NE TE RETOURNE PAS
Marina De Van

A la vue des quinze premières minutes de Ne te retourne pas, on pourrait être tenté de ranger le deuxième film de Marina De Van dans la catégorie navet. Mais ce serait refuser de se laisser emporter dans un lent tourbillon malsain, un mauvais rêve éveillé nous entraînant aux confins d’une mémoire abîmée.

Ne te retourne pas est le récit d’une décomposition menant à une renaissance dans la douleur. Un glacis de superficialité gênant (l’inexpressivité de Sophie Marceau, des atours de téléfilm) se fissure insidieusement dès les premières minutes. La beauté de Jeanne (Sophie Marceau donc), de son mari, de ses enfants, de son appartement parisien, sont très vite mis à mal par un refus brutal : Jeanne se fait humilier sans ménagement par un ami éditeur qui refuse de publier son premier roman autobiographique. A ce stade Ne te retourne pas pourrait s’apparenter à une énième satire grinçante de la bourgeoisie façon Caché (Haneke). Mais Marina De Van prend vite un autre chemin et son obsession de la chair (mise à nu dans le dérangeant Dans ma peau, sept ans plus tôt) prend le dessus. Pour une raison obscure Jeanne ne se reconnaît plus, et ne reconnaît plus ceux qui l’entourent. Son visage, comme plus tard son corps, se déforment jusqu’à devenir proprement monstrueux.

Le voyage en Italie qui s’ensuit est vécu à la fois comme une poursuite des origines (cette enfance dont Jeanne n’a aucun souvenir), et l’aboutissement d’une quête, celle d’un apaisement, qui sied parfaitement à l’aspect paradisiaque de ce petit village gorgé de soleil. Marina De Van bouscule les thématiques et les genres avec beaucoup d’aisance dans Ne te retourne pas. D’aucuns diraient qu’elle s’éparpille entre drame, fantastique et horreur soft mais la limpidité du scénario prouve le contraire : Marina De Van va jusqu’au bout de son délire avec assurance, et délie le mystère de son héroïne avec un beau sens du tempo, en utilisant une palette de procédés et de styles très différents. Quand Jeanne court après cette petite fille dans les ruelles du village, Marina De Van transcende la littéralité par la poésie. A contrario, l’abstraction totale ne lui fait pas peur : des visages connus de Jeanne deviennent étrangers (et vice-et-versa), des plaies apparaissent sans prévenir, les pertes de repères spatio-temporaux sont fréquentes.

En fait, on a rarement vu des films traitant de la perte de mémoire avec autant de singularité. Avec Ne te retourne pas, Marina De Van s’est affirmée comme une franc-tireuse du cinéma français, frayant avec le fantastique et le bizarre à la façon d’un David Cronenberg ou d’un Michel Gondry dans Eternal Spotless of the Spotless Mind. Mais cela ne lui a pas souri : le film a été un échec commercial et critique cuisant. Ces deux têtes d’affiche officiant dans un genre aux antipodes de leurs styles habituels ont-ils perturbé leur public ? Peut-être. Ne te retourne pas est-il réellement le fatras prétentieux dénoncé par la critique à l’époque ? Ce serait alors faire fi de l’un de ses grands enjeux,  le jeu des apparences, n’hésitant à entraîner le spectateur sur de nombreuses fausses pistes, afin de mieux nous pénétrer du vide existentiel ressenti par Jeanne. On lui laisse une seconde chance ?

François Corda

1h 51min | 3 juin 2009 | France

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