NICOLAS VIDAL
interview

RevueUn peu plus tôt dans l’année est paru Bleu Piscine, album de chansons parfois intimes, toujours groovy, de Nicolas Vidal. Par un matin automnal, nous nous retrouvons autour d’un café près de la Gare du Nord, à Paris. La radio crachote un vieux Cindy Lauper, point de départ idéal d’une discussion complètement pop.

François Armand : Commençons par le début, c’est-à-dire deux albums et un EP …

Nicolas Vidal : En fait, il y en a trois. Il y en a un qui n’est plus sur Spotify, mais qui est sorti en 2011. C’est mon premier album qui s’appelle Des ecchymoses, voilà …

F.A. : Ok, du coup, comment arrive-t-on à la musique ? Est-ce qu’un jour on se dit : «je veux faire de la musique, je veux faire de la pop» ?

N.V. : Ca ne s’est pas trop passé comme ça pour moi. A la base, je viens du théâtre. J’ai fait du théâtre quand j’étais adolescent. Je suis monté à Paris pour faire du théâtre, pour être comédien. Et puis, j’écrivais. J’ai toujours écrit des nouvelles, des sortes de poèmes, des choses comme ça. J’avais un ami qui était musicien. Juste avant de monter à Paris, en 2000, il lit mes textes. Il me dit : « Tes trucs, ça ferait des supers textes de chansons. File-moi quelques textes, je vais voir si je peux faire des mélodies dessus ». Lui avait un groupe à l’époque, donc c’était plutôt destiné à son groupe. Moi je suis monté à Paris, j’ai fait du théâtre, et régulièrement il m’envoyait des trucs sur les textes que j’avais écrits. Je trouvais ça vachement bien. Je me suis pris au jeu, j’ai commencé à écrire de plus en plus dans l’optique d’écrire des chansons. J’ai commencé à créer des mélodies aussi, mais je n’étais pas instrumentiste à ce moment-là. Ca a continué comme ça pendant un an ou deux. Lui habitait Bordeaux, moi Paris. Quand je descendais à Bordeaux, on faisait des sessions de travail. En 2002 ou 2003, je ne sais plus, j’ai créé un spectacle de théâtre avec une comédienne dans laquelle on a voulu incorporer mes chansons. J’ai donc travaillé avec une compositrice qui s’appelle Alice Bassier. Là c’était un peu plus professionnel, elle était vraiment musicienne, compositrice, à l’époque elle travaillait avec Thomas Dutronc, c’était quelque chose d’un peu plus officiel. Je me suis dit : « En fait, il faut que je sois sérieux». J’ai collaboré avec elle en parallèle. Après la pièce de théâtre, avec les chansons que j’avais travaillées avec Sébastien et Alice, j’avais assez de matière pour faire un concert. Je me suis dit :  » Ttiens je vais faire un concert, je vais tester, je vais voir ce que ça donne ». J’ai fait mon premier concert et j’ai adoré ça. Depuis, j’ai arrêté totalement le théâtre, j’ai tout arrêté pour ne faire que de la musique. Je ne m’étais jamais dit : «Tiens je vais faire chanteur».

F.A. : Aujourd’hui, il y a une scène électro-pop française qui est assez foisonnante. Historiquement, celle-ci était très liée à la chanson. Je trouve qu’aujourd’hui il y a une scission entre la chanson et la pop.

N.V. : C’est vrai.

F.A. : Toi, tu fais encore la jonction …

N.V. : J’espère. Mes influences sont beaucoup plus dans la pop que dans la chanson, mais malgré tout dans la chanson, dans la variété française, je trouve qu’il y avait, en tout cas dans les années soixante-dix, quatre-vingt, de vraies mélodies pop dans la variété. Je pense à Véronique Samson, à Françoise Hardy, même à Michel Berger de temps en temps, ou plutôt France Gall d’ailleurs. J’adore cette chanson française là, beaucoup plus que les Brel, Brassens et tout ça, qui ne m’intéressent pas trop. A côté de ça, j’adorais Lio, Indochine, Etienne Daho, Alain Chamfort, et dans les années quatre-vingt, on considérait que c’était de la variété. Après j’ai redécouvert Jacno, des choses comme ça, pour le coup plus indé et qui eux aussi étaient influencés par la variété des années soixante. Dans ma musique j’essaie d’avoir ces deux aspects. Il y en a d’autres qui le font. Cléa Vincent le fait assez bien. Je suis d’accord avec toi, maintenant c’est assez scindé en deux. D’un côté, il y a des choses très branchées qu’on va considérer comme de l’électro-pop, et des choses vraiment très chanson, dont on va un peu moins parler. Je pense que ce sont aussi les sons que j’utilise dans mes chansons qui peuvent faire la jonction. Si tu joues mes chansons piano-voix, peut-être que ça passerait du côté variété, ce qui ne me gênerait absolument pas. Je trouve qu’il y a encore des chanteurs et des chanteuses qui font de la variété et qui ont du talent.

