2KILOS&MORE
interview

RevueKurz vor 5 est un disque singulier qui méritait bien une critique. Afin d’éclairer cette œuvre complexe, on s’est dit qu’une petite interview ne ferait pas de mal. Dont acte. Séverine Krouch et Hugues Villette, qui forment 2Kilos&More, évoquent avec BUB leur travail, peuplé de collaborations, de casse-têtes scéniques et autre abhorration envers le rock progressif…

1. Trois ans se sont écoulés depuis la parution d’Entre3Villes, votre précédent disque. Qu’est-ce qui vous a poussé à relancer la machine 2kilos &More ?

Séverine : En réalité, elle ne s’est jamais arrêtée. Mais deux éléments ont  » repoussé »  la sortie du 3e album. D’abord la distance géographique qui nous sépare. Il a fallu aménager le calendrier car nous travaillons peu à distance mais principalement ensemble. Ensuite la création du nouveau live, qui inclut des vidéos et la présence scénique de Black Sifichi.

2. Comment s’est déroulée la composition ? Vous n’êtes que deux et il y a une couche incroyable de pistes sur chaque chanson !

Hugues : C’est vrai, même si cette fois-ci on peut dire qu’il y en a moins. On s’est plus concentré sur le développement et l’exploration de ces couches, le travail en profondeur des éléments présents. On peut dire que l’on a calmé nos ardeurs pour s’attaquer à l’essence des sons ou instruments, faire mieux avec moins.

S : Sinon, on a toujours ce fonctionnement un peu à l’envers et casse-tête, d’abord les samples, les couches, puis plus tard les rythmes, le réajustement de l’électronique, puis les basses et les guitares venant à la fin.

3. Que vouliez-vous retrouver des précédents disques dans Kurz vor5 ? Et au contraire que vouliez-vous ne pas reproduire ?

H : La seule chose que je voulais retrouver était un lien musical naturel avec les disques précédents (et graphique bien sûr). Que ce nouvel essai soit la continuité logique et améliorée de nos débuts.

Nous étions d’accord pour nous orienter vers quelque chose de moins ambient linéaire, de plus exigent et ambitieux musicalement, tout en restant accessible, voire plus… Il y avait naturellement beaucoup de choses que l’on n’avait pas su exprimer ou développer sur les albums précédents ou alors ce n’était pas encore le moment pour ça. Pour Kurz vor 5, on a atteint quelque chose qui me convient, mais qui laisse encore de la place à beaucoup d’autres possibilités d’évolution et qui me donnent déjà des envies pour le futur, c’est excitant.

S : Pour ma part, je ne cherchais pas à retrouver du deuxième album dans le troisième. Au contraire, j’avais envie d’un changement assez radical (malgré le fait que l’on ait souvent tendance à reproduire les mêmes schémas, car ils sont naturels chez nous).

4. Plusieurs chanteurs interviennent sur ce nouvel album. Pour vous qui ne faites quasiment que de l’instrumental, quel statut accordez-vous à la voix vis-à-vis des instruments et des samples ?

S : Je considère les voix comme un autre instrument. Évidemment, en invitant des artistes à participer à notre projet, il faut tout de même leur laisser une place conséquente dans le mix, la composition. C’est pourquoi nous choisissons avec beaucoup d’exigence (en ce qui concerne la cohérence avec notre musique) les personnes à qui nous proposons un morceau.

H : La voix de Phil Von pour le morceau « Infinite Dead Ends » a été traitée comme une source de samples, intégralement découpée et réarrangée librement par nos soins, alors que les deux featurings de Black Sifichi s’inscrivent plus dans une démarche « classique » de voix/texte posée sur une musique.

Le statut qu’on accorde aux voix, comme on peut l’entendre sur le disque, est aussi important que la musique. La voix fait partie d’un tout, elle est l’égale de la musique, même si à la base, ces morceaux n’ont pas été forcément pensés pour en contenir une. C’est ça qui a été intéressant et a fait évoluer de façon considérable ces titres à part entière.

5. On en parlait avec EDH récemment, la scène est toujours une étape délicate pour les groupes à tendance électronique et aussi un moyen de remettre en question les chansons. Comment appréhendez-vous cela de votre côté ?

S : Beaucoup mieux maintenant que nous avons une réelle performance scénographique à proposer. Nous jouons, bien entendu, tous les sons en live, aucune bande enregistrée, mais nous ne sommes pas les personnages centraux visuellement. Il existe une structure géante en tulle derrière laquelle nous nous trouvons et sur laquelle a lieu la diffusion des vidéos (créées par Lisa May, artiste australienne, également danseuse performer de Von Magnet) qui emmène vraiment le public ailleurs. Nous essayons au maximum de partager les dates avec Black Sifichi, qui  ajoute une présence scénique incontestable.

D’un point de vue musical, certains morceaux du 3e album vont être plus compliqués à arranger pour la scène (couches de guitares, batterie de Hugues à remplacer pour le moment). C’est le travail qui nous attend maintenant.

H : Oui, effectivement la scène pour un projet électro est un moment délicat à appréhender, même si je trouve ça plutôt injuste que les groupes « rock » aient plus de « légitimité » à rejouer note pour note en concert les morceaux de leurs albums, cette démarche est de toute façon pour n’importe quel style assez ennuyeuse je trouve.

