SUS AU TRAIN-TRAIN !
bilan cinéma 2013

FocusMais qu’y a-t-il de pire que le train-train quotidien, les gestes répétés, le machinal qui l’emporte sur toute volonté de changement ? Rien que d’y penser on soupire, qu’il s’agisse de notre existence en général ou de notre expérience de spectateur. Au moment de faire le bilan d’une nouvelle année de cinéma, force est de constater qu’en 2013 les films qui nous ont plu sont ceux qui sont parvenus à nous sortir, et en fait à se sortir, de cette routine. Des routines de la réalisation de la scénarisation, et de la perception au cinéma.

Gravity (et dans une moindre mesure All Is Lost) ont réussi ce coup, avec un souffle gigantesque. Le « métro-boulot-dodo » oublié en 1h30, au profit d’un grand voyage que la plupart d’entre nous ne connaîtrons jamais, celui de l’espace et de l’océan en solitaire. Comme un signe, All Is Lost, sorti quelques semaines après Gravity, commence là où s’achève ce dernier : par un naufrage. Loin d’être anxiogènes, les mésaventures des astronautes et du loup de mer nous apaisent (ah, l’éternelle douceur de Georges Clooney, l’imperturbabilité de Robert Redford !) ; car quelles sensations plus douillettes que celles de l’apesanteur, du flottement ? En ce qui concerne Gravity, on n’avait même, il faut le dire, jamais vécu la 3D de cette manière. Celle, déjà stimulante, d’Avatar semble désormais très très loin. Bref on n’avait jamais « ressenti » comme ça au cinéma : avec Gravity, l’expérience n’est plus seulement visuelle, auditive et intellectuelle, elle est aussi physique.

Cloud Atlas est tout près en termes de sensation même si c’est ici plus intellectuel que corporel : redéfinition de la narration (on suppose que les Wachowski et Tom Tykwer ont regardé beaucoup de séries), véritable gant jeté à la face du cinéma à la papa, à ses repères conventionnels, Cloud Atlas est une œuvre monstrueuse, qui apparaîtra comme un salmigondis new-age pour certains mais qui, pour peu qu’on se laisse porter par le caractère sériel du film, les changements incessants d’époques et les grimages fantastiques, nous transporte vers quelque chose d’absolument neuf, entre expérimentations et entertainment pur. Cloud Atlas est un gigantesque patchwork de propositions de cinéma de genre, qui peut se permettre de revendiquer ses influences haut et fort (Soleil Vert, Vol Au-Dessus d’Un Nid de Coucous, la blaxploitation…), voire de faire de l’autoplagiat (Matrix) du fait de l’esprit par ailleurs clairement novateur et ambitieux du projet.

Mud trouve naturellement sa place aux côtés des aventures dépaysantes de Cloud Atlas. Ce troisième film du surdoué Jeff Nichols est un conte, un pont entre l’enfance et le monde des adultes, avec son île déserte, ses Tom Sawyer et ses bandits, bons et mauvais. Nichols a déjà trouvé, en seulement trois films, sa marque de fabrique ; et cela se joue à d’autres niveaux que la technique. Le réalisateur est avant tout un créateur d’ambiances, qui puise son inspiration dans le southern gothic. Une Amérique dans laquelle tout semble encore possible, loin de ses métropoles vues et revues depuis tant d’années.

La Bataille de Solférino, Le Passé et L’Inconnu du Lac tiennent une place à part dans ce top : tous les trois filmés en France, ayant trait à des événements de vie et de cinéma a priori plus « banals » (couple en crise pour les deux premiers, meurtre pour le troisième), ils se démarquent pourtant du tout venant par une faculté à créer des mises en situations uniques. Justine Triet a eu l’idée de placer son drame familial au cœur d’un contexte extraordinaire : les élections présidentielles de 2012. C’est ce cadre et ce contexte qui rendent le conflit de Laetitia et Vincent si trépidant. Parce que leurs faits et gestes sont inscrits dans la temporalité des résultats de ces élections, liés à la foule qui les entoure. Idem pour Alain Guiraudie : le meurtre importe moins que le fonctionnement de la communauté et la beauté des lieux, atypiques (rencontres homosexuelles, un lac superbe isolant une plage déserte). Quant à Asghar Fahradi, on ne présente plus son talent de brouilleur de pistes. On croit s’engager dans une situation ordinaire pour déboucher petit à petit dans un thriller ultra tendu. Dans ces trois films le quotidien est rattrapé par l’exceptionnel.

A cheval entre l’aventure pure et l’effarante dureté du ronron urbain (barres HLM versus village sénégalais, argent sale versus talent spontané), Comme Un Lion fait son trou parce qu’il a le mérite de nous faire croire à l’impossible : la survie (et non la starification, ce qui contribue à rendre le parcours réaliste et donc encore plus touchant) d’un gamin naïf et doué dans le milieu corrompu du football professionnel. C’est un destin à part, et finalement, le conte de Mud n’est pas si loin…

Un mot sur l’immense plaisir ressenti à la vision de la saison 2 d’Homeland : chaque épisode nous donne l’impression d’être au cœur de secrets d’état tous plus bouillants les uns que les autres. Inutile de dire que vis-à-vis de la langue de bois pratiquée par nos dirigeants, c’est un vrai appel d’air, voire un bonheur interdit, très loin de l’opacité de Zero Dark Thirty. Quant à The Bay, nous avons eu l’occasion de voir en détail en quoi cet apparent tout petit film cachait de profondes remises en questions cinématographiques (rouages de la mise en scène, construction d’un scénario) : on est loin, très loin des commodités hollywoodiennes en matière de film de genre.

Espérons qu’en 2014, des réalisateurs de ce monde sauront nous remuer tripes et méninges, bousculeront nos attentes tel que l’ont fait nos élus de cette année. En tant que citoyen cinéphile, nous avons besoin de ces stimulations pour rendre notre quotidien plus beau, plus surprenant, plus vibrant !bub

François Corda

bub

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Top cinéma 2013

01 – Gravity
02 – Cloud Atlas
03 – La Bataille de Solférino
04 – All Is Lost
05 – Homeland saison 2
06 – Mud
07 – L’Inconnu du Lac
08 – Le Passé
09 – Comme Un Lion
10 – The Bay

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