F.A. : Est-ce qu’il y a une sorte de – nostalgie ou hommage ? – par rapport, justement, à cette histoire-là ?

N.V. : Sur mon deuxième album Les nuits sereines n’existent pas, c’était un vrai hommage voulu, appuyé, à Jacno, à Lio … Vraiment on était partis là-dessus, un son un peu lo-fi. Sur Bleu Piscine, ce son est toujours là parce que je pense qu’il fait partie de moi, de la manière dont je crée les chansons spontanément. Mais par contre, j’ai travaillé avec Valentin Aubert sur ce troisième album. Il est beaucoup plus jeune que moi, il n’a pas du tout ces références quatre-vingt, donc on est plutôt parti sur des références french touch. Phoenix, Air, Metronomy … On a essayé de mélanger ces deux pôles. Il y a quelques titres sur Bleu Piscine qui sont vraiment restés très années quatre-vingt comme « John », mais sur « A/R mon amour », sur « Transe », sur « Sous ton ombrelle », on vraiment essayé de partir sur des choses un peu plus french touch.

F.A. : Quel est ton moment préféré dans ton processus de création ? Celui où tu vas écrire seul dans ton cocon, celui où tu vas créer la musique en studio ou celui où tu vas le défendre sur scène ?

N.V. : Définitivement, c’est le studio. Parce que c’est là que tout se crée. Après effectivement, il y a la phase de composition et d’écriture qui est assez solitaire. T’es beaucoup dans ta tête, dans tes carnets, sur ton piano à chercher les mélodies. Souvent, je démarre par les mélodies, et après j’écris. C’est passionnant mais tu doutes beaucoup. Tu cherches, tu ratures. Le studio, tu y arrives généralement avec un peu plus d’idées, t’as maquetté avant donc tu sais où tu veux aller. Je travaille souvent en binôme avec un réalisateur, en l’occurrence avec Valentin sur Bleu Piscine. Il amène aussi ses idées, du coup on cherche ensemble. Ca se construit et c’est là où tu crées vraiment les chansons. La scène c’est autre chose, c’est bien aussi mais pour moi, comme je suis très sujet au trac …

F.A. : C’est beaucoup d’angoisse …

N.V. : Oui c’est beaucoup d’angoisse mais je pense que c’est parce que je n’en fais pas beaucoup. Si j’en faisais plus, je pense que ça irait mieux. Voilà, la période que je préfère c’est le studio, parce qu’en plus tu imagines comment les gens vont peut-être ressentir tes chansons. Moi je veux mettre certaines intentions, mais peut-être qu’ils vont passer complètement à côté. C’est assez passionnant.

F.A. : N’y a-t-il pas une petite frustration justement, lorsque l’on met plein de choses dans un album, à ne pas être une petite souris qui irait espionner l’auditeur pour capter sa réaction ?

N.V. : C’est vrai, oui tu as raison. Quand t’es sur scène tu le sens un peu plus quand même… En même temps, il y a toujours quelque chose, c’est que personne n’aime jamais les mêmes chansons. Sur un album, il y en a une ou deux qui font un peu consensus. Ce qu’on appelle les tubes d’album, même si je n’ai absolument pas la prétention de faire des tubes. Même à petite échelle tu le ressens quand même. Si ça marchait, je pense que c’est celle-là qui marcherait (rires). Nous on a toujours notre préférée qui n’est souvent pas celle que les gens préfèrent. C’est comme ça, on fait avant tout des choses qui nous plaisent à nous-mêmes. Je ne pourrais pas faire un disque qui ne me plairait pas. Ce qui sort sur un disque, c’est validé entièrement et assumé à trois cents pour cents. Au final la réception que les gens en ont, tu ne la maîtrises pas. C’est dans le monde et les gens prennent ou ne prennent pas.

F.A. : Pas mal de tes textes sont teintés d’érotisme…

N.V. : Oui c’est vrai.

F.A. : Comment approche-t-on cette écriture ? A la fois pour éviter toute vulgarité et avec une certaine finesse ?

