C’est l’histoire d’une bande d’adolescents qui refusent de grandir, et dont la naïveté semble devoir rester intacte en dépit du passage des années. Des années qui ont fait d’eux, contre leur gré, des adultes. C’est pour cela que l’histoire power-pop d’Ash, malgré son manque de vagues ou de ruptures, est si belle. C’est pour cela aussi que leur succès restera, sans doute, un succès d’estime, au moins en France : la fougue et l’innocence des débuts n’a jamais cessé d’être, et elle est, encore aujourd’hui, leur plus grande force et leur plus grande limite.
Le trio masculin d’Ash a commencé dans le bruit et la fureur, pied au plancher avec 1977 (1996). Gorgé de titres oscillant entre punk, lo-fi et pop, l’album commence par un extrait de Star Wars et s’achève dans les rires : l’un des membres du groupe ( ?) vomit, et l’on se moque allègrement de lui. Ce sont alors des gamins de dix-sept ans. Et visiblement ils n’auront pas grandi lorsque cinq ans plus tard, un lendemain de cuite (le mésestimé Nu-Clear Sounds fut un bide), ils affichent encore largement leur goût pour les gamineries : Tim Wheeler, compositeur et chanteur, s’affiche sur le sleeve de Free All Angels (2001) dégingandé dans une baignoire, et se verse de la vodka à grands jets dans le gosier. Une façon de rétorquer à ceux qui les ont délaissés un peu rapidement qu’ils n’ont rien perdu de leur insouciance un peu trash.
Le succès de ce troisième album (en dehors de la France) les relance sur une voie qu’ils connaissent par cœur et maîtrisent parfaitement : Ash, c’est un peu le son de tout le monde mais ils ne ressemblent à personne. Plus sales que Weezer, plus pop que Dinosaur Jr, moins fous que les Pixies et plus gentils que Nirvana, les membres d’Ash n’ont pas construit leur carrière sur un son particulier mais sur une forme de positive attitude tout à fait réjouissante. Jamais ils n’ont sorti de chef d’œuvre comme leurs aînés précités, mais leur carrière est d’une constance et d’une honnêteté à toute épreuve. Ils incarnent aussi une forme de résistance face à une industrie du disque cynique qui a failli les couler (après l’échec de Nu-Clear Sounds), en s’étant affranchis depuis quelques années du système : plus de maisons de disques, plus de distribution physique ou si peu. En 2009, ils se sont mis en tête de sortir pas moins de vingt-six titres (un par lettre de l’alphabet), en autant de semaines. Le genre de pari sans queue ni tête, a priori un peu écervelé, mais qui a conduit à une jolie collection de chansons énergiques et intemporelles, gavées de mélodies sucrées, les A-Z Series.
La musique d’Ash n’a pas grandi, elle n’a pas bougé d’un iota. Leurs paroles sont proches parfois de l’inanité, et on leur pardonnera bien volontiers leurs quelques ballades sirupeuses disséminées à droite à gauche. Car ces trois trentenaires qui ont désormais quasiment vingt ans de carrière ( !) sont malgré tout devenus adultes, ayant eu la droiture et le courage de s’affranchir d’ombres tutélaires qui les ont à la fois lancés et aliénés dans un court laps de temps, à un moment de leur vie où ils se construisaient en tant que personnes et artistes. Leur fraîcheur conservée après tant de temps passé dans le business laisse rêveur… Il serait donc possible de s’amuser toute sa vie ?
François Corda
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