BILLY CORGAN AKA THE SMASHING PUMPKINS
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FocusComment évoquer Billy Corgan sans citer les Smashing Pumpkins ? Le parcours artistique de l’américain a pour point de départ la naissance de ce groupe. C’est avec lui qu’il a sorti son plus bel album, Adore (1998), disque monstre de par son statut d’œuvre culte incomprise et commercialement peu rentable. A l’heure de la sortie d’Oceania, dernier album du combo, il nous a semblé nécessaire de nous pencher sur la carrière de cet homme hors-norme, dont le caractère imprévisible est depuis vingt ans le moteur principal de l’intérêt que l’on porte à ses pérégrinations musicales plutôt inégales.

Symboliquement il paraît indispensable de commencer l’histoire par Adore, car peu ou prou c’est un album situé au centre de la discographie des Smashing Pumpkins : trois albums ont été composés avant, trois après. En même temps Adore est un disque marginal, de très loin le moins rock du groupe, et pour l’instant le plus intime de Corgan, celui dont on se plairait à croire qu’il reflète le mieux sa personnalité insaisissable. Adore, c’est enfin le disque qui met un terme à la légère ouverture dont l’homme a fait preuve sur l’album précédent, Mellon Collie and the Infinite Sadness (1995), dans lequel il laisse pour la première fois des miettes de composition à James Iha (comme Martin Gore de Depeche Mode – l’un des modèles de Corgan avec Robert Smith – pouvait le faire en son temps avec Alan Wilder). Plus ouvert, le rock de  Mellon Collie and the Infinite Sadness restait tout de même hormonal, toutes distorsions dehors en dépit de ses qualités mélodiques et parfois épiques : c’est sans doute la meilleure traduction de ce dont Corgan était capable de faire à l’époque.

Adore est une vraie cassure : Corgan met entre parenthèses un son identifiable entre tous, qu’il a mis du temps à construire. Avant Mellon Collie and the Infinite Sadness, le groupe avait déjà sorti un disque plein, bien qu’un peu assommant parce que redondant. Les chansons étaient unies par un fil conducteur sonique, un mur de guitares à la fois rond et ciselé, sourd et précis : Siamese Dreams (1993). Cet album constituait à l’époque un bond en avant considérable si l’on s’en réfère à Gish (1991), dont la production, sommaire, cadrait assez mal avec des compositions pourtant robustes et aventureuses. Mais il ne faut pas se méprendre, le « son Pumpkins » n’est pas caractéristique de la formation d’origine, puisqu’on le retrouvera bien après, alors même que tous les membres originels du groupe auront disparu. Cela en dit long sur l’importance de leur rôle à l’époque… Ainsi, qu’il s’agisse de la guitare, de la batterie (même si Jimmy Chamberlin est très technique, il n’est pas irremplaçable, on le verra) ou de la basse, c’est bien Billy Corgan qui contrôle déjà tout, dès le départ.

D’ailleurs ce dernier a vite démontré qu’il aimait avoir la mainmise sur ses projets : à la fois recruteur (cf. l’enrôlement de miss D’Arcy, une belle bassiste, ce qui restera une marque de fabrique un peu grotesque du groupe même après son départ), professeur (il a appris à jouer de la guitare à James Iha), voire tyrannique lorsqu’il jouait des instruments à la place des autres. En d’autres termes, dès le départ The Smashing Pumpkins était « la chose » de Corgan.  Adore confirme cette impression parce que Corgan de nouveau compose seul toutes les chansons. Et même s’il existe une légère continuité avec Mellon Collie and the Infinite Sadness dans la diversité (des bribes de folk, de synth pop, voire de rock progressif y faisaient déjà leur apparition entre deux brûlots de rock alternatif sauvage), musicalement la transformation a étonné plus d’un fan.

