TRUE DETECTIVE : SAISON 1
Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga

Duel 18.10.00True Detective se veut être une série policière pas comme les autres. Mais sa singularité est-elle juste ou artificielle ? Cette première saison divise François et Laurent. Explications détaillées.

François Corda : (trop) bien réalisé, (trop) bien joué, (trop) bien scénarisé/dialogué… Trop prévisible. De mon point de vue True Detective, à trop vouloir bien faire, manque sa cible, à savoir peupler le panthéon des séries. J’ai apprécié l’ambition des créateurs, beaucoup moins sa mise en œuvre, que j’ai trouvée empruntée. Occasionnellement ça m’a rappelé Zodiac de Fincher d’ailleurs, qui m’avait laissé la même impression de « bien mais pas top ». Ca manque de tripes tout ça, non ?

Laurent Leplaideur : Bien entendu, je remplacerai « trop » par « très »… Mais qu’entends-tu par trop prévisible ?

FC : La série abat toutes ses cartes dans les premiers épisodes : trois époques différentes, deux personnages hauts en couleur qui tentent de réinventer le buddy movie (c’est peut-être l’aspect le plus réussi), ambiance glauque. Finalement l’enquête est plutôt secondaire… Quand on a vu un épisode de True Detective, on a vu toute la série.

LL : Je reconnais que la série souffre de défauts, mais en attendant de rentrer un peu plus dans le vif du sujet,  j’aimerais revenir sur ton allusion à Zodiac. Le grand problème de Fincher est d’avoir voulu une intrigue et une ambiance de thriller vertigineux, donc de fiction, sans s’éloigner des faits réels dont le film était inspiré. Or comme l’enquête n’a jamais abouti, cela se termine forcement en queue de poisson et le spectateur se sent lésé. C’est un peu comme lire quatre cent pages de roman policier pour finalement ne jamais avoir les dessous et le résultat de l’enquête.

FC : Complètement d’accord !

LL : Oui mais justement True Detective est de la pure fiction, avec finalement une intrigue très simple, mais pas simpliste,  un traitement particulier, oscillant entre pur thriller et ambiance quasi mystique, et qui répond au problème posé : qui a tué et pourquoi ? Après c’est peut être la promesse de l’ampleur de cette question qui ne t’a pas plu.

FC : Pour moi ce ne sont pas les réponses apportées à cette question qui sont les plus intéressantes. L’un des problèmes c’est que les créateurs de la série nous ressortent le bon vieux refrain du redneck. Or cela fait quarante ans que Tobe Hooper a posé cette problématique avec Massacre à la Tronçonneuse ! Rien de bien neuf donc. A la limite l’une des rares originalités de True Detective est de nous suggérer que Martin et Rust en sont peut-être des spécimens urbains… Mais bref, ce qui m’a surtout attiré au départ (puis beaucoup déçu par la suite) c’est le cadre (le southern gothic), et le potentiel d’un duo d’acteurs que j’aime énormément. Or on ne voit pas grand-chose de la Louisiane, alors que c’est un état qui a déjà démontré qu’il avait un pouvoir cinématique énorme (cf. Dans la brume électrique, Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle-Orléans, et plus globalement les trois films de Jeff Nichols). Quant aux acteurs, j’incriminerais surtout Matthew McConaughey, qui en fait des tonnes, en plein dans un trip Actor’s Studio…

LL : Déjà, tu cherches des réponses à des questions qui ne sont pas posées. Le titre parle de lui-même, une histoire centrée sur deux inspecteurs et une enquête s’étalant, un peu faussement je l’admets, sur vingt ans. Et puis je ne parlerais pas de problématique redneck. Plutôt d’une vision, nouvelle en télévision, de la pauvreté blanche, apparue d’abord dans la série My Name is Earl, puis Justified et réutilisée ici dans True Detective. Mais ceci n’est qu’un environnement, pas le personnage central de la série, qui serait plutôt le couple de détectives. D’ailleurs tu remarqueras que jamais on ne voit un antagoniste ou personnage secondaire seul à l’écran. Aucun temps d’antenne, aucun focus ne leur est attribué ; sauf au début du dernier épisode. C’est un procédé aussi utilisé dans L.A. Confidential

Quant au southern gothic, contrairement à ce que tu dis, je le trouve présent : dans chaque route ou chemin que les deux héros empruntent. On ne les retrouve jamais dans aucun environnement urbain pendant la série.  Même la séquence de fusillade (fin de l’épisode 4, je crois) laisse place à pas mal d’espace, de vide avec des demeures qui ressemblent plus à des bungalows qu’autre chose. Les personnages sont souvent cloisonnés dans leurs maisons, leur lieu de travail comme si l’extérieur était dangereux, à bannir complètement. Il n’y a jamais de vue d’ensemble de grande ou petite ville, donnant l’impression que tout le monde vit dans des coins reculés ou abandonnés.

