LES HURLEMENTS D’LEO
interview

RevueAlors que l’été refuse de céder et s’étire encore un peu dans la douceur du soir, le Bub rencontre les Hurlements d’Léo à quelques minutes de leur entrée sur scène dans un écrin parisien rescapé du 1er siècle : les Arènes de Lutèce. Le groupe vient présenter son dernier album, Luna de Papel, au festival des Nuits des Arènes. Laurent (chant, guitares) et Vincent (saxophone, violon, chant) répondent à quelques questions, avant de faire résonner, comme à leur habitude et sans rien avoir perdu de leur fougue, quelques joyeuses bacchanales en plein cœur de Paname.

François Armand : Les Hurlements d’Léo existe depuis 1996. Entre les albums de la fin des années quatre-vingt-dix et aujourd’hui, l’approche semble avoir changée, que ce soit par rapport à la scène ou la musique elle-même. Est-ce que vous sauriez définir en quoi ?

Laurent Bousquet : En fait les Hurlements d’Léo, on a commencé en quatre-vingt-seize, l’objectif était de jouer sans électricité, donc avec des instruments acoustiques. On a joué sur les places de marché, sur les trottoirs, dans les anniversaires. On a enregistré notre premier album, qui a eu un succès public, et on est partis en tournée en France, en Europe et dans le monde entier. Après on a fait le deuxième album, où on a rencontré l’électricité, puis le troisième dans lequel on a commencé à sortir les guitares électriques. Le son de Luna de Papel aujourd’hui en 2018, c’est un son électrique, un big band avec un pupitre section cuivre : trompette, sax ténor, baryton, trombone et d’autres instruments acoustiques comme le violon, l’accordéon, le oud, de la kora Africaine, le steel guitar… Et après des textes en Français essentiellement, mais aussi en Espagnol avec plusieurs pupitres de voix, plusieurs chanteurs. Donc on est le dernier big band en France, je pense. On est huit musiciens, et il n’y a pas un seul macintosh sur scène. Voilà … Donc de la musique acoustique à la croisée des chemins entre le punk rock, le rock et la chanson française.

F.A. : Il y a un côté plus construit, moins instinctif aujourd’hui ?

L.B. : Non je ne pense pas. Je pense qu’on a gardé une grosse part d’instinct parce qu’en fait, dans la famille des Hurlements, on est toujours huit musiciens sur scène mais il faut savoir que depuis le début, on a été vingt membres à passer sur scène et sur les albums, avec chaque personnalité qui est venue défendre quelque chose. Donc ça a toujours été instinctif, je crois. Par rapport à ce que les gens,  leur passage, que ce soit un an, deux ans, vingt ans comme moi ou dix comme Juju (ndr : Julien Arthus, membre du groupe depuis 2009), avaient envie de laisser comme empreinte.

Vincent Serrano : C’est peut-être un petit peu moins instinctif avec le temps parce qu’on a un peu plus de bouteille. On maîtrise plus.

L.B. : Oui la chambre est un peu plus rangée. Néanmoins, je trouve qu’il reste une grosse part d’instinct quand même. Chaque protagoniste a sa patte à défendre et son atmosphère au sein du collectif. C’est-à-dire que les personnalités ne sont pas diluées. Elles sont justement exacerbées pour le collectif.

F.A. : Oui, alors la culture du groupe semble correspondre avec une certaine approche de la politique ?

L.B. : C’est une façon d’appréhender la vie. Si on part du principe que la vie est politique, nous sommes politiques, mais en revanche on ne porte pas un drapeau « Hurlements d’Léo ». On est plutôt même contre les drapeaux, on est pour l’ordre mais sans le pouvoir, de là à dire que nous sommes anarchistes il n’y a qu’un pas. L’anarchisme, c’est aussi un courant philosophique, un mode de pensée. Quand on travaille, on est artisan de la musique, on y accorde beaucoup d’importance, tous, les uns et les autres. On travaille pour nous, et on travaille les uns avec les autres pour un idéal : celui de faire un spectacle… peut-être inclassable, qui ne passera peut-être pas partout, mais qui va ouvrir le cœur à des gens qui vont tomber sur notre route, en-dehors des sentiers battus. C’est-à-dire qu’on n’est pas plébiscités. On ne passent pas sur les grandes ondes de radio, ni à la télévision française, et ça fait vingt ans que ça dure. Ça aussi c’est une grosse fierté pour nous, d’être indépendants et de rester indépendants vis-à-vis de ce qu’on fait. On est des artisans de la musique. Dans le mot artisan, il y a quelque chose de très valable. C’est-à-dire qu’on travaille avec nos mains et nos têtes au service de ce qu’on veut faire ensemble, de ce qu’on veut en faire, en fait. On s’est réinventé d’années en années en fonction des gens qui viennent avec leurs bagages et ce qu’ils ont à y mettre, c’est ça la force des Hurlements d’Léo aujourd’hui.

F.A. : Un aspect ne transparaissait pas forcément sur les premiers albums, composé plutôt de chansons sociétales que politiques. Sur le dernier album, j’ai trouvé qu’il y avait deux tons : il y a celui qu’on vous connaît, poétique, et un autre, plus en colère.

