’inclusivité – même si je sais que ce n’est pas une démarche militante de votre part. A côté de ça, il y a plus que jamais une atmosphère tendue avec un monde qui refuse parfois les bouleversements qui le traverse. Êtes-vous consciente d’être sur une sorte de ligne de front ?

J.A. : Non je n’ai pas de conscience comme ça, en tout cas je n’ai pas la conscience de faire ça dans ma musique. A titre personnel, oui. Mais c’est à titre personnel seulement. Je n’ai rien à dire d’intéressant là-dessus parce que je ne suis pas spécialiste. Moi, je suis musicienne. Certes, il y a de ça aussi dans ma musique, parce que je me mets moi dans ma musique…

F.A. : Est-ce qu’il pourrait y avoir un côté cheval de Troie où, comme ça, l’air de rien…

J.A. : (rires) C’est vrai, ça pourrait. Infiltrer le système et tout ça. Non mais j’ai assez peu d’illusions  quant à ma capacité de faire quoi que ce soit… Par contre ce en quoi je crois c’est que si on continue à être exigeant dans la vie, ça peut être de la politique à un moment donné. C’est-à-dire qu’essayer de faire de la musique qui à moi me semble bien, qui me plaît, ça me semble pouvoir avoir une portée politique même si c’est potentiellement subliminal. Néanmoins, c’est un apport positif au monde plutôt que quelque chose de négatif. On parle d’empreinte écologique, il y a vachement de ça dans notre façon de vivre. Est-ce qu’il y a une empreinte ? Est-elle positive ou négative ? Quand je fais ma musique, j’y pense souvent, non pas en terme d’écologie mais peut-être de karma ou de ce qu’on envoie comme onde dans le monde, étant donné que j’ai la chance de pouvoir envoyer des ondes et qu’elles soient entendues. A part ça… Peut-être que je me radicaliserai davantage plus tard, je n’en sais rien.

F.A. : Votre musique permet la transe, l’oubli de soi. D’autre part, il y a une longue histoire entre la musique et le sacré. Quel serait votre sacré à vous ?

J.A. : Pour moi, ce n’est pas de l’oubli de soi, c’est au contraire, en tout cas pour ce qui est des concerts, c’est comment on crée un groupe, une nouvelle entité, entre les gens qui sont venus écouter le concert et nous qui le faisons. On rentre en connexion. Comment les gens entre eux rentrent en connexion, comment je rentre en connexion avec mes musiciens et comment tout ça rentre en lien. Créer du lien. Bon, ben ça, ça me semble important effectivement. Sans doute, le sacré à l’époque était le centre de la société, du coup il y avait un lieu qui était l’endroit où les gens faisaient société. Les liens se créaient dans ce cadre-là. Peut-être que les concerts maintenant, c’est l’endroit où on existe en tant que société. Donc c’est pour ça peut-être que c’est important de faire quelque-chose qui élève, qui donne à réfléchir, qui fait du bien, qui secoue, qui permet de s’exprimer, qui permet de pleurer ou de sortir de soi, qui permet de danser… peut-être que c’est à ça que ça sert les concerts. En tout cas, moi ça me sert à ça et s’il y a une fonction, je pense qu’elle est là : créer du lien entre nous. On a besoin de lien, les gens dépérissent s’ils restent chacun dans leur coin, c’est pour ça que les gens viennent aux concerts d’ailleurs, et qu’il y a du monde aux concerts. Il faut se rendre compte de ça. On nous fait croire qu’on vit dans un monde méga-individualiste – et c’est le cas – MAIS on a tous en nous cet instinct qu’on ne peut pas s’en sortir tout seul.

F.A. : Une vraie authenticité se dégage de votre musique, pourtant c’est de l’électro faite avec des machines…

J.A. : Mais ça c’est un jugement…

F.A. : C’est un jugement ?

J.A. : Ben oui, pourquoi la musique électronique ne serait pas authentique ? Parce qu’il y a des machines ? Un synthétiseur, c’est de l’électricité, c’est un instrument.

F.A. : Néanmoins, est-ce que ce sera un jour imaginable de vous entendre piano-voix ?

J.A. : Bien sûr. Évidemment. L’esthétique vient avec ce que j’écris. D’abord avec ce que j’écris, et après on voit ce que ça donne. Comme si chaque chanson avait un ADN. Il faut que je trouve comment ça doit sonner. Dans le futur, on pourra faire ce que l’on voudra avec les chansons. Au début elles ont besoin de trouver leur identité.

F.A. : L’album Radiate se termine sur « Years have passed », un morceau mélancolique. On a le sentiment que le temps est comme du sable qui passe entre les mains, quelque-chose qu’on n’arrive pas à retenir. Est-ce quelque chose qui vous fait peur, le temps qui passe ?

J.A. : Ca dépend des endroits, dans ma vie personnelle peut-être, dans ma vie professionnelle qui prend une grande place car c’est aussi ma vie, j’ai toujours trouvé que le temps passait à la bonne vitesse. Ca m’a pris plusieurs années pour me réconcilier avec ça, mais maintenant je sais que le temps a toujours raison et qu’il passe à la bonne vitesse. Il n’y a pas plus vain que de se battre contre ça. En tout cas dans ma vie et en musique, c’est un endroit où j’ai vraiment fait ma paix avec ça. Je suis toujours ébahie de comment les choses arrivent quand on est prêt pour qu’elles arrivent. A partir du moment où on s’accorde ça, on comprend qu’il n’y a pas d’échecs, c’est de l’apprentissage.

F.A. : Pour finir, l’album Radiate, sur l’étagère d’une discothèque idéale, où rêveriez-vous de le voir rangé ?

J.A. : Entre Straight ahead de Abbey Lincoln et Diamonds and pearls de Prince.

François Armand

Jeanne Added  / Radiate (France | 14 septembre 2018)

 

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