L’ORDRE MORAL
Mário Barroso

DeterreL’arrivée du spectateur dans la vie de Maria Adelaide (campée par Maria de Medeiros) se fait comme par l’ouverture de la scène d’un théâtre. Les premiers plans, tout d’abord dans le cabinet de toilette comme dans une loge avant le spectacle, puis avec les escaliers de l’entrée de sa riche demeure, formant des compositions géométriques précises, évoquent tout à fait le début d’une pièce. Et quand Maria Adelaide apparaît au monde, c’est le visage recouvert de bandages, comme une allégorie de sa vérité profonde, momifiée en quelque sorte, en tout cas cachée aux yeux du monde. Las, son geste ne suscite alors qu’incompréhension et gêne. Cette dame perdue au milieu de ce décor chargé de richesses se révèle d’une grande solitude, singulière parmi ses proches, sans lien ou si peu avec son mari et son fils.

Le réalisateur Mário Barroso, pour conter l’histoire de cette femme issue de la haute société lisboète au sortir de la première guerre mondiale, a choisi un style fleurant bon un certain classicisme, doté d’un charme de chaque instant avec ces plans composés et éclairés comme des tableaux (évoquant la peinture classique flamande parfois, Vermeer en tête). Dès lors, Barroso s’emploie à introduire des passerelles entre deux mondes distincts : la maison d’un côté, perçue comme un théâtre tantôt véritable ou allégorique, et la rue de l’autre, jonchées de malades – avec l’épidémie de grippe Espagnole qui sévit alors – mais exempte de faux-semblants. Ainsi c’est au contact de ce qui terrifie sa caste, c’est-à-dire la pauvreté et la maladie, que Maria Adelaïde s’éveillera à la sensualité en s’enfuyant dans les bras d’un jeune chauffeur (João Pedro Mamede), peu avant ses cinquante ans.

Là réside le nœud du film, entre la découverte d’une liberté nouvelle pour une femme enfin débarrassée du poids d’une fonction de génitrice au sens stricte, et la terreur que son attitude, inconcevable, inspire. L’Ordre Moral est donc double : il permet non seulement aux puissants de conserver leurs prérogatives sociales d’une part (d’ailleurs les mêmes qu’aujourd’hui, soit : politiques, médiatiques et juridiques essentiellement), mais aussi patriarcales. Lorsque Maria Adelaide se met en scène et s’exprime avec force, même en tant qu’actrice et avec les mots écrits par d’autres, elle affole les garants de cet ordre. Le film peint le tableau d’une chute vertigineuse, d’un luxe absolu à la dépossession, la richesse et le nom ne donnant plus aucun pouvoir ni crédit. Surtout, le sentiment d’injustice distillé peu à peu s’impose face à tout une galerie de personnages aux mines sérieuses, érudits et sûrs d’eux. Reste un personnage qui oscille entre impuissance, colère et révolte.

Pourtant, Barroso évite – habilement – tout pathos. Entre la dignité qu’amène une grande Maria de Medeiros à son personnage et la distance que garde la caméra à son sujet, l’émotion peine parfois à faire son chemin. Qu’à cela ne tienne, l’hypocrisie crasse et la lâcheté de l’entourage de Maria Adelaide n’en sont que plus évidentes. Ainsi, en exposant la trajectoire de ce personnage séparé de nous par un siècle d’histoire, Barroso rappelle que l’émancipation des femmes n’est pas un sujet sociétal, mais bien social et que ce combat peut (doit ?) passer par la lutte des classes.

François Armand

1h 41min | 30 septembre 2020 | Portugal

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