Cette transformation a un détonateur : lors de la tournée mondiale qui suit Mellon Collie and the Infinite Sadness Jimmy Chamberlin gère mal son addiction à l’héroïne et se voit remercié par le groupe. Dans les faits, cette éviction se révéla anecdotique puisque la tournée ne s’interrompit pas, Chamberlin fût remplacé. Et ce que d’aucuns ont vu comme LA raison du virage synthétique pris par Billy Corgan sur Adore est surtout un prétexte. Depuis quand le départ d’un batteur implique-t-il forcément l’utilisation d’une boîte à rythmes ? Non, c’est une fausse raison. Dans le cas d’Adore, il faut surtout souligner la beauté du geste de Corgan. Car on ne sait si la gloire rencontrée l’a libéré ou effrayé, mais plutôt que de continuer sur une voie royale, l’Américain choisit alors la marge, abandonne les distorsions et les roulements de toms pour embrasser des sons brumeux, des beats maladifs. C’est absolument remarquable. La fragilité que l’on pressentait seulement sur Mellon Collie and the Infinite Sadness trouve là tout son épanouissement, jusqu’à en devenir profondément émouvante.

L’échec commercial d’Adore semble cependant avoir bouleversé à vie Corgan, qui, depuis, se cherche et cherche sans jamais vraiment trouver. Cela se ressent dès Machina/the machines of god (2000) : alors qu’il avait découvert, on le disait plus haut, LE son Pumpkins (pas celui d’Adore, mais celui du succès), son retour aux affaires « rock » arbitré par le come-back de Jimmy Chamberlin, absout de ses pêchés, se fait dans une surenchère de production. C’est regrettable, car, lavé de ses mignardises fatigantes (réverbérations outrancières, multiples couches d’overdubs),  Machina/the machines of god (2000) est peut-être l’album rock des Smashing Pumpkins le plus équilibré. Le concept album est abouti, les chansons joliment liées. Entre morceaux de bravoures, hymnes pop et riffs qui bastonnent, les temps morts n’existent pas.

Machina ne rencontre pas le succès escompté par Billy Corgan, et, sans qu’on puisse dire s’il s’agit de la raison principale, le groupe annonce sa séparation après la tournée. C’est un événement que l’on pouvait sentir venir depuis un bout de temps, entre Chamberlain qui part et revient, et D’Arcy, la bassiste historique, qui s’enfuie sur la pointe des pieds. Cette séparation est l’occasion pour Billy Corgan de former un « super » groupe, sorte d’appendice des Pumpkins (Chamberlin est de la partie et Corgan est au chant, la frontière est franchement poreuse), appelé Zwan. L’exercice, proche du rock progressif, n’apporte pas beaucoup d’eau au moulin mais nous convainc définitivement que Corgan semble à l’affût d’une « nouvelle formule » gagnante. Il se cherche.

C’est cela, on le répète, qui rend le personnage aussi captivant. On se demande constamment ce qu’il va bien pouvoir nous concocter. En l’occurrence, après la déception Zwan, Billy Corgan revient sous son patronyme en 2005 avec The Future Embrace, disque définitivement placé sous le signe de l’électronique et des années 80 qui ont forgé une grande partie de son univers. Le résultat est loin d’atteindre les sommets d’Adore, sans doute parce qu’il est le pendant synthétique de Siamese Dreams, c’est-à-dire un disque qui ne regarde pas ailleurs, s’enferme dans un schéma de composition et d’assemblages sonores inégalement réussi. Pourtant sur certaines chansons la beauté affleure et le disque révèle finalement un nouvel homme, tout à fait libre de ses décisions artistiques.

Nouvelle contradiction, c’est précisément lorsque le songwriter semble enfin assumer son statut d’artiste solitaire et fier de l’être qu’il annonce la reformation de son joujou, avec, devinez-quoi, le come back de l’enfant prodigue, Jimmy Chamberlin. Pour la touche rock bien sûr. L’opération commerciale semble toute proche, tellement proche que la majorité, fan ou pas fan, n’attend pas grand-chose après toutes ces années qui séparent les « nouveaux » Smashing Pumpkins de leurs anciens grands faits d’arme. Pourtant Zeitgeist (2007) est un retour honorable, avec le fameux « son » qui a fait leur succès, et des compositions qui resteront parmi leurs meilleures, notamment « Bleeding the Orchid » et « Starz ». L’album restera modestement reçu malgré ses atours aguicheurs censés rameuter les admirateurs des débuts.