N.V. : En fait je ne m’en suis pas rendu compte, au départ, que j’écrivais là-dessus. On me l’a fait pas mal remarquer en promo. Je pense que c’est très lié au vocabulaire quand tu écris une chanson et que tu veux parler de choses érotiques. Pour moi, c’est ça l’intérêt de la musique, c’est de dire les choses enrobées de manière moins frontale. Je n’ai rien contre la chanson réaliste, mais ce n’est pas du tout ma manière d’écrire. Quand je parle d’un sujet, j’aime bien trouver l’angle qui va faire que c’est un peu différent. Par exemple sur l’album il y a une chanson qui s’appelle « l’Amour qui penche », qui parle très clairement de la Manif’ pour tous qui a déversé sa haine sur les homos. Moi je suis homo, je ne m’en cache pas dans mes chansons, je le revendique même parce que je pense qu’il le faut. Et du coup comment je parle de ça ? Comment j’aborde ça sans dire : « C’est eux les méchants, c’est nous qui avons raison, ils nous détestent» ? Ce n’est pas très intéressant. Par contre dès que j’ai eu la formule « L’amour qui penche », je me suis dit «  là j’ai quelque chose, je peux parler d’un sujet d’actualité ». Comment on aborde ça sans être trop binaire ? Pour l’érotisme, c’est pareil. Tu fais peut-être référence à la chanson « A/R mon amour » ? Voilà. C’est une chanson de rupture mais comment parler de ça sans éviter l’écueil du « Ah je me suis fait larguer, je suis malheureux » ? Quand quelqu’un te quitte, la première chose qui va te manquer, c’est le côté charnel. On m’a un peu reproché de dire « Manger ton sexe» dans la chanson et en même temps j’essayais de le rendre universel… Qu’on ne sache pas si je parlais d’un garçon ou d’une fille. Donc j’avais envie de faire une chanson de rupture, mais qu’elle soit charnelle. Qu’on ressente les choses à travers les mots. C’est un travail d’équilibriste, il faut arriver à le dire de manière poétique, pas trop cru et en même temps suffisamment pour que ça capte un peu l’attention. Tout le monde écrit des chansons d’amour, tout le monde écrit des chansons sur les ruptures… Donc la question c’est comment arriver à trouver l’angle. Pour moi c’est ça maintenant le plus difficile au bout de trois albums, on tourne toujours à peu près autour des mêmes thèmes : autour de l’intime, des relations amoureuses. Comment t’arrives à trouver l’angle un peu différent ?

F.A. : C’est pas vraiment une démarche consciente d’aller vers l’érotisme …

N.V. : C’est venu un peu par hasard mais en même temps c’était voulu quand même. J’avais envie que les chansons soient un peu sexy. Pas sexy au sens « Il faut des gens à poil dans les clips »…

F.A. : Ah non ce n’est pas du tout racoleur.

N.V. : Ouais, parce que je trouve qu’il y a plein de chanteurs qui sont très doués mais qui ne sont pas sexy. En tout cas ça ne suscite pas le désir, et j’avais quand même envie que les chansons suscitent un peu le désir.

F.A. : Il y a une impression que j’ai eue à l’écoute, c’est une volonté d’amener un peu de douceur dans un monde peut-être un peu dur, une société un peu tendue.

N.V. : Tant mieux, tant mieux. J’espère parce que pour moi la pop, c’est léger. Une bulle de savon. Après tu peux dire des choses sérieuses, importantes, mais je détesterais me prendre au sérieux par rapport à ça aussi. Je le fais le plus sérieusement possible, mais ça reste de la pop où les gens peuvent danser, s’amuser, écouter ça en faisant le ménage, faire l’amour. La musique c’est fait pour faire du bien. J’écoute tout le temps de la musique, j’ai tout le temps la musique avec moi. Y a des moments, tu ne vas pas bien, t’as besoin d’écouter certaines chansons, quand tu vas bien, t’as envie d’en écouter d’autres. Il y a effectivement tellement de choses sérieuses, compliquées, difficiles que quand t’écoutes de la musique c’est aussi pour décompresser, te détendre. Si au détour de quelque chose, les gens retiennent quelque chose, tant mieux, mais moi si si les gens n’écoutent pas mes textes, j’en n’ai rien à faire. Un peu comme les enfants, ils te parlent d’une chanson, ils ne comprennent rien aux paroles, ils s’en foutent, ils la chantent à tue-tête parce que ça leur provoque une émotion. J’espère faire de la musique comme ça.

F.A. : Il y a une chanson sur les très longs dimanches après-midis. Ce qui ressort pas mal de la chanson, c’est l’ennui. Finalement l’ennui c’est propice à la créativité …

N.V. : Ah ouais complètement !

F.A. : Est-ce que cette chanson n’est pas finalement un retour à l’envoyeur ?

