–
L’hystérie musicale peut être stimulante quand elle est doublée d’un « jeu ». Qu’on se réfère par exemple aux compositions de The Dresden Dolls, qui se doublent d’un aspect théâtral énergique et revigorant. Via un piano dingo, une batterie affolante, et la voix d’Amanda Palmer, déchaînée. Mais quand cette hystérie passe par une musique ascétique, comme c’est le cas pour The Idler Wheel…, qui pourtant repose sur la même formule instrumentale que The Dresden Dolls, celadevient parfois repoussant, et trop rarement émouvant.
Les nouvelles chansons de l’Américaine évoquent beaucoup d’images et notamment celles du visage d’une Keira Knightley grimaçante, défigurée par un mal intérieur dans le film de Cronenberg, A Dangerous Method. Pourquoi ? Parce que Fiona Apple ne chante que rarement sur The Idler Wheel : elle grogne, déraille, feule, change d’octave inopinément comme pouvait le faire l’actrice dans son rôle. Apple, comme Knightley, semble possédée et, disons-le tout net, franchement folle. Ce n’est bien sûr pas cette folie en soi qui est pénible dans The Idler Wheel…. Les deux premiers albums de The Dresden Dolls n’étaient pas moins timbrés. Le problème réside ici plutôt dans le fait que l’exubérance de la chanteuse est contrainte par une musique autiste, qui empêche à l’enchantement d’opérer.
Entre la voix qui se livre totalement, physique, et la musique, qui oscille entre syncopes permanentes et déconstruction quasi systématique des mélodies, il y a conflit, jamais fusion. Et cela pose un vrai problème de distanciation : le sérieux monacal de l’instrumentation, se résumant à quelques accords étiques de piano et des percussions soyeuses, donne en effet aux débordements changements d’humeur constants de Fiona Apple un troublant accent de vérité. Si bien qu’on se sent gêné d’assister aux sautes d’humeur de cette jeune femme qu’on ne connaît pas, et qui ne nous donne pas vraiment envie de la connaître tant elle se révèle parfois effrayante.
Sans doute est-ce aussi une question de sensibilité : on le voit dans A Dangerous Method, l’hystérie de Knightley dégage quelque chose d’érotique, autant dans les paroles que dans les actes. D’ailleurs Jung tombe sous le charme de sa patiente. Mais il a la possibilité de la voir en chair et en os, de discuter avec elle. Il y a un jeu entre eux (professeur-élève, maître-soumise) qui les pousse à mieux se connaître et qui rend la relation, et par là-même le film, intéressants. Si l’on était dans cette même situation de proximité avec Fiona Apple on pourrait peut-être mieux apprécier The Idler Wheel… Mais on n’a que des bribes de la chanteuse, ce qu’elle veut bien nous montrer d’elle par le biais de ses chansons. Et ce qu’on en imagine n’est pas (ou alors rarement) touchant ; c’est au mieux un exercice de style harassant, au pire le déballage d’un mal-être auquel nous n’avons pas envie d’assister. bub
François Corda
bub
———
Fiona Apple / the idler wheel is wiser than the driver of the screw and whipping cords will serve you more than ropes will ever do
Date de sortie : 18 juin 2012
bub
Que savez-vous de la folie? Que savez-vous de l’hystérie? Ces deux termes reviennent un peu trop dans cet article pour être honnêtes (par ailleurs le film de Cronenberg, bien que réussi, n’est pas forcément éclairant en la matière). Simplement dire que ce disque ne vous parle pas eût suffi. Pourquoi vouloir faire passer Fiona Apple pour folle? Cela m’interroge, vraiment…Ou alors je suis moi-même pas mal dérangé, parce que que j’aime énormément cet album, libre, bizarre, osé, cette manière de chanter sans chercher à séduire l’auditeur, juste pour exprimer ce qu’elle a à dire, les magnifiques paroles, etc. Le principe de catharsis n’a pas fonctionné sur vous, il fonctionne très bien sur moi: affaire de goût et de sensibilité, très certainement, et non pas d’hystérie ou de folie, comme vous semblez le suggérer!
Non il ne s’agit absolument pas de considérer comme fous ceux qui aiment ce disque, heureusement ! Comme je le précise largement dans la chronique, il s’agit plutôt de se demander pourquoi, dans une formule à peu près équivalente (celle des Dresden Dolls, et notamment leur premier album, que je vous conseille ardemment), cette hystérie fonctionne, à mon sens, mieux. En l’occurence dans The Idler Wheel je trouve qu’il y un désaccord profond entre le chant de Fiona Apple, ouvertement excentrique, et l’orchestration, beaucoup trop sage et surtout redondante. Mais je ne fais que me répéter ! 😉
A bientôt sur BUB, et merci de votre contribution.
C’est vraiment affaire de goût, c’est sûr, parce que je n’aime pas du tout du tout Dresden Dolls, j’en suis fort navré (par contre j’aime beaucoup le projet solo d’amanda Palmer: « Who killed Amanda palmer? »: « leeds united » est une chanson grandiose). Je trouve ce groupe, non pas trop hystérique, mais trop bazardeux, j’ai du mal à savoir où ils veulent en venir. Je comprends ce que vous voulez dire à propos de l’album de Fiona Apple: moi aussi à la première écoute j’ai ressenti ce décalage entre le chant et l’instrumentation, et puis…et puis ça a fonctionné, peut-être justement à cause de ce contraste, je ne sais pas. En tout cas, son côté brut et viscéral, un peu autiste en effet, m’émeut beaucoup. Mais il est rassurant et sain pour un disque (ou n’importe quelle autre création) de ne pas faire l’unanimité!
Absolument, et c’est justement pour ça qu’on a fait BUB, pour réagir aux consensus ! En l’occurence The Idler Wheel est l’un des albums les mieux reçus de ce premier semestre et cela m’a semblé diablement exagéré. Malgré les écoutes répétées. Je dirais même que, plus j’ai écouté l’album, plus il m’a semblé déséquilibré. D’où la chronique ! En ce qui concerne le premier Amanda Palmer, eh bien j’avais justement été déçu (bien que « Leeds United » soit effectivement superbe). Attendons son prochain album, il sortira en septembre ; on en fera peut-être une chronique sur BUB, qui sait ! En espérant que vous vous retrouverez dans d’autres chroniques musicales ou cinéma du site… A bientôt !