HYPO & EDH
interview

RevueHypo & EDH viennent de sortir leur deuxième album à quatre mains : Xin. De nouveau leur électro-pop atypique fait mouche. Mais cette fois nous nous sommes dit que, au lieu d’en faire une chronique (vous trouverez d’ailleurs des articles sur les deux artistes dans les pages de BUB), nous allions plutôt les interroger sur la conception de Xin. L’occasion pour eux de revenir sur les Jeux olympiques de Pékin, les expérimentations de Robert Smith et les vertus de l’acrobatie…

Qu’est-ce qui vous a réuni, six ans après votre premier album composé ensemble, The Correct Use Of Pets ?

Hypo : A vrai dire on n’a jamais vraiment cessé de travailler ensemble. Nous avons fait des albums chacun de notre côté, bien sûr, mais EDH a participé à mes deux derniers disques. Et même si elle a tourné avec son groupe de filles, nous avons continué à jouer ensemble sur scène pour faire la promo de mes disques solos car c’était ce qui me semblait le plus naturel. Donc depuis notre premier album en duo, nous avons fait énormément de concerts dont des tournées en Suède et en Chine.

En ce qui concerne la Suède, je ne sais pas pour quelle raison, mais Active Suspension, notre précédent label, a toujours eu un certain succès dans ce pays et avait donc un bon réseau pour y organiser des tournées. Concernant la Chine c’est Léo de Boisgisson, une française expatriée qui nous y a convié en 2008 et qui a tout organisé. C’était vraiment une expérience intense. C’est un pays très dur et sans l’escorte de Léo, je pense que nous en aurions bavé. D’autant que nous y étions juste avant le lancement des J.O. et que le climat était un peu tendu vers la fin.

Ensuite, pour continuer de répondre à ta première question, en 2010 nous avons initié une série de concerts de musique improvisée dans des lieux aussi divers que le Centre Pompidou, dans les locaux de Radio Campus et même dans un hôpital psychiatrique. Et je pense que ce travail plus libre a été le point de départ du nouvel album. Nous avons travaillé avec pas mal de gens différents, un temps nous avons même eu un batteur sur scène, Ricky Hollywood, qui a ensuite joué avec Egyptology et qui est maintenant avec Melody’s Echo Chamber. Mais c’est notre formule à deux qui me donne le plus de satisfaction. Ce qui n’exclut pas qu’il s’écoule encore plusieurs années avant notre prochain album ensemble.

Dans les chansons de Xin, on retrouve un aspect assez ludique (pitch sur la voix d’Edh, sons étranges, changements de ton inattendus) et en même temps la tonalité de l’album est assez sombre… Comment envisagez-vous la création musicale : est-ce un jeu ou plutôt un moyen d’introspection pour vous ?

EDH : On passe par plusieurs états quand on compose. Pour ma part, il y a une phase d’écriture très intuitive, avec parfois une charge émotionnelle importante. Peut-être la partie la plus introspective.  Et une phase plus réfléchie. Ou il s’agit plus de remise en question, de mise en abyme. Tout ça peut être aussi très ludique. Que ce soit Anthony ou moi, nous aimons retourner les choses et nous surprendre. Ca peut parfois tourner à la blague. A force de retourner le travail de l’un ou de l’autre, certains morceaux se transforment en véritables champs de bataille. On arrive  parfois à des choses douloureuses et plaisantes à la fois. L’objet final est souvent passé par plusieurs phases avant de trouver sa forme définitive.

Xin reste un album cérébral mais il est néanmoins plus accessible que votre dernière collaboration. Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette direction ?

Hypo : Je ne sais pas si c’est vraiment plus accessible. Quoi qu’il en soit, ça n’est pas le but recherché. Ce qui est certain c’est que nous avons travaillé différemment. Nous nous sommes davantage réunis à deux devant l’ordinateur que sur le premier. Sur The Correct Use Of Pets nous avons travaillé à distance et sans instruments analogiques.Sur Xin, nous nous sommes souvent réunis chez l’un ou chez l’autre, surtout dans la finalisation et nous avons joué de la basse, des percussions et d’autres instruments en direct. Et surtout, je pense que nous avons tout simplement beaucoup plus travaillé sur cet album que sur le premier. A mes yeux, le travail n’a jamais été un critère très déterminant sur le plan qualitatif. J’ai toujours défendu les cancres et les bidouilleurs qui te pondent un truc super en deux heures, mais il faut croire que le travail apporte une dimension différente aux choses. Je ne dis pas supplémentaire, mais différente. Sur ce disque on en a vraiment chié. Et on a eu du déchet. On a viré au moins dix morceaux plus ou moins aboutis avant d’être content de la direction que ça prenait. Donc « plus accessible », je ne sais pas. Avant tout nous voulions ne pas nous répéter et nous voulions faire un bon disque, et je crois que la mission est remplie.