C’est assez varié nous concernant, et heureusement tout peut changer d’un concert à l’autre, car nous n’avons pas à chaque fois les mêmes chanteurs ou parfois même aucun.

Donc les morceaux sont forcément changés et réadaptés selon les cas. Il peut donc y avoir une version proche de l’album, une autre totalement différente ou bien même une qui, à la base était instrumentale sur le disque, se voir réhabiller le temps d’un concert d’une voix. Il y a aussi les vidéos qui peuvent parfois cadrer ou décadrer différemment les choses.

Après si on avait/recevait plus de moyens, on aimerait vraiment inviter d’autres musiciens sur scène, développer un côté plus « live/organique » avec des instruments électriques ou acoustiques, mais c’est une logistique que l’on ne peut pas se permettre pour le moment.

6. Donc vous diriez que la scène est l’occasion pour vous de donner une autre dimension à votre musique, par le biais des films projetés notamment ?

H : Oui bien sûr. Le fait que l’on ait commencé à travailler avec Lisa May est venu du désir non pas d’accompagner bêtement la musique, en mettant un fond visuel quelconque, mais d’apporter une autre dimension au live, de proposer différents accès de perception au public. Les films ont été crées pour la musique mais pourraient avoir une vie sans elle.

7. Dans la chronique de Kurz vor 5, j’évoque la parenté de votre musique avec l’Art Rock. Trouvez-vous cela juste ou pertinent ? Est-ce que c’est un mouvement qui vous parle, et si oui, avez-vous quelques noms à nous donner qui vous auraient influencés ?

S : Je ne suis pas très familière avec ce style (ou peut être que si, sans le savoir, ne connaissant pas toujours les étiquetages musicaux précis). Mais on ne peut nier que, malgré une composition très intuitive (je suis pour ma part très post-rock ou indie dans mes goûts), nos morceaux peuvent avoir peut-être un côté « intellectuel » dû au choix des sons et du manque de structure couplet-refrain.

H : Par rapport à la description que tu fais de ce terme dans notre chronique, oui c’est pertinent (et très flatteur) et on s’y retrouve car notre musique est basée principalement sur les détails, le travail de fond et l’évolution. Donc Art Rock en tant qu’état d’esprit, en tant que recherche musicale qui reste non savante, en tant que volonté d’apporté un soin également à tout ce qui entoure la musique, de mélanger les arts : oui.

Après, tout dépend de ce que chacun voit dans ce terme. Même si j’ai un profond respect pour Pink Floyd, je n’ai jamais vraiment écouté ce groupe (à tort sûrement) et j’ai horreur de Genesis ou Yes et du rock prog en général.

Je me sens beaucoup plus proche des scènes post-punk, cold-wave, industrielles fin 70’s-80’s, indie pop-rock ou glitch-electronica que de celles des 60’s ou 70’s (même si le Krautrock allemand et les diverses expérimentations fondatrices de ces décennies sont des références incontestables). Mes influences majeures restent encore aujourd’hui Joy Division, Autechre, Einstürzende Neubauten, Pan Sonic, Zoviet*France, My Bloody Valentine, Coil…

8. Qu’est-ce qui vous a séduits dans l’actualité musicale et cinématographique ces derniers temps ? Que conseilleriez-vous de voir ou d’écouter à nos lecteurs ?

S : Ces derniers temps, je ne suis pas très au courant de l’actualité, mes découvertes se font plus au gré de partage avec les gens que je rencontre. Si j’avais envie de citer un groupe pour le faire découvrir, ce serait Binaire (originaire de Marseille).

H : En musique pas mal de choses vraiment excellentes récemment. Pour éviter la liste sans fin, je conseillerais volontiers et spontanément ces 3 groupes:

Thread Pulls : New Thoughts chez Osaka Records (Irlande) – duo indie pop-rock expé,  alliant la froideur d’un Joy Division au côté dansant de la No Wave New-Yorkaise des 70’s. Rien que d’en parler, je vais le réécouter, tiens…

Phonophani : Kreck (Rune Grammofon- Norvège), superbe et subtile ambient, passionnante.

Sightings : Future Accidents (Our Mouth Records) et City of Straw (Brah Records) – (USA)

Mélange parfait d’expérimentations rugueuses avec instruments dits « rock », comme une réactualisation d’un Thobbing Gristle marié à un early Sonic Youth.

Bizarrement, je ne vais plus au cinéma (le dernier film que j’ai vu est celui de Banksy), ne regarde pas la télé et ne télécharge pas de films. Pourtant, j’aime ça, mais…

9. Et dans d’autres domaines artistiques ?

H : Je suis intéressé par l’art en général (mais aurait du mal, comme ça, à donner des noms précis…), visite régulièrement des expos, lit pas mal de bouquins mais la musique reste assurément ce qui me passionne le plus.

S : Rien ne m’a bouleversée ces derniers temps, mais ça ne veut pas dire que rien n’est intéressant… Suis peut-être trop occupée…

10. Que vous évoque le personnage de Bub, comme ça, sans tricher, sans farfouiller sur la toile ?

S : sans regarder sur le net… je dois admettre que ça ne me dit rien…

H : Aucune idée, désolé… 🙂par

François Corda

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