Sommes-nous en train d’assister à l’effondrement de notre civilisation ? En tout cas, avec cet album Decline, le groupe Embryonic Cells propose une bande originale idéale pour assister au spectacle. Ce nouvel opus est sorti sur fond de pandémie mondiale, il n’en demeure pas moins puissant, entêtant, massif et mélodique. Avec le Bub, Maxime Beaulieu (chant, guitare) évoque bien évidemment ce contexte, résonnant forcément avec les thématiques abordées dans l’album, mais aussi le son du groupe, ses références et son identité musicale forte.
François Armand : Tout d’abord, quel est ton état d’esprit face à la crise sanitaire qui nous frappe ?
Maxime Beaulieu : Chaque jour apporte ses incertitudes et ses «surprises»… Je dois dire que je suis assez fasciné par ce micro-organisme, finalement assez rudimentaire, capable d’enrayer à lui tout seul en quelques semaines l’hégémonie humaine toute entière. Peut-on se souvenir d’un événement aussi inédit ? Confinement, décès, perte d’activité, profondes modifications des styles de vie, maladie, incertitude d’un retour à la normale, anxiété de la contamination… On a tous, de près ou de loin, un peu expérimenté dans notre intimité les effets de ce virus. Concernant Embryonic Cells, nous sommes évidemment très frustrés. Nous sommes avant tout un groupe de scène et l’impossibilité de défendre nos nouveaux morceaux en live est rageant. Mais c’est comme ça, alors on fait avec. Et curieusement, l’état d’esprit est assez positif, parce que nous avons très envie d’écrire la suite des aventures d’Embryonic Cells !
F.A. : Thématiquement, cet album semble s’éloigner des océans qui hantaient jusqu’alors les compositions du groupe, de même que la mise en scène, volontiers lovecraftienne, des concerts. Est-ce parce que les pires cauchemars de l’humanité ne sont plus vraiment cachés dans les profondeurs ?
M.B. : Parfois, pas besoin d’investir l’horreur indicible de Lovecraft quand l’actualité du monde se présente à toi au moment où tu cherches de l’inspiration afin d’écrire un album de black metal ! C’est aussi malheureusement une possibilité, certaines crises n’engendrent pas toujours des effets bénéfiques. Une crise peut propulser des imaginaires progressistes et plus résilients comme elle peut, inversement, favoriser l’idiocratie et certaines poussées régressives.
F.A. : La mer et les secrets qu’elle recèle semblent vous fasciner. En effet lorsqu’on tape Embryonic Cells dans un moteur de recherche, on tombe assez vite sur des publis scientifiques. Avez-vous un lien avec la science ? En quoi la science est une source tout à fait enthousiasmante d’inspiration ?
M.B. : Le baptême du groupe provient d’un titre de Sepultura, «Dead Embryonic Cells», issu de l’album Arise. Dans notre jeunesse, ce groupe fut longtemps une source d’inspiration et le nom de notre groupe est une sorte d’hommage. Donc le concept du groupe n’entretient que très peu de rapport avec la biologie ou les cellules souches embryonnaires issues de laboratoire… Mais nous ne réfutons pas l’idée que la science pourrait accoucher d’un concept-album très prometteur dans le futur !
F.A. : Le nom du nouvel album, Decline, résonne indubitablement dans le contexte actuel. Sommes-nous donc en train de le vivre, ce déclin ?
M.B. : Decline énonce le storytelling de notre propre effondrement. Le bruit du tic-tac devient de plus en plus assourdissant : recrudescence de phénomènes météorologiques extrêmes, érosion de la biodiversité, inondations suivies de canicules, incendies un peu partout dans le monde, dégradation de nos sols, de notre air… Oui, Decline décrit une sorte de récit collapsologique, celui de notre monde qui s’effondre de manière presque invisible. Clairement, le film catastrophe est là, sous nos yeux. Au sujet de notre environnement, un nombre incalculable de rapports scientifiques, de mobilisations écologistes et d’organisations nous expliquaient depuis les années 70 que l’humanité était elle aussi menacée. Hélas, notre prédisposition collective au déni nous incitait à traiter les écolos – et c’est souvent toujours le cas – de simples vendeurs d’apocalypse alors qu’ils nous préviennent juste que l’on ne saurait être le maître absolu de la Nature. L’épisode covidien en est une sacrée leçon.
