LUX ÆTERNA
Gaspar Noe

DeterreIncontestablement, Gaspar Noé est le réalisateur français qui pousse le plus ses partis pris formels, et par ce biais le spectateur lui-même, dans ses retranchements. Jetant aux orties l’idée d’un cinéma de divertissement, il s’agit d’employer sans vergogne toute une gamme d’outils pour atteindre le spectateur physiquement. Ces expériences se font parfois jusqu’à la nausée, mais demeurent toujours fascinantes. Fréquences sonores, éclairages dignes d’un giallo de la grande époque ou effets stroboscopiques ne sont que des exemples parmi les plus emblématiques des moyens utilisés pour créer ce cinéma crânement arty. Lux Æterna ne fait bien entendu pas exception à cette règle en entrainant son public au cœur infernal de ce supplice cathartique.

Le réalisateur maîtrise très bien les techniques qu’il emploie, notamment avec ces split-screens virtuoses (technique d’ailleurs nouvelle pour lui), qui multiplient les points de vue et surchargent d’informations une action déjà chaotique, ajoutant disputes et interjections au brouhaha ambiant. Ceux-ci permettent de créer petit à petit une tension, en plus de fatiguer à dessein le spectateur, constamment sollicité sur la partie droite ou gauche de l’écran. C’est à partir d’une discussion anodine entre une réalisatrice (Béatrice Dalle) et son actrice (Charlotte Gainsbourg) que le film refait le coup du film dans le film. Le tournage bancal dont il est question doit capter une scène montrant des sorcières au bûcher sous la vindicte populaire. Ainsi, il constitue un bon prétexte pour évoquer le thème de départ : la persécution de ces femmes, jugées en leur temps trop dangereuses à l’égard d’un patriarcat institutionnalisé par le clergé. Les premières images sont extraites entre-autres de Dies Irae (Jour de colère, 1943), un film de Dreyer exposant le châtiment en lui-même, puis des cartons, donnant à lire des commentaires de Noé ou des citations de certains réalisateurs illustres (dont Dreyer) jalonnent et dialoguent avec les différentes séquences à suivre. Le réalisateur invoque les pionniers de son art et par là-même, une forme d’intransigeance vis-à-vis du geste artistique. Plus que ça, il commente son geste (et par là sa pensée) à la lumière des paroles des anciens maîtres.

De manière ironique, en affichant notamment la parole d’un de ces maîtres affirmant que le travail d’un metteur en scène consiste à transformer une entreprise industrielle en une œuvre d’art, Noé semble justifier sa propre démarche. Le projet Lux Æterna est en effet, nativement, un projet proposé par la maison Saint Laurent à différents artistes. Les actrices, notamment les sorcières, sont donc des égéries de la marque, portant sur un bûcher de pacotille les vêtements de celle-ci. L’auteur se met donc dans la position d’un artiste Florentin de la Renaissance, accouchant peut-être des plus belles œuvres de l’histoire de l’Art sous l’impulsion de quelque mécène. Doit-on croire à cette démarche artistique ? Est-ce une pieuse prétention de la part d’un créateur déjà à part dans le milieu du cinéma ? Ou s’agit-il au contraire un projet dont le vide se masque derrière une multitude d’oripeaux techniques tape-à-l’œil ?

Mais surtout, que reste-t-il au final de ce moyen-métrage singulier ? Probablement à la fois une allégorie contemporaine du calvaire subi par les sorcières à travers les attaques subies par les protagonistes, un discours sur le cinéma – fait avant tout de lumière (précisément de l’addition du bleu, du rouge et du vert sur lesquels est basé l’effet stroboscopique) – et un clip promotionnel sophistiqué. Une fois encore, Noé tombe dans le piège d’une étourdissante surenchère, laissant derrière lui le goût amer d’une sensation d’inachevé, comme si le fourmillement d’idées qui habite son cinéma ne savait être développé autrement que par des artifices.

François Armand

0h 51min | 23 septembre 2020 | France

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