GIRL
Lukas Dhont

DuelUne Caméra d’Or et un prix à Cannes pour son interprète principal, une critique unanime, des spectateurs conquis, Girl semble décidément rallier tous les suffrages sans aucune voix dissonante. Est-ce là un succès mérité, ou au contraire surestimé par un public séduit par un film qui serait parvenu à se distinguer dans une offre de cinéma trop attendue ? Les deux François en débattent.

François Corda : Je déplore au moins deux choses dans Girl : son éparpillement, d’une part, entre des genres que Lucas Dhont ne fait qu’effleurer (le challenge sportif, la chronique adolescente, et le transformisme), et ses bonnes intentions, affichées avec un peu trop d’insistance. Girl souffre aussi de passer après Coby, le documentaire de Christian Sonderegger, avec lequel on trouve pas mal de points communs : une famille incroyablement compréhensive et ouverte, la détermination de fer et l’impatience d’une jeune femme  pour qui la transformation et la médication ne sont jamais vécues comme une contrainte mais plutôt comme une libération. Du coup, Girl se retrouve dans une position délicate, où la fiction, plutôt paresseuse, ne s’impose jamais, et où l’aspect documentaire accumule, à mon sens, pas mal de poncifs, avec ses passages obligés sur l’exclusion et l’acceptation par les autres. Bref, j’y perçois, d’une certaine manière, un manque de style et de personnalité…

François Armand : Pourtant, quelques médias ont comparé le cinéma de Lucas Dhont à celui de Xavier Dolan (titre de la critique du Figaro du 13 mai 2018 : « Lukas Dhont, le Xavier Dolan flamand »). Mais, il faut reconnaître que, mises à part leur jeunesse et une vague proximité thématique de Girl avec Lawrence Anyways (qui narrait une odyssée, celle de la transformation d’une femme né homme, sous un aspect baroque et esthétique), définitivement aucun pont ne peut être jeté entre leurs styles. Si un rapprochement devait être fait, ce serait peut-être avec certains éléments rappelant le cinéma de Darren Aronofsky, comme vu dans Black Swan ou dans Requiem for a Dream, lorsque le réalisateur filme au plus près la destruction des corps, les ongles retournés, les plumes arrachées, les bras gangrénés et  dans son traitement viscéral de la douleur, la manière dont elle devient physique, palpable. Car, de prime abord naturaliste, Girl se révèle peu à peu métaphorique en utilisant l’allégorie de  la danse pour décrire l’adolescence, la frustration que génère une impatience insurmontable, et son lot de souffrance. Le maintien est irréprochable et le sourire (crispé) de mise, mais dans le vestiaire ou entre deux exercices, les meurtrissures et les maux insoutenables ne peuvent plus être contenus.

F.C. : Lucas Dhont se montre à cet égard assez peu inventif : oui, faire des pointes ça fait mal aux pieds, oui, la danse classique c’est du masochisme, oui, Lara ne peut pas aller à la douche sous peine de moqueries ou de regards déplacés. Les scènes de danse sont trop répétitives ! Lucas Dhont les filme toutes de la même manière, et cette redondance qui vise à souligner l’épuisement physique et psychologique des danseurs, et de Lara en particulier, me paraît un peu lourdaud. Tu parles d’allégorie, et c’est effectivement bien vu de la part du réalisateur car précisément la danse classique demande de la souffrance et de l’abnégation, tout comme la transformation de Lara. Mais je trouve que Lucas Dhont insiste de façon un peu trop scolaire sur cette analogie, sans pour autant faire progresser son récit, qui aurait pu mener à une compétition humaine et sportive. Finalement je trouve Lucas Dhont beaucoup plus à l’aise dans les scènes intimistes dès lors qu’il s’intéresse aux problèmes de communication entre Lara et son père. Mais malheureusement la chronique familiale a du mal à se frayer un chemin dans un récit qui veut traiter de sujets trop lourds trop rapidement.

F.A. : Ah mais justement la force du film est de s’affranchir avec simplicité des lieux communs attendus, en montrant un père compréhensif, dans le soutien total de sa fille (rôle réservé aux femmes habituellement, au cinéma comme dans la vraie vie), une famille bienveillante dont la mère est absente (sans que cela soit un sujet), une Belgique et trois langues cohabitant avec bonheur… En s’affranchissant de tous les conflits qui pourraient être engendrés par des protagonistes extérieurs, Lucas Dhont montre le plus difficile, le plus intangible, la confrontation à son propre corps et des passions sourdes, propres à l’adolescence. Lorsque le psychologue ou ses camarades cherchent à lui permettre de dépasser physiquement son sexe, véritablement intolérable, l’un par le dialogue, les autres en la poussant à s’exhiber, Lara (remarquablement interprété par le jeune Victor Polster) s’entête dans la guerre qu’elle a déclarée contre son corps.

F.C. : Jusqu’à une scène finale choc que je trouve un peu gratuite : elle aurait pu faire office de délivrance si Girl avait su installer une tension crescendo, mais le déroulement un peu plat des faits, sans grande intensité dramatique jusque là (ce que je pense volontaire de la part du réalisateur, qui traite la transformation de Lara comme un « non-événement »), nous prépare assez mal à ce finale un peu racoleur…

François Armand et François Corda

| 10 octobre 2018| Belgique – Pays-Bas

 

bub

 

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