DEATH WISH
Eli Roth

EnterreEst-ce qu’Eli Roth a raté son film ? Non. Est-ce qu’il est passé à côté de son sujet ? Un peu. Lui qu’on sait particulièrement virulent dans ses portraits à charge envers l’american way of life bourgeois paraît ici bien timoré. Il faut dire que la matière initiale, Un justicier dans la ville de Michael Winner, tient un propos sur l’autodéfense un peu embarrassant. Et on a le sentiment qu’Eli Roth et Joe Carnahan, son scénariste, n’ont pas voulu (pu ?) retrouver la veine politiquement incorrecte du « modèle ».

On leur doit toutefois d’avoir eu l’intelligence d’élever un débat simplement amorcé par Winner, et de se positionner clairement contre le port d’armes et la légitime défense. Au détour de quelques scènes, on perçoit ce que Death Wish aurait du être, c’est à dire une violente remise en cause du deuxième amendement ; le personnage du beau-père, à peine sorti de l’enterrement de sa fille, qui canarde des contrebandiers en toute impunité ; Paul Kersey qui se rend dans un supermarché de l’armement présenté comme un vulgaire (à tous points de vue) magasin de jouets. On reconnaît aussi la patte de Roth dans quelques séquences à l’humour corrosif, notamment via le personnage du détective Rains incarné par l’excellent Dean Norris, très à l’aise dans son rôle de beauf blasé, incapable de se faire à un régime sans gluten qui le dégoûte, et largué par une jeunesse que la morale a abandonné (la scène de canardage directement envoyée sur les réseaux sociaux). On a des regrets aussi concernant un beau personnage qui n’est qu’esquissé, Frank Kersey, frère de Paul, américain moyen respectable, ici clairement perçu comme une victime (visiblement endetté et accusé à tort).

Il y avait aussi une belle idée, celle de faire de Paul Kersey un chirurgien (plutôt qu’un architecte dans Un justicier dans la ville) : celui qui sauvait des vies jusqu’à présent se voit malgré lui muer en tueur de sang froid. Mais jamais ou presque ne transparaît le moindre tiraillement chez ce personnage finalement très binaire, assez peu sympathique par ailleurs (condescendant envers son frère) ; mais finalement trop encore en regard de ce qu’il commet. Qui plus est, le passage du drame à la décontraction se fait de façon mécanique : le changement de cap de Kersey, Eli Roth et Carnahan ont décidé de le traiter avec légèreté, d’en faire un motif comique (séquence amusante du psy de Paul Kersey qui ,voyant que celui-ci va mieux, l’encourage à poursuivre ses activités, dont elle n’a évidemment pas connaissance, si celles-ci lui permettent d’accélérer le processus du deuil). Cela aurait pu fonctionner si les séquences de vengeance avaient toutes été traitées comme celle du garagiste, c’est à dire avec cette démesure délirante dont Roth s’est fait spécialiste avec les années. A la place (est-ce un hommage ou une commodité de scénario ?), Bruce Willis reprend le sweat à capuche façon Incassable et zigouille avec application, sans que cela déborde outre mesure : la violence de Death Wish est la plupart du temps parfaitement inoffensive, trop polie, parce que bien trop propre.

Si Death Wish se suit pourtant sans déplaisir, c’est qu’Eli Roth conserve tout de même un certain sens du rythme (l’affrontement avec un parent, tendu, l’attaque de la maison, très belle, et la séquence de l’ascenseur, perturbante) et de l’irrévérence, ici malheureusement trop occasionnelle. Mais comme on regrette que le réalisateur des Hostel et autre Green Inferno n’ait su insuffler la folie qui est la sienne dans un récit qu’il aurait du, a priori, s’approprier sans mal pour en faire un vrai film dégénéré sur une société qui s’autodétruit chaque jour un peu plus, soumise qu’elle est à une loi crétine.

François Corda

| 9 mai 2018 | Etats-Unis

 

 

 

08/20

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