LE DÉFI DU CHAMPION
Leonardo D’Agostini

DeterreA l’heure où les matchs de tous les championnats se jouent à huis-clos ou avec un public très réduit pour des raisons sanitaires, le monde du sport vacille. Sans passion, sans banderoles outrancières, sans chants de supporters, sans ferveur, sans invectives ou sans pleurs, le sport, et en particulier le foot, n’est plus tout à fait lui-même. Le système entier vogue donc en pleine incertitude, s’en remettant entièrement au petit écran pour assurer sa pérennité. Dans ce contexte (et pour le coup sur grand écran), Le Défi du champion a des allures de relique du monde d’avant et renvoie à une époque qui parait lointaine à présent, celle où les travées du stade résonnent sous les cris assourdissant du public chaque dimanche.

Peu nombreux sont les films de sport, disons collectifs, qui ont réellement réussi à passer l’épreuve de la narration cinématographique. Pourtant, un match regorge d’une dramaturgie qui lui est propre : le terrain est une scène de théâtre où tout peut arriver. Par sa forme forcément écrite et figée, le cinéma peine à déchainer les passions autour d’enjeux de ballon dont le spectateur sait qu’il finira par passer la ligne d’une manière ou d’une autre. Le sport ne peut donc pas être un sujet principal, mais un élément de contexte. Ainsi, par exemple dans le Invictus de Clint Eastwood, une Coupe du Monde de rugby devient un enjeu avant tout politique lorsqu’il en va de la réconciliation d’une nation divisée par des années d’Apartheid. Même le documentaire s’y met, quand par exemple la série de Netflix Sunderland ‘till I die tire sa réussite de sa compréhension fine des enjeux sociétaux autour du football, proposant presque à son insu un parallèle entre la descente aux enfers du club et celle d’une classe ouvrière désorientée. Le Défi du champion se déroule lui le contexte du foot business, l’un des seuls capable de faire fonctionner le fameux ascenseur social.  Un jeune joueur de l’AS Roma, immature comme il se doit, va devoir gérer une mise en concurrence de sa carrière sportive avec ses études, jusqu’ici peu glorieuses. Entre le foot et le bac, ce dernier objectivement peu utile pour un gamin qui gagne ses millions à coup de frappes de la tête, il n’y a – sur le papier en tout cas – pas match. Pourtant, le film s’engouffre dans les vides d’une vie faite de divertissements pour instiller un discours singulier sur l’éducation.

La reprise d’une vieille combine scénaristique permet de télescoper deux personnages antagonistes l’un contre l’autre, offrant ainsi quelques passages comiques. Pour autant ceux-ci ne semblent pas vraiment intéresser le réalisateur italien Leonardo d’Agostini lorsqu’il s’en remet à quelques clichés (Fiat Multipla contre Lamborghini) pour provoquer le rire. Ce qui par contre revêt clairement un intérêt à ses yeux, c’est justement lorsqu’il bat en brèche une vieille image d’Epinal collant à la peau des sportifs. Ainsi, il serait acquis que la plupart des joueurs de foot sont idiots, incapables d’exprimer autre chose que des platitudes lors de l’interview de fin de match et se distinguant par des frasques en dehors des terrains. L’histoire de notre sélection tricolore a d’ailleurs été aussi écrite par ses personnages, héros balle au pied et bouffons universellement raillés sitôt les crampons déchaussés. D’Agostini rétorque que ces stars du ballon rond sont au contraire très intelligents, mais probablement d’une manière fort peu académique. Comprendre les enjeux tactiques sur le terrain ou anticiper les mouvements de son adversaire, cela implique une vraie forme d’intelligence qui ne saurait être sanctionnée par un travail de dissertation.

De là, le personnage de Valerio, professeur, qui fait chuter l’Education Nationale de son piédestal et, tel un joueur confronté à un changement de stratégie en plein match, adapte son discours, trouve les clés chez le jeune Christian pour le révéler à lui-même. Reste un enjeu de taille : le déterminisme social. Issu d’un quartier populaire, un conditionnement bien connu des sociologues – très bien montré par d’Agostini et Stefano Accorsi – dénote d’une école qui, se voulant Républicaine et universelle donc monolithique, laisse sur le bord du chemin nombre d’enfants dont les schémas d’apprentissages diffèrent. En conséquence, les échecs successifs peuvent conduire à une forme d’idiotie affichée avec morgue, voire fièrement revendiquée, potentiellement accompagnée par une violence difficile à canaliser.

Sous des allures de film estival léger, Le Défi du champion aborde des grands thèmes de société avec courage (ou naïveté ?), dans une Italie plus que jamais enfoncée dans un divertissement constant, avec sa télé vulgaire et le foot justement, plus que jamais omniprésent. Sans éviter quelques écueils, notamment avec une galerie de personnages secondaires vite caricaturaux et quelques raccourcis faciles, subsiste un protagoniste aussi agaçant qu’attachant, habité tout à coup d’une douce mélancolie. Pour son premier long-métrage, d’Agostini parvient à capter ce vague à l’âme, ce doute qui questionne des éléments essentiels de sa construction en tant que Gavroche issu d’un petit quartier de Rome.

François Armand

1h 45min | 5 août 2020 | Italie

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