F.A. : Quand bien même l’effondrement serait en train de survenir, certains riffs sonnent de manière très lumineuse. Y a-t-il tout de même un fond d’optimisme ?
M.B. : Bien sûr, car les issues sont incertaines ! Ces instants pénibles peuvent aussi avoir une issue créative. Et si, enfin, on se réveillait ? Et si enfin, on respectait un peu plus notre environnement ? Et si tout ce bazar était l’occasion qui nous était donnée de refaire société autrement ?… De mon point de vue, les gouvernements soutiennent pour le moment les forces économiques conservatrices et la volonté d’un «retour à la normale». La question est de savoir si nous sommes capables d’un sursaut afin d’éviter les implacables inerties des systèmes en place. Au sujet de la planète, on dit souvent «c’est horrible, la planète va disparaître»… Mais pas du tout ! Notre planète survivra, elle. Les petites bactéries humaines perturbatrices, ça c’est moins certain. Cette saloperie de virus est un avertissement.
F.A. : Des éléments fondamentalement black metal habitent votre musique, pour autant vous êtes loin des clichés du genre. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le black ?
M.B. : Au sein d’Embryonic Cells, nous sommes avant tout et tous de vieux fans old-school de black metal. Mes références personnelles sont Mayhem, Anti, Darkthrone, Leviathan, Crebain, Carpathian Forest, Immortal, Satyricon, Enslaved, Emperor, Gorgoroth,… Toutes ces formations se caractérisent par leurs mises en scène sanglantes, leurs atmosphères sombres et leur son agressif. Et sans être classifié dans ce type de références, Embryonic Cells doit beaucoup à cette scène sur le plan musical. D’ailleurs, comme nous n’avons aucun plan et que nous fonctionnons à l’intuition et avec nos propres envies du moment, il n’est pas exclu que le prochain album d’Embryonic Cells ressemble à notre premier album Before The Storm, avec des passages instrumentaux longs et répétitifs avec un chant davantage hurlé – du black plus classique quoi. Il n’y a aucune règle.
F.A. : Le son de Decline s’avère un peu plus dépouillé que sur Horizon (l’album précédent). Que souhaitez-vous exprimer à travers cette formule plus directe ?
M.B. : L’absence de claviers sur ce nouvel album réorganise forcément un peu notre manière de déployer notre arsenal. Je pense que le son sur Decline est plus massif et l’absence de nappes nous a permis de déchiffrer des compositions plus hargneuses, plus rentre-dedans.
F.A. : La place de la mélodie est essentielle dans le travail d’Embryonic Cells. Comment abordez-vous la composition pour lui laisser toute sa place ? Comment trouve-t-on l’équilibre avec la puissance qui s’en dégage ?
M.B. : Il est pour moi très difficile de répondre à cette question, tout simplement parce que je ne crois pas être en capacité de conscientiser ces aspects de la composition. Une chose est sûre, quand je pars à la pêche aux riffs, je ne retiens que ceux qui me transmettent une émotion. Je crois aussi que l’équilibre émotion-puissance provient aussi et surtout de l’alchimie de musiciens.
F.A. : L’album est sorti il y a quelques semaines avec le souhait de ne pas le publier sous sa version digitale (pas de Bandcamp par exemple). Pourquoi ce choix ?
M.B. : Je dois t’avouer que dans le cadre de la sortie de ce nouvel album je me suis essentiellement concentré sur l’aspect artistique du projet, et moins sur les aspects concernant les modes de diffusion. Je pense donc qu’il faut poser la question à notre label ! Mais des discussions et des débats s’amorcent sur la suite promotionnelle à donner à cet album, nous ne manquerons pas d’informer nos fans sur nos réseaux !
François Armand
Embryonic Cells / Decline (France | 9 octobre 2020)
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