Quelques mois après la sortie d’une nouvelle offrande, En souvenir des vivants, qui donne plus que jamais à entendre ce mélange étrange entre le grotesque et le sacré, le Bub a pris tous les risques en rencontrant le mystérieux Révérend Séide, inquiétante incarnation du terrible duo. