BIRD BOX
Susanne Bier

EnterreBonne nouvelle pour les allergiques à Netflix, la plateforme Américaine, qui était censée donner un coup de pied dans la fourmilière d’un système de production de masse à l’agonie, a encore bien du mal à s’affirmer quand elle débauche des réalisateurs de cinéma. Roma et La Ballade de Buster Scruggs mis à part, les autres productions « cinématographiques » du nouveau géant ont plutôt tendance à faire pschitt. Bird Box n’échappe pas à cette triste règle : dès lors que Netflix se prend pour un grand studio Hollywoodien (derniers exemples en tête, Annihilation et Aucun homme ni dieu), la chaîne vend du prestige, mais surtout du vent.

On sent bien ce qui attire les jeunes réalisateurs dans la toile de cette araignée tentaculaire et vorace : plus de libertés, plus de moyens, et donc plus de reconnaissance. Dans le cas de Susanne Bier, réalisatrice confirmée, il s’agirait plutôt d’une tentative de retour au premier plan après plusieurs échecs critiques et publics. Comme pour Annihilation et Aucun homme ni dieu, la noirceur extrême du propos sert de moteur à un scénario dilaté plus que de raison et à une image très léchée ; ce qui, en soi, est une aberration puisqu’on parle de films destinés à être vus sur petit écran (sic). Question casting la politique est la même : des acteurs prometteurs (ici Trevante Rhodes, vu dans Moonlight) côtoient d’anciennes gloires qui cherchent un second souffle (Sandra Bullock) ou un cachet de plus pour payer leurs impôts (John Malkovich). Une autre façon d’insister sur la forme et non le fond.

« Beau de loin et loin d’être beau » pourrait ainsi être le credo de la production Netflix en matière de longs formats : si tous les ingrédients semblent chaque fois réunis pour allumer le plus grand des feux d’artifice, le public doit se contenter d’un pétard mouillé. Bird Box, dont le pitch est prometteur (suite  à une vague de suicides à l’échelle planétaire, le seul moyen de vivre consiste à garder les yeux fermés dès lors que l’on passe le pas de sa porte au risque de croiser « une chose maléfique »), se contente dans les faits d’être très scolaire dans son traitement. Le film respectera donc à la lettre les bons vieux codes du survival : débandade collective, dilemmes cornéliens (untel a l’air sympa mais il faudrait le sacrifier pour le bien de la communauté, que fait-on ?), supermarché pillé dans l’euphorie, groupe de survivants bien organisé à rejoindre coûte que coûte…

Que Bird Box ne cherche à aucun moment à rationnaliser, expliquer ou même montrer le « phénomène » à l’origine de l’apocalypse passe encore ; bien que cela donne lieu à quelques scènes un peu neuneus et autres concepts fumeux, comme cet homme ligoté devant ses écrans de contrôle, au cas où la Chose serait aussi nocive « retransmise » qu’en direct, ou un trajet sur une rivière les yeux bandés (oui oui bien sûr). Mais après tout, ne rien voir et ne rien comprendre, pourquoi pas. Tout resserrer autours des enjeux dramatiques, pourquoi pas. Seulement voilà, le portrait de groupe est caricatural, entièrement voué à la discrimination positive (beaux, moches, vieux, jeunes, blancs, noirs, flic, petit caïd..) ; les liens tissés, artificiels, réglés en scènes-clé (Malkovich est un sale égoïste alcoolo, mais le temps d’un scène il devient le papa par procuration de Sandra Bullock). Enfin, il aurait surtout fallu montrer un peu plus d’inventivité dans la forme et le traitement du hors champ (seul véritable défi du film, jamais tenu) qui se résume ici à des regards effrayés, des bruitages déjà entendus mille fois et des feuilles qui s’envolent. Et bien sûr des vues en caméra subjective, les yeux du spectateur se substituant à ceux des protagonistes : or, c’est bien connu, quand on se met un bandeau sur les yeux, on ne voit rien. Merci Susanne Bier.

Enfin, lorsque l’on a compris l’unique subtilité scénaristique (un montage alterné entre passé et présent un peu sadique destiné, à « expliquer » comment la pauvre Sandra Bullock se retrouve seule avec deux mioches, elle qui faisait un déni de grossesse), il ne nous reste plus qu’à passer le film en accéléré jusqu’à un dénouement tiré par les cheveux et béni oui oui, façon « les derniers seront les premiers ». L’ironie de cet échec, c’est que Bird Box aurait sans doute pu mieux fonctionner en format série, afin de donner de l’épaisseur à ses personnages, et surtout de creuser un peu plus son concept, dont il dit à la fois trop et pas assez (la force maléfique parvient à rallier les fous à sa cause, pourquoi ? comment ?). Mais en l’état, ce film mal dégrossi ressemble plutôt à un interminable épisode pilote… Ou au choix un produit dérivé opportuniste d’un courant post-apocalyptique qui semble avoir fait long feu (les audiences de Walking Dead sont en chute libre) et du déjà bancal Sans un bruit, autre film à pitch qui aurait gagné, soit à être beaucoup plus court, soit beaucoup plus long.

François Corda

| 21 décembre 2018 (Netflix) | Etats-Unis


 

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