EDH : On est toujours classés dans la catégorie « spé ». Mais pour nous, notre musique est tout à fait normale. Nous produisons de la pop qui va chercher sur des territoires moins classiques. J’aimerais ne plus être considérée comme « spé ». Ce serait le signe que le public accepte les musiques un peu moins formatées. Il serait temps d’élargir un peu le spectre de la « normalité ».

Xin interpelle parce qu’on sent qu’il vous serait facile de le rendre encore plus efficace, plus dansant. On sent que vous résistez à cette tentation de rendre vos compositions plus évidentes. C’est un parti pris courageux mais risqué… Pourquoi ce choix ?

EDH : Ce n’est pas un choix. Ce que nous faisons, au moment ou nous le faisons, nous pensons sincèrement que c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Nous ne sommes pas tentés d’aller faire des compositions évidentes puisque ça ne nous intéresse pas. On prend beaucoup de risques mais ce n’est pas de l’ordre du courage. Ce sont pour nous des convictions que nous gardons intactes. Ce n’est absolument pas envisageable pour moi de faire des compromis. Je n’en vois pas l’intérêt. Nous avons poussé Xin au maximum de nos capacités. Et visiblement, même si l’album a parfois des accents club, ce n’était pas le but de l’opération. En gagnant en efficacité sur ce terrain-là, nous aurions perdu en subtilité et en profondeur.

Est-ce que votre collaboration vous oblige à revoir vos méthodes de composition, et si oui, en quoi ?

Hypo : Figure-toi que jusqu’à l’an dernier, je n’avais même pas un synthé chez moi. Je faisais tout à base de samples, de programmation, ou bien je faisais appel à des collaborateurs. EDH m’a foutu un vrai coup de pied au cul dans la genèse de notre album. Elle m’a poussé à m’acheter un Korg, puis à rejouer de la basse (j’en jouais un peu quand j’étais ado), tout ça pour donner notre formule live actuelle qui est de loin la plus « live » que nous n’ayons jamais eue ensemble. Cela a forcement déteint sur la façon de concevoir la musique. Un ami m’a dit « Ce disque, on dirait que vous l’avez composé pour pouvoir le jouer en live ». Mais à vrai dire, c’est plutôt le contraire. Nous avons en partie composé ce disque en live. Ce n’est pas forcément une manière de travailler à laquelle j’aspire, je ne la considère pas comme plus intéressante ou plus respectable, mais elle m’a fait du bien ces dernières années.

EDH :
Pour ma part, en-dehors de ma collaboration avec Hypo, je compose seule. Donc forcément, ça change des choses. Je dois montrer plus de souplesse. C’est parfois proche de l’acrobatie. C’est ce qui rend aussi cette collaboration très intéressante.

Qu’apporte Edh à l’univers d’Hypo, et vice versa ?

EDH : Nous avons une sensibilité commune à la base. Malgré nos approches différentes, il y a quelque chose de familier qui nous rassemble. Anthony aura toujours ce côté caléidoscope déconstruit, et moi une part plus rock éthéré. Sur notre premier album on jouait beaucoup plus sur nos différences. Sur Xin, la frontière est devenue plus ténue. Il nous arrive maintenant de ne plus savoir qui a fait quoi. Depuis le moment où Anthony m’a proposé une première collaboration pour son album Random Veneziano, il s’est passé dix ans. On a eu le temps de s’influencer l’un et l’autre. En-dehors de ces deux albums, nous avons énormément collaboré sur des remixes, des compiles, des impros et autres projets musicaux.

En parlant de remix, vous avez remixé récemment du Sexy Sushi. Comment expliquez-vous le succès que rencontre le duo en ce moment ? En quoi vous sentez-vous proches de leur univers qui n’a, finalement, pas grand-chose à voir avec le vôtre ?