N.V. : Oui ! En fait ça a été une chanson assez difficile à écrire bizarrement. C’est une chanson assez vieille, très intime pour le coup et assez réaliste par rapport aux autres chansons de l’album. Elle est moins dans le côté poétique de la chose, un peu plus frontale. Mais oui, tout cet ennui, moi, m’a vachement construit. En plus, je suis fils unique. Du coup il y avait plein de moments où j’étais tout seul dans ma chambre et le refuge a toujours été la musique. C’était passer des heures à écouter des disques, des chansons, à faire des cassettes, pleins d’activités finalement pour combler un peu l’ennui. D’un autre côté, comme je le dis dans la chanson, mon père faisait du foot, et le dimanche soir, souvent, il faisait la fête, et j’adorais ça. Je m’ennuyais l’après-midi, je détestais le sport et le foot. J’adorais les troisièmes mi-temps, j’adorais le fait que mes parents aillent faire la fête. Ca finissait chez les uns, chez les autres. Tu te couchais tard et ça conjurait le sort de ne pas aller à l’école le lendemain. Ca m’est resté, pendant très longtemps, j’ai fait la fête le dimanche soir. Mais sans l’ennui, j’aurais pas écrit, je me serais pas autant cultivé, j’aurais pas autant lu. Je pense que c’est nécessaire. Quand tu crées, t’as besoin de ces périodes-là. Il y a des chansons sur l’album que j’ai écrites en vacances, dans cet état un peu d’ennui. La chanson « Bleu Piscine », qui donne son titre à l’album, je l’ai écrite vraiment devant une piscine, en vacances, où tu fais rien. Le fait de m’ennuyer m’inspire.

F.A. : Est-ce que le fait de travailler hors label t’apporte plus de liberté, ou au contraire tu as plus d’obstacles ?

N.V. : Ben écoute les deux. Déjà ce n’est pas un choix de travailler hors label. Si j’avais le choix j’aurais un label. Ca ne s’est pas présenté, ça ne s’est pas fait. L’avantage c’est que tu publies tes albums au rythme que tu veux, t’es pas obligé de rentrer dans un calendrier précis. Après t’as pas d’argent pour faire tes disques …

F.A. : Les labels sont pas mal identifiés par rapport à des publics précis …

N.V. : Oui c’est vrai.

F.A. : C’est peut-être difficile pour eux quand on est (hésitation) …

N.V. : Entre deux ? Oui. Pour être honnête, je n’ai pas démarché les labels pour cet album-là. Il s’est fait de manière très rapide. J’ai rencontré Valentin à qui j’ai demandé un remix d’une des chansons de mon précédent album. J’ai adoré ce qu’il a fait dessus. Il a travaillé en même temps sur la chanson « A/R mon amour » qui devait être une face B. Je lui avais donné deux ou trois références pour qu’il propose ses idées. Quand j’ai entendu la chanson, c’était vraiment ce son que je voulais défendre sur mon prochain projet. J’avais quatre chansons de prêtes, je lui ai dit « Voilà, j’ai un petit budget, est-ce que tu veux faire un disque ? » Banco. Il me dit qu’il est libre en août, je suis parti juin et juillet, j’ai écris les chansons qui manquaient. Je suis rentré, j’avais pré-maquetté pendant quinze jours. Quinze jours après, on rentrait en studio. On a fait tout ça en un mois et demi. Tout s’est fait de manière extrêmement spontanée. Du coup qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais démarcher maintenant ? Ou est-ce que je garde l’élan ? En fait je n’avais pas envie de m’entendre dire « Il faudrait refaire le mix», « Il faudrait masteriser comme ça »… Celui-là, il fallait qu’il sorte vite. Une fois que j’ai eu l’idée Bleu piscine, le clip qu’on avait tourné à Lisbonne, les photos dans la piscine vide, tout ça, il fallait que ça sorte vite ! J’avais vraiment envie de garder ce geste spontané. Ils sont comme nous les labels maintenant, ils ont plein de problèmes qu’ils n’arrivent pas à régler. Ils investissent plein d’argent sur des gens qui ne vendent pas une cacahuète. Je rencontre plein d’artistes en ce moment, donc on a ces discussions et au final on s’aperçoit que tout le monde galère de la même manière. Plus personne ne sait comment gagner de l’argent avec de la musique. Si c’est pour vendre mille albums de plus, est-ce que ça vaut le coup de faire plein de compromis, je ne sais pas. Après par contre, j’aimerais qu’on parle plus de mon album, j’aimerai rentrer en playlist dans les radios. Ca c’est très difficile quand t’es indé. Pareil, faire des tournées, avoir un tourneur, tout le monde adorerait avoir ça. Pour l’instant ce n’est pas mon chemin, mais peut-être que ça le deviendra un jour. Mais ce n’est pas une fin en soit.

François Armand

Nicolas Vidal  / Bleu Piscine (France | 14 juin 2018)

Crédit photo : Sébastien Navosad

 

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