CHRIS CORNER AKA IAMX AKA SNEAKER PIMPS
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FocusChris Corner vit à un rythme effréné : depuis la fin des années 90, il sort un disque d’électro-pop tous les deux ans et enchaîne avec des tournées marathon. Pour la première fois depuis longtemps il est contraint de s’arrêter, bon gré mal gré, hospitalisé pour des insomnies chroniques. Peut-être est-ce la solution que son corps a trouvé pour lui imposer de se calmer. Cette pause forcée est l’occasion pour nous de revenir sur cet artiste dont la frénésie et la volonté de contrôle masquent sans doute un grand besoin de reconnaissance. Un besoin jusqu’à ce jour non satisfait.

Ce sont les premières années de la carrière de Chris Corner qui déterminent le mieux son personnage. Leader du groupe Sneaker Pimps depuis son adolescence, Chris Corner connaît le succès à seulement vingt-deux ans avec l’album Becoming X (1996), et ce en laissant la vedette à la chanteuse Kelly Dayton. Ce « sacrifice » de la part de Corner fut sans aucun doute payant : la voix acide de Dayton, était, à n’en pas douter, en grande partie à l’origine du pouvoir de séduction d’un Becoming X, qui, musicalement, lorgnait un peu trop vers le trip-hop, courant mis à la mode par Portishead. Sneaker Pimps, comme Chris Corner, n’en est alors, malgré une réussite pour le moins rapide, qu’à ses balbutiements. Car si ce premier disque est séduisant (en dehors des qualités vocales de Dayton), il le tient surtout à sa capacité à trousser des mélodies impeccables et à faire le grand écart entre douceur et furie. Car pour le reste, Becoming X pêche par un son trop froid et un certain opportunisme. Chris Corner en a certainement pris conscience rapidement, car il va très vite remettre les pendules à l’heure.

Pour bien saisir le coup de Trafalgar qui s’ensuit, il faut revenir sur la pochette de Becoming X. Celle-ci illustre très bien le fait que Chris Corner a eu, dés le début de sa carrière, une vision très particulière de la notion de « groupe de musique ». Sneaker Pimps est en effet initialement composé de cinq membres, dont, bizarrement, trois seulement apparaissent sur le sleeve : les deux compositeurs (Chris Corner donc, et son ami co-compositeur Liam Howe), ainsi que la chanteuse Kelly Dayton, magnanimement mise au premier plan. Une anomalie dissipée dès le second album, Splinter (1999) : deux ans après la sortie de Becoming X, le groupe (Corner ?) décide en effet de se séparer de Dayton. Devinez qui prend sa place au chant ? Chris Corner, bien entendu. Cette décision, que l’on pourrait aisément qualifier de putsch, est mégalomane et surtout suicidaire en termes commerciaux puisqu’elle met fin à l’identité du groupe, associée jusqu’à présent à la voix de Dayton. Mais c’est aussi une décision qui va se révéler salutaire artistiquement parlant.

Splinter est de fait une révélation à bien des égards. Déjà, Chris Corner impose très rapidement une voix faite pour la pop. Une voix de chat, caressante, mais qui peut griffer à l’envi. Cela tombe plutôt bien, Splinter est un disque qui feule. D’ailleurs, près de quinze ans après sa sortie, la production assurée par le combo est encore d’une beauté éblouissante : la batterie et la basse, feutrées, sont le meilleur héritage d’un trip-hop du meilleur cru. Mais les guitares, tour à tour électriques et acoustiques, rivalisent avec des claviers qui emportent le disque définitivement ailleurs, dans un cocon mélancolique synthético-organique tout à fait singulier. Le groupe a alors définitivement trouvé son identité. Le son évoluera encore par la suite, mais la voix et l’ambiance de Splinter resteront en filigrane. Ne doutons pas qu’on doit cette transformation à Chris Corner. Un Chris Corner qui, cette fois, est sans surprise absolument seul sur la pochette de Splinter, une coupe de cheveux mutilée en guise de couronne. La mutation est initiée, et le disque, lui, sort malheureusement dans l’indifférence, Sneaker Pimps n’ayant gardé de l’époque de Becoming X que le nom du groupe, perdant par la même occasion la bienveillance d’une presse et d’un public conquis par la première formule.

Toutefois, Chris Corner est alors encore dans une période de recherche. La preuve en est le dernier disque de Sneaker Pimps, Bloodsport. Eclaté, ancré à la fois dans un trip-hop façon Splinter et un mouvement dancefloor très affirmé, Bloodsport est un vrai disque testament dans la mesure où il signe littéralement la fin de Sneaker Pimps en tant qu’entité de groupe, reléguant cette fois la batterie acoustique à un rôle secondaire, la plupart des beats laissant planer un mystère quant à leur origine : programmations ou batterie électronique ? Cela met en tout cas fin à un secret de polichinelle : oui, Chris Corner est bien seul aux commandes. La tournée qui suit traduit très bien cela : Liam Howe, jusque-là crédité comme collaborateur de Corner dans les compositions, est absent sur scène à Paris et en festivals. Il faut dire que le chanteur est omniprésent, faisant preuve d’une maîtrise de l’espace impressionnante. Lutin sautillant, tantôt mime, tantôt boule de nerfs agitée de convulsions, Corner achève sa mue lors de cette tournée. Becoming X, comme l’annonçait le titre du premier album de Sneaker Pimps. Désormais, Chris Corner est devenu ce X séminal, un X autant symbole d’anonymat que de pulsions sexuelles mises à jour. Une nouvelle carrière commence alors, celle d’IAMX, un patronyme qui confirme que la transformation de l’anglais est parvenue à son terme.

Kiss And Swallow (2004) recycle des compositions à la base prévues pour la suite des aventures, avortées, de Sneaker Pimps. L’album est sans doute un peu long mais il laisse toute la place aux exubérances d’un Chris Corner qui semble désormais possédé par une dance sombre, parfois agressive, souvent lyrique. Définitivement, l’anglais a trouvé dans ce personnage nombriliste de X, torturé et provocateur (qu’il dévoile dans ses pochettes et sur scène), et dans Berlin, sa ville d’adoption, une véritable mine d’inspirations. A l’instar de David Bowie et Martin Gore de Depeche Mode en leur temps, cette ville transgressive sied parfaitement à l’état d’esprit décadent et puissant que dégage la musique de Corner. Cet état de grâce est tel que ce dernier n’a de cesse d’enchaîner disques et tournées depuis Kiss & Swallow (le point d’orgue fut The Alternative), creusant comme une âme en peine un sillon qui lui appartient définitivement.

Cet emballement continu, qui est parvenu à fédérer peu à peu une petite communauté de fans transis, semble trouver un terme avec cette hospitalisation plutôt surprenante. Car Chris Corner venait justement de témoigner, pour la première fois depuis dix ans, de velléités de calme et d’ouverture aux autres avec The Unified Field, son dernier album paru cette année : de nombreuses ballades et des featurings discrets (dont celui de Liam Howe) y marquent en effet une légère volonté d’évolution. Il n’est pas impossible que cette mise en péril de sa santé joue sur l’orientation de ses productions futures. Un mal pour un bien ?bub

François Corda

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