L.B. : Pas en colère. La lucidité, ce n’est pas être en colère en fait. On nous donne à voir des choses qui nous dérangent. On en parle dans nos chansons. Ce n’est pas de la colère en fait, la lucidité peut ressembler à un cri. Au final, nous on raconte ce que l’on voit. Ça peut déranger.

F.A. : C’est quelque chose qu’on ressentait moins avant… Là, on a une impression comme d’énervement.

L.B. : Le terme « énervement » n’est pas bon. On n’est pas des gens énervés en fait. On est des gens lucides et on s’imprègne beaucoup des choses qui sont autour de nous. On n’est pas en colère, on est plutôt positifs dans la vie. Néanmoins sur le premier album, effectivement, c’était des tranches de vie et nous n’avions pas ces préoccupations-là. En même temps, on était des jeunes travailleurs. Quasiment tous des travailleurs sociaux, et on n’avait pas les mêmes préoccupations. On avait vingt-cinq ans, aujourd’hui on en a quarante-cinq. On est pères de famille, on a eu le temps de se faire rouler dans la farine, on a eu le temps de comprendre des choses, on a eu le temps de les analyser et on a eu le temps de vouloir les raconter différemment. C’est peut-être pour ça que ça paraît plus incisif.

V.S. : On a pris des nouvelles plumes aussi, par rapport aux premiers albums.

L.B. : Oui, même déjà sur l’avant-dernier, il y aussi des auteurs avec lesquels on a travaillé. On a fusionné des plumes, des choses que l’on ne faisait pas nécessairement avant. Il y a aussi un renouveau et un gain dans ce que l’on peut donner à raconter.

F.A. : On peut entendre dans Luna de Papel des influences qui vont vers le reggae, vers le dub. Est-ce que c’est une direction qui vous intéresse ?

L.B. : La plupart d’entre-nous, on a écouté du punk rock.

V.S. : Ça fait partie de notre culture.

L.B. : Et après avoir écouté du punk rock, on a écouté du reggae et du dub. On a été influencés par ça. C’est normal qu’à un moment donné, ça ressorte un petit peu dans ce que l’on fait.

F.A. : je vais revenir un petit peu en arrière dans le temps avec l’album où vous avez chanté Mano Solo. L’album La Marmaille Nue constitue un album qui a été très marquant pour de nombreuses personnes. En ayant travaillé quelques morceaux de cet album, en vous l’ayant réapproprié, est-ce qu’on sait expliquer comment des chansons aussi dures ont su parler à un public si divers et peut-être éloigné de la réalité décrite ?

L.B. : Nous, clairement, à la base des Hurlements d’Léo, on était trois, avec Erwan avec lequel on a monté le groupe. Quand l’album La Marmaille Nue est sorti, c’était l’album de notre génération en fait, c’était le chanteur qui parlait de nous en fait, et de tous mes potes. Nous, on s’est retrouvé dans ces chansons-là. Ce n’était pas un fantasme, c’était ce que l’on vivait : la génération Sida, la dope, l’errance… Quand on a décidé de reprendre Mano Solo, pour nous, La Marmaille Nue, c’est un disque de chevet, pour la plupart. Il se trouve que tous les copains l’avaient écouté aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Ça ne leur parlait peut-être pas de la même façon. Avec Vincent, on a dix ans de décalage, il a pris plus tard et il pourrait t’en parler de façon tout à fait différente. Mais moi de prime abord, Mano pour moi, c’était un grand frère et c’était le seul qui avait eu le cran de parler de nous tous. Pour la volonté de faire cet hommage, c’est que pour moi, c’était un des plus grands poètes que la chanson ait porté, à côté de Leprest aussi. C’est un mec qui a laissé de superbes chansons. Comme il nous manquait et qu’on ne l’entendait plus du tout à la radio… Bon déjà on ne l’entendait pas de son vivant parce qu’il avait une trop grande gueule, il s’était fait boycotter. On a eu donc besoin de se l’approprier et d’aller faire un tour avec lui. On a réussi à fédérer beaucoup d’artistes autour de lui et qui sont issus de scènes tout à fait différentes. Donc voilà merci Mano !

F.A.: Pareil, sur Luna de Papel, il y a beaucoup de collaborations, dont un groupe Espagnol par exemple. C’est quelque-chose qui vous nourrit d’inviter plein de gens sur un projet commun ?

L.B. : Depuis le départ des Hurlements d’Léo, on a fait que ça en fait. On a rencontré des gens, et on a fait que des choses avec eux. Ceux qui nous intéressaient, qui nous plaisaient. Ça c’est un phare dans la vie du groupe. Parce qu’on ne peut pas durer aussi longtemps en faisant tout le temps la même chose.

V.S. : Et en restant entre-nous.

L.B. : Donc on rencontre des gens, on se nourrit, on partage et on avance avec eux. Des fois c’est éphémère, des fois c’est plus long. De ce côté-là, la vie est super belle. C’est un vrai régal.

V.S. : Ca remet des coups de boost au groupe, ça remet un nouvel élan. C’est que du bonheur de faire ça.

L.B. : C’est une cure de jouvence à chaque fois. C’est mieux que des piqûres de botox (rires).

 

François Armand

Les Hurlements d’Léo  / Luna de Papel (France | 16 mars 2018)

 

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