BLACK METAL
sélection été 2020

Pendant que l’été flétrissant résiste avec un entêtement tout sauf naturel, le monde est agité d’ombres errantes qui cherchent désespérément à se raccrocher à quelque chose de tangible et de rassurant. Le flot d’informations, toujours plus important, n’en finit pas d’abreuver des humains déjà apeurés, alimentant scepticismes mal placés et autres croyances iniques. Les noires musiques se font alors opportunistes, nous appelant – avec parfois une misanthropie drapée de cet inévitable, autant que détestable, mépris pour les masses – à garder une distance qu’on pourrait qualifier de… sanitaire.

Illustration parfaite, Gaerea explore les limbes (avec le bien-nommé Limbos) et se repaît de ces errances humaines, de ces atermoiements suppliciant les vivants, de ces souffrances diffuses rongeant les tripes… Le meilleur moyen pour traduire cette symphonie du doute en musique reste la bonne vieille association de hurlements déchirants, autant de voix douloureusement écorchées, et d’un metal mélodique et lancinant, à la violence sourde. Le groupe Portugais chante la vacuité et le mal être avec une conviction tout à fait poignante.

Singulière, hybride, parfois contrefaite, la musique des Biélorusses de Mora Prokaza instille le malaise sans difficulté. Loin des standards du genre, alternant la simplicité d’un piano ou la profusion de beats superposés de manière plus ou moins anarchique, les chants aux échos inquiétants s’élèvent dans la nuit noire. La mixture est rarement brutale, les guitares venant avec parcimonie appuyer de leur intensité quelques passages plus durs, mais constitue pourtant une agression constante et pernicieuse. Ce By chance vise la noirceur plus noire que noire avec un certain décalage. Le minimalisme de bon goût et le son électro sophistiquée croupissent dans la fange, asservis par des chants contrefaits charriant horreur et pestilence.

Des profondeurs de plateformes dédiées à la musique surgissent parfois, au milieu de la multitude de titres en tous genres aux qualités diverses, des hurlements bien incongrus. Le black metal de Mulla est simple : décharné, bruyant, malfaisant, lancinant jusqu’à la monotonie, évoquant sans doute l’école Nordique du début des années quatre-vingt-dix. Le son est cru et crade, évoquant la démarche artistique d’un Burzum. Mais nombreux sont les groupes qui se réclament de cette radicalité originelle, alors pourquoi ergoter sur ce groupe en particulier ? Nul doute que son origine y est pour beaucoup, étant donné que le projet vient… d’Irak. Les titres sont chantés en arabe et les artworks sans ambiguïté (regard d’un(e) combattant(e) caché(e) par un foulard, AK-47 en bandoulière, esplanade d’une mosquée, le croissant arboré dans le logo…). Dès lors, un sentiment prédomine : l’écoute des morceaux procure une dérangeante fascination, quelque part rafraîchissante alors que le genre a toujours du mal à s’extraire d’un discours occulte qui n’a plus rien de sulfureux, tant il a été exploité. Les doutes, notamment moraux, sur la teneur des textes mêlé à l’âpreté extrême de la musique, aussi sèche que le vent du désert, donnent une saveur bien particulière, fondamentalement propre au genre.

Des rues mal éclairées de Berlin, la rumeur enfle avec Ancst, tout en délicatesse comme il se doit. A l’instar de nos parisiens de Pyrecult, les teutons attisent les extrêmes en associant un black dégueulasse et une guitare lead lumineuse, distillant des mélodies limpides. Allié à un chant tonitruant, l’ensemble sent à la fois le souffre et la sueur, invoque tour à tour Enfer et militantisme (le groupe vend des vinyles recyclés !), recueillement et pogo. Summit of despondency est une déferlante d’énergie, pervertissant l’âpre frénésie du genre, et livre à la fois des refrains d’une efficacité redoutable, des ruptures de rythme et des trilles mélancoliques. Ainsi l’introspection profonde et autres coups de pompe majestueux se trouvent unis dans un mouvement bien vain, mais désespérément humain.

François Armand

Gaerea / limbos  (Portugal | 14 juillet 2020)

Mora Prokaza / by chance (Biélorussie | 3 juillet 2020)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mulla / مَوْلَى   (Irak | 20 janvier 2020)

Ancst / summits of despondency  (Allemagne | 18 septembre 2020)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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