Au jour d’aujourd’hui, et depuis le troisième ( !) départ de Jimmy Chamberlain, en 2009, Billy Corgan maintient la bête en vie de manière artificielle : il n’est en effet plus que le seul membre originel. Mais il semble décidé à lui rendre (enfin !) sa liberté. Avec son projet de onze EP de quatre titres sur plusieurs années intitulé Teargarden by Kaleidoscope, et dont les deux premiers volumes sont vraiment convaincants, une flamme se ravive. Celle de la curiosité vive face à une belle surprise, qui fait table rase du passé pour proposer quelque chose de tout à fait nouveau : un rock traditionnel, soit, mais mâtiné d’échappées dans tous les mondes auxquels s’est déjà confronté Corgan auparavant. En cela la parenthèse Oceania est déstabilisante et contradictoire, une fois de plus. Le retour sporadique du « son Pumpkins », évoqué plus haut, laisse penser que Corgan avait besoin de se rassurer sur sa côte de popularité en assénant de nouveau quelques titres (bons par ailleurs) qui auraient tout aussi bien pu appartenir à Siamese Dreams. Les guitares sonnent pareil, même le jeu de batterie puissant et virevoltant du nouveau-venu Mike Byrne imite à la perfection celui de Chamberlain. C’est dommage car sur certains des morceaux moins typés comme « The Celestials », « Violet Rays » et surtout le magnifique « Wildflower » le groupe s’en sort merveilleusement bien et laisse penser que la voie empruntée sur Teargarden by Kaleidoscope est bien la bonne.

Dans l’ensemble, Corgan a beau dire en interview que l’avenir des Smashing Pumpkins repose sur le succès de ce nouveau disque, ce dernier semble un peu bâclé, facile, surtout si l’on se réfère à certains sons cheap qui semblent parfaitement anachroniques en regard d’une production très soignée. Insaisissable Billy Corgan : on croyait qu’il avait fait une croix sur le passé et il se révèle performant dans le registre de la nostalgie. On croyait qu’il avait trouvé une nouvelle voie, qu’elle lui seyait à merveille, et voilà que ce nouveau visage montre déjà des limites (« Pinwheels », « My Love is Winter »). Quand retrouvera-t-il le si bel équilibre, la beauté trouble d’Adore ? On y croit, cela viendra ! Après tout il n’a qu’une quarantaine d’années…

François Corda

Showing 6 comments
  • David

    En effet, Adore est le plus beau des albums des SP.

  • Amandine

    Un article intéressant sur un personnage du rock du XXème et XXIème siècle sur lequel il y a tant à dire !
    Est-ce qu’un jour, on comprendra vraiment tout à fait qui est Billy Corgan ? … Mystère.

    Enfin moi je l’aime bien le Billy, il réussit toujours à nous surprendre, pour le meilleur et pour le pire 😉

  • Florian

    Petite rectification. Il y avait des morceaux co-signés par Iha dès Gish et Siamese Dream. Corgan bien qu’un réel dictateur de studio restait ouverts aux autres compositions.
    Néanmoins Iha va progressivement se désengager préférant sortir son premier album solo (en 1998 comme Adore) plutôt que s’investir dans les compositions des Pumpkins.

    Il n’a simplement rien proposé pendant les sessions d’enregistrement d’Adore.

    Après, je ne nie pas que cela facilitait la vie de Corgan…

  • Billy

    Hello Florian tu as tout à fait raison, il y a effectivement des compositions co-signées sur les deux premiers albums. Mais précisément ils sont co-signés, ce qui signifie que Corgan garde la mainmise sur les chansons, peu ou prou. Sur Mellon Collie, certains titres sont crédités par le seul Iha et en cela c’est tout de même une petite révolution ! Non ? 😉

  • Florian

    Pas nécessairement. Sur Soma ou Mayonnaise, les musiques étaient de James Iha .Seuls les paroles sont de Corgan. Cela explique pourquoi il les chante.

  • Amandine de Mandyben

    Un parcours atypique pour une musique atypique. Merci pour ce portrait.

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