AVATAR OU LE COSTUME DU HÉROS
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FocusSorti au mois de mars de cette année, Le Monde Fantastique d’Oz présente des similitudes indéniables avec le film de James Cameron : Avatar. Honorable produit de l’industrie hollywoodienne, cette féérie sur le magicien d’Oz proposée par Disney offre par son actualité l’occasion de faire une relecture d’un des plus gros succès au box-office de ces cinq dernières années. Malgré des options scénaristiques et des enjeux psychologiques qui diffèrent, les deux œuvres se font écho dans leur manière d’interroger le jeu entre un individu et le rôle mythique qu’il n’est pas destiné à incarner. Leur comparaison permet de montrer l’importance du « costume du héros » dans l’économie dramatique d’un film, et de la nécessité pour le personnage d’avoir à trouver son espace de créativité vis-à-vis du destin.

Que ce soit Oscar Diggs (Le Monde Fantastique d’Oz) ou Jake Sully (Avatar), aucun des deux personnages principaux de ces deux films n’est destiné à être le héros du drame dont le spectateur va être le témoin. Les introductions respectives l’indiquent très clairement. Dans le film de Sam Raimi, Oscar Diggs est un forain prestidigitateur à la morale douteuse et adepte de la séduction mécanique et éhontée. Les premières scènes le présentent en effet sous cet angle des moins favorables. L’introduction du Monde Fantastique d’Oz, dans une sorte de grand fondu enchaîné narratif assez virtuose, montre d’abord qu’il se sert des nombreux exemplaires identiques d’une boîte à musique qu’il a en sa possession pour charmer toute jeune femme qui lui plaît. Ensuite qu’il ne tient pas ses engagements financiers vis-à-vis de ses employés et les méprise de manière ostentatoire, ce qui met bien en évidence sa vanité. Enfin qu’il est loin d’être le magicien auquel rêve une petite fille malade qui espérait qu’il la guérirait miraculeusement à sa demande, et dont il vient de décevoir en plein spectacle tous les espoirs. Dans Avatar, Jake Sully n’a pas le profil type lui non plus du héros de la dramaturgie occidentale classique. Ou plutôt il ne l’a plus, car la guerre l’a abîmé et l’a rendu inapte au combat sur le champ. Ancien marine paralysé des jambes, il ne doit sa participation au programme de recherche militaire sur Pandora qu’à un concours de circonstances qui le place sous des auspices peu amènes. En qualité de remplaçant de son frère jumeau décédé, il n’est en effet qu’un second choix forcé, dû à son génotype iso-compatible pour piloter un avatar et aller à la rencontre des Na’vi. Ici, nulle véritable destinée du héros glorieux qui serait programmé par la lignée ou par l’institution pour devenir un leader. Jake est là un peu par hasard, et s’engage à contrecœur tout en s’interrogeant sur le sens de sa participation.

Pourtant, tout comme Oscar Diggs au pays d’Oz, Jake Sully sera finalement conduit à incarner le héros mythique dont un peuple attend l’arrivée pour mener la bataille contre l’envahisseur ou l’oppresseur. Le drame qui se joue sous les yeux du spectateur est alors moins la geste héroïque traditionnelle qu’accomplit l’élu à l’appel de sa destinée (et dont l’exemple cinématographique récent le plus exemplaire et célèbre est la trilogie du Seigneur des Anneaux), que la découverte par le personnage principal d’une manière de jouer le rôle du héros tout en jouant avec. Il y a comme un écart avec la tradition de la destinée héroïque qui se révèle dans les deux films, un déplacement. Les trajectoires d’Oscar et Jake ne disent en effet rien d’autre que ceci : il est possible d’être l’incarnation d’un héros mythique sans y être prédestiné ; mais pour y parvenir il est nécessaire d’employer un médium qui se substitue au destin. Oscar usera de son ingéniosité technique pour faire parler les puissances du cinématographe. Il trompera l’ennemi en lui faisant croire à son invincibilité grâce à un dispositif de projection et d’amplification de son image et de sa voix. Il n’a peut-être pas les pouvoirs magiques que la légende populaire réservait au héros mythique tant attendu, mais il a de l’astuce. Et c’est en s’inventant de fait une tenue d’apparat (celle du prestidigitateur qui s’assume) qui lui sied mieux que celle de l’étiquette (le magicien qu’il n’est pas) qu’il a pu occuper une place héroïque en la redéfinissant sans la pervertir, sans plus se soustraire et s’enfuir comme il pouvait le faire avant son arrivée au pays d’Oz.

Jake, quant à lui, à proprement parler ne s’invente pas une tenue pour occuper la place vacante du héros mythique tant attendu. Il exploite celle qu’on lui donne, le « vêtement » qui constitue aussi bien le titre que l’élément de pensée majeur et remarquable du film de James Cameron : l’avatar. C’est en « revêtant » cet habit organique issu du croisement génétique de l’humain et du Na’vi qu’un infirme forcé d’être là se découvre un avenir possible au sein d’un peuple en danger, et qu’il choisit. Métissant deux espèces, Jake invente un personnage historique à part entière, occupant la place destinée à un élu programmé mais qui n’arrive pas. Il retrouve la mobilité que son passé lui avait retirée. Il offre une solution. Il est actif. Et il illustre bien, comme Oscar Diggs, cette idée forte que l’habit peut faire un peu le moine malgré tout. C’est par le costume du héros, tel qu’il est inventé dans l’histoire, que la destinée mythique se trouve déplacée, hybridée, et par là même réactivée. Le « costume du héros » est un médium. Le cinématographe comme mécanique spectaculaire en est un bon exemple chez Sam Raimi. L’avatar également chez James Cameron.

Jacques Danvin

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Avatar de James Cameron (Etats-Unis ; 2h42)

Date de sortie : 16 décembre 2009

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Le Monde fantastique d’Oz de Sam Raimi (Etats-Unis ; 2h07)

Date de sortie : 13 mars 2013

 

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