UN COUTEAU DANS LE COEUR
yann gonzalez

DeterreDécrié par la presse comme par le public, Un Couteau dans le cœur n’en reste pas moins un ovni cinématographique bourré de codes et d’idées. Bardé de références, en premier lieu par sa grammaire filmique tout droit héritée du giallo, ce film renoue avec une esthétique oubliée et fait étalage d’une science des symboles, désuète de nos jours. Telle est la force du fantastique au cinéma : exagérer encore la puissance évocatrice de la littérature pour mieux parler du réel. 

Un Couteau dans le cœur, c’est avant tout un film sur la fin de l’innocence. D’abord, lorsque la mort se met à frapper aveuglément dans le milieu du porno gay hexagonal au crépuscule des années soixante-dix, on pense immédiatement aux années sida qui approchent. Une scène d’abord illustre particulièrement cette époque à venir : un pique-nique ensoleillé et joyeux, évoquant une sorte d’Eden où règne l’insouciance, tourne en quelques minutes à l’orage, annonciateur d’une violence fatale. Ensuite, le film montre cette insouciance prendre fin quand Anne, jouée par une Vanessa Paradis bien paumée, n’en finit plus de chuter, en se perdant d’un côté dans la réalisation d’un film dont la dimension cathartique enlève toute légèreté, puis de l’autre lorsque sa relation passionnée avec Loïs, la monteuse (Kate Moran), devient toxique.

C’est par ce dernier personnage que le film s’ouvre, ou plutôt par une séance de montage de celle-ci, en pellicule 16mm. Deux vieilles idées de cinéma sont ainsi introduites : celle du film dans le film, amenant immédiatement l’idée qu’une réponse s’y cache, imprimée sur le film photosensible éclairé à l’écran, et celle, exprimée par Coppola dans son Dracula, arguant que le cinéma est une machine à embaumer les défunts. Par le truchement du cinéma, la vie éternelle devient accessible ; l’acteur décédé continuera de vivre à travers son personnage. Yann Gonzalez va donc construire son film autour de ces deux idées, alternant sans cesse sa narration entre son intrigue et les films d’Anne, et alimentant souvent le flot des images cruelles montrant les victimes des crimes commis dans des pastiches érotiques grotesques. Le réalisateur sculpte ses personnages avec son éclairage en faisant se répondre les rouges et les bleus lorsqu’il veut les faire glisser ostensiblement dans une dimension onirique.

Cet aspect fantastique est prégnant dans le tout le film, par divers éléments dont le fameux corbeau, cher aux légendes celtes et nordiques. Vecteur de connaissances ou de présages par l’intermédiaire du Dieu Odin chez les scandinaves ou messager vers le monde des morts chez les Celtes (on le retrouve dans nombre de fictions qui empruntent à cet univers : Games of Thrones, Viking…), l’oiseau apparaît ici dans son rôle d’intermédiaire en livrant des indices à Anne. Yann Gonzalez accentue ainsi, de part les codes employés tant cinématographiques que métaphoriques, une étrangeté malsaine mêlée aux scènes de tournages pornographiques assez crues. Ainsi le malaise est suscité efficacement jusqu’à l’apothéose, figurant dans le générique de fin : une orgie mêlant morts et survivants dans une Olympe de pacotille.

En racontant cette histoire de meurtres sordides en 1979, Yann Gonzalez prend le parti d’adopter le code de film de genre populaire alors : le giallo. Ce genre, essentiellement transalpin, mélangeait polar, érotique, fantastique et horreur avec parfois beaucoup de naïveté. Certains réalisateurs dépassèrent le genre, Dario Argento en tête, et élevèrent des produits d’exploitation au rang d’œuvres, utilisant tous les outils formels à disposition pour dépasser le simple cinéma de divertissement et proposer d’autres niveaux de lecture. C’est ce chemin qu’Un Couteau dans le cœur tente de retracer, en imbriquant images, souvenirs, fantasmes dans un hommage formel à ses pellicules d’apparence anodines, mais qui interrogeaient le cinéma en lui-même, sa fonction et sa portée. .

François Armand

1h 42min | 27 juin 2018 | France, Mexique, Suisse

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