FC : L’idée que je me fais du southern gothic (peut-être à tort) repose plus sur les paysages et les humains qui le peuplent… Or la série se concentre quasi uniquement sur le quotidien de Marty et Rust, qui ne me semblent pas être des échantillons représentatifs de cette population. C’est en cela je me suis senti frustré.  Mais bref continue !

LL : Oui je reviens sur l’interprétation et notamment celle de Matthew McConaughey. As-tu remarqué que généralement là où on lui reproche d’en avoir trop fait, là où se situent la plupart des parodies qui fleurent déjà sur le Net, concerne toujours son personnage, vieux, et interrogé par les deux autres flics ? Justement c’est voulu, ça fait partie intégrante de l’intrigue : il cabotine, il les mène en bateau, il force le trait… Mais uniquement pour et avec eux. Dès lors qu’il retrouve son partenaire, observe comme il redevient le Rust d’avant, distant, calme, ailleurs… J’ai l’impression que tout le monde a foncé vers cette apparente exagération, en pensant que c’en était une, alors que c’est juste de la manipulation de la part du personnage.

FC : Pas extrêmement convaincu : si le spectateur lambda (moi et beaucoup d’autres apparemment) pense que McConaughey est dans le surjeu, alors que penser de deux flics censés être aguerris qui se laisseraient berner par ce type de roublardises ? Sa façon de parler, traînante (quelle que soit l’époque), sa façon de tirer sur sa cigarette (quelle que soit l’époque), tout cela est un peu too much en ce qui me concerne. Et puis au-delà de ça il y a les considérations pseudo-métaphysiques récurrentes du personnage qui m’ont barbé… Mais ça c’est plus un problème de dialoguistes/scénaristes je le reconnais.

LL : Moi ce qui m’a interpelé c’est que le surjeu concerne aussi Marty. Comme quoi tout cela est sans doute voulu. Rappelle-toi, lors de la séance d’interrogatoire, Marty joue au rôle de flic vétéran décoré et père de famille modèle… Deux images complètement fausses comme on le verra par la suite. Bref de mon côté j’ai trouvé qu’il y avait un jeu d’acteur assez rare pour une série voire même une sacrée composition de la part de Matthew McConaughey. Quant à Woody Harrelson, cela change de le voir dans ce genre de rôle. Parlons peut être de l’intrigue, car là se situent plutôt les vrais défauts de la série. Quels sont-ils pour toi à ce niveau ?

FC : Oui visiblement on est d’accord là-dessus, l’intrigue est plutôt molle, parfois confuse, voire même tirée par les cheveux en ce qui concerne son dénouement. Pas de spoiler, mais disons que la « révélation » finale de Marty laisse bouche-bée… Et surtout, comme je le disais en intro, la série ne tient pas les promesses de son titre. Mis à part l’obstination, le côté borderline et le petit cartable sous le bras de Rust, on ne voit pas réellement en quoi les créateurs ont su renouveler le genre, proposer des personnages à part. Qu’entendent-ils par « true » detective ? C’est peut-être là-dessus qu’il faut enquêter !

LL : True Detective : parce que tout est focalisé sur ces deux personnages, sur leur manière d’aborder une enquête qui va virer à l’obsession, comment cela va affecter leur vie privée, guérir ou aggraver leurs failles (apparente folie, culpabilité, mensonge, lâcheté…). Parce que les réactions des personnages et l’action que l’on trouve dans la série restent « réalistes » par rapport à d’autres shows. J’entends par là que d’un côté on touche à des meurtres, à la drogue, à des situations dures ou très glauques mais sans verser dans l’exagération d’un Dexter ou d’un Nip Tuck, et de l’autre on s’éloigne d’une série policière où les personnages sont des « super héros » infaillibles avec des scènes d’actions dignes d’un Die Hard. Au-delà de ça, le titre de la série est aussi, ne nous le cachons pas, un élément marketing voulant dire : on fait mieux que les autres car on fait du « vrai ».

FC : Sur Ecoute (The Wire) a fait cela aussi, me semble-t-il avec plus d’humilité. Le résultat était certes moins léché, la réalisation moins soignée, mais la série atteignait un stade de vérité documentaire qu’effleure seulement True Detective, justement à cause de ses afféteries diverses et variées (de dialogues, de réalisation d’interprétation etc .).

LL : Revenons à l’intrigue. Je ne la trouve pas si molle que ça. Dans l’ensemble  elle fonctionne bien, suffisamment pour m’avoir donné envie de continuer après chaque épisode. Elle avance certes à son rythme, mais je l’ai trouvé passionnante, vertigineuse avec un réel mystère qui se tient et un équilibre parfait entre le thriller pur et dur, et quelque chose qui pourrait tourner au fantastique. Et là j’évoque la mise en place de l’intrigue, son développement par la suite, ses fausses pistes et même  son dénouement que j’aime assez. Je parle donc de l’ensemble.

FC : Pour moi l’intrigue n’évolue pas de façon linéaire mais par à-coups un peu artificiels (je pense notamment à la « révélation » tardive de Marty). Et puis je ne vois pas du tout ce qui justifie, dans True Detective, le format d’une série par rapport à un film de cinéma. La série grille toutes ses cartouches assez rapidement quand même…

LL : C’est vrai qu’on a l’impression que la série s’arrête à l’épisode 5, pour ne réellement redémarrer qu’au dernier épisode, sauf que vue la durée, il n’y avait pas assez de place pour en mettre autant qu’on ne le voulait et l’ensemble paraît un peu expédié à la va vite.

FC : Oui ou alors que ça s’étire en longueur !

LL : En tout cas j’ignore si c’est finalement le scénariste qui n’a pas réussi à aller jusqu’au bout de ce qu’il avait vendu à HBO ou si c’est la chaîne qui lui a tapé sur les doigts à un moment donné pour changer tout ou une partie de l’éventuelle direction que prenait l’intrigue, mais les épisodes 6 et 7 semblent avoir été écrits par quelqu’un d’autre. Comme si on avait subit une micro grève des scénaristes à Hollywood ! Ils sont mous et ne font rien avancer. Je l’aurais accepté sur un épisode, comme une éventuelle transition puisqu’on passe définitivement au présent dans l’action, mais pas sur deux, surtout pas si près de la fin. Malgré tout ils sont retombés sur leurs pattes.

FC : Oui ils retombent sur leurs pattes mais précisément par un truc scénaristique que j’ai trouvé peu convaincant. Et puis cette fin ne nous évite pas de nouvelles digressions pseudo-mystiques de Rust sur les étoiles ! Il y a aussi tout un pan de l’intrigue qui passe à l’as et qu’il aurait été très convaincant de creuser : la multiplication des types d’églises (sectes ?) aux Etats-Unis et l’implication de certains de leurs dirigeants dans des affaires pas très nettes…

LL : Il y a aussi la promesse d’une éventuelle conspiration, de quelque chose d’assez énorme qui n’est pas réellement tenue. On s’attendait à entrer dans les  hautes sphères de la bourgeoisie  Sudiste, à découvrir, avec effroi, des rites ancestraux mélangeant vieilles croyances et vaudou dans une ambiance décadente à la Eyes Wide Shut mais à la sauce Cajun ! Peut être est-ce trop cliché ou alors trop prévisible dans la série pour que finalement  le créateur et principal scénariste de la série parte vers, non pas sensiblement autre chose, mais un dénouement à une échelle moins ambitieuse.

FC : Sans doute. En tout cas c’est une série qui ne laisse pas indifférent, elle tente des choses et à ce titre est méritante. Chacun décidera s’il doit garder en mémoire ses échecs ou ses audaces.

François Corda et Laurent Leplaideur

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True Detective de Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga (Etats-Unis ; 8 épisodes de 1h)

Date de sortie : 12 janvier 2014

bub

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