Hypo : Je ne me sens pas proche de toute leur production mais je la respecte. Et j’aime vraiment beaucoup certains titres comme « Je refuse de travailler » (j’adore les chœurs fantômatiques sur ce morceau) ou « Retour de Bâton », justement (le morceau remixé par le duo, ndlr). Ce sont des morceaux intimes et subtils qui me touchent vraiment. Je pense que le groupe a du succès parce qu’il a parfaitement synthétisé plusieurs choses qui se faisaient rares dans la pop française : une sorte de réactualisation du punk façon Bérurier Noir avec des shows truffés de freaks et de débordements, des textes et une musique assez libres et efficaces. Je les ai vus à l’Olympia le mois dernier et c’était amusant de constater la diversité de leur public : des punks, des vieux teufeurs, des ados, des bobos, des branchés, des gens de tous les âges.

Xin fait figure d’intrus dans le monde de l’électro actuel car il n’est pas submergé par les infrabasses, comme la plupart des productions du genre. Que pensez-vous de ce phénomène actuel de l’hyperproduction ?

Hypo : A vrai dire je ne sais pas trop à quoi tu fais référence car je n’écoute plus tellement de musique électronique. Et le peu que j’écoute aujourd’hui n’est pas chargée en basse. J’achète tout ce que font Dean Blunt & Inga Copeland (Hype Williams), j’aime aussi beaucoup Actress et Shangaan Electro qui ne font pas franchement dans les infra basses. Mais le reste ne me concerne pas vraiment, je pense. Et au final, je ne pense pas que nous fassions de la « musique électronique ». En gros nous faisons de l’electropop. C’est ce qui nous résume le plus. Quand il y a du chant, de la guitare basse et des ordinateurs, j’ai du mal à parler de musique électronique. Sur cet album, je nous sens plus proche de Kim Ki O, La Chatte, Holy Balm, Gang Gang Dance, Telepathe ou Peaking Lights.

Ce que je voulais dire c’est que, même sur les très bons disques d’électronique (ou électro-pop, ou même hip-hop), on sent qu’il y a à la production cette volonté d’en mettre plein la tête à l’auditeur, de gonfler le son au maximum. C’est un penchant de cette loudness war dont on parle depuis quelques années…

Hypo : Je pense qu’on est justement en train de sortir de la loudness war. Je trouve que depuis deux ou trois ans, on a un vrai retour de la dynamique dans les productions. Et les gens qui écoutent vraiment la musique, et ils sont tout de même nombreux, en ont vraiment assez qu’on leur saborde leurs albums préférés à coup de remasters surgonflés. Bien sûr, je ne suis pas totalement contre la compression, même extrême, quand c’est abordé comme un instrument. J’aime beaucoup le premier album de Salem, par exemple. Et puis EDH a mixé la plupart des titres de l’album et je sais qu’elle aime bien aller un peu dans le rouge sur le volume général. Pour finir, on a fait masteriser le disque par Krikor qui l’a bien compressé quand même. Ça se ressent surtout sur le vinyle. Donc en définitive, je crois que nous avons savamment dosé notre production.

Je voudrais revenir sur l’une des influences revendiquées dans votre dossier de presse. Vous évoquez l’album The Top de The Cure. Ce disque fait pourtant partie des mal aimés du combo… Qu’est-ce qui vous plaît dans ce The Top justement, et qu’est-ce qui le rapproche de votre univers, selon vous ?

EDH : Bien qu’ayant énormément d’affection pour The Cure, je laisse la parole à Hypo qui se fera un plaisir de répondre à cette question. 

Hypo : Effectivement, je reste un grand fan de Cure. Et c’est vrai que contrairement à la plupart des fans de Cure, j’ai toujours préféré la période psyché électro de Robert Smith à sa trilogie cold wave. La compilation Japanese Whispers, l’album The Top, mais aussi l’album de The Glove (excellent disque réalisé par Smith en collaboration avec Steven Steverin, bassiste de Siouxsie & The Banshees, ndlr) sont de pures merveilles d’inventivité. C’est pour Smith une période vraiment expérimentale au sens littéral du terme. Sous l’influence de tout un tas de drogues, il essaye beaucoup de choses à ce moment-là. Et surtout, il est presque seul dans le groupe, donc il a recours à pas mal d’électronique et de programmations. Et puis, il voyage pour la première fois au Japon, puis en Israël avec les Banshees et il va mettre tout ça dans sa musique entre 1982 et 1984. C’est pour moi la période la plus intéressante de The Cure. Depuis mes premiers essais musicaux en solo qui datent de 1991, j’ai constamment ces disques en tête quand je commence un album. Mais il y a d’autres disques qui m’ont autant marqué. A-Z de Colin Newman ne me quitte jamais non plus.

Plus généralement, que pensez-vous de la scène électro internationale actuelle ? Qu’est-ce qui vous séduit, qu’est-ce qui vous agace ?

Hypo : La musique électronique ne m’agace ni plus ni moins que les autres musiques. Il y a comme pour toutes les musiques une surmédiatisation des productions les plus plates et inintéressantes au détriment des plus inventives et audacieuses. Après quatre pintes je suis capable de balancer des déluges de haine sur pas mal de musiciens qui me mettent hors de moi, mais ce n’est pas très constructif et c’est encore leur faire trop de pub que de les descendre dans les médias. Ce qui me séduit, c’est quand des musiciens arrivent de nulle part, bousculent l’ordre établi et te pondent un ovni que tu ne sais pas par quel bout prendre. Ou au moins, plus simplement, des artistes qui te font un truc qui te donne une bouffée d’oxygène dans la médiocrité ambiante (c’est clairement le cas de Xin, ndlr). Pour ne prendre que des références qui ont moins de 10 ans, « God’s Money » de Gang Gang Dance, l’album « Black is Beautiful » de Dean Blunt & Inga Copeland, « Cabaret Cixous » de Maria Minerva, le maxi « Dolphins » de Mi Ami, « Chanel Pressure » de Ford & Lopatin, l’album éponyme de James Pants… Mais c’est de plus en plus rare, et surtout les artistes s’essoufflent vite aujourd’hui. Un, deux ou trois bons albums maximum et ça part en couille, c’est un phénomène assez général. C’est aussi pour ça que j’aime prendre mon temps maintenant avant de sortir un disque. D’un point de vue médiatique et stratégique c’est suicidaire, mais d’un point de vue artistique, je pense que je dois me la fermer si je ne suis pas sûr de mon coup. Ce n’est pas la peine de dépenser du pétrole et du papier pour faire des disques moyens.

EDH : Difficile de répondre également. D’autant plus que j’ai du mal à identifier le genre « électronique ». Je pense aussi qu’il y a beaucoup de mélange de genres et c’est tant mieux.

Je trouve que votre son sonne assez souvent vintage… En tout cas je le trouve en décalage par rapport à notre époque actuelle et c’est quelque chose que j’aime beaucoup chez vous. Mais si je devais rapprocher Hypo & Edh d’une décennie, ce serait celle des années 80.

EDH : Les années 80, nous les avons vécues et digérées. Il y a beaucoup de choses que je ne pourrais plus écouter tout simplement parce que c’est assimilé, je n’ai plus besoin de les entendre. Aucune trace de nostalgie pour ma part. Il y a évidemment une part 80’s dans nos compositions, mais nous avons un son actuel. Les années 80 c’est ce qui nous a construit en partie. Nous composons avec ce background, mais on est bien en 2013, et c’est tout autre chose. Aucun doute là-dessus. On y est jusqu’au cou, on n’y échappe pas. Et s’il faut parler d’inspirations, elles viennent plutôt de ce présent totalement instable.

Hypo : En effet, j’espère vraiment ne pas avoir un son vintage. Rien ne me contrarierait plus. Et je n’ai à aucun moment le sentiment qu’on puisse penser que notre musique a été enregistrée dans les années 80. J’assume tout à fait cet héritage. En 1980 j’avais 7 ans et je me souviens que j’ai tanné ma mère au supermarché pour qu’elle m’achète le 45 tours de « Fade To Grey » de Visage. Je suis vraiment tombé dedans quand j’étais petit. Mais j’ai aussi pleinement vécu les années 90 et 2000. Et je me tiens informé de ce qui se passe autour de moi et j’estime que ma musique s’en ressent. J’exerce très régulièrement la profession de disquaire indépendant, donc je ne peux pas échapper à la musique actuelle. Et je trouve qu’on sonne vraiment moins vintage que la moyenne.ar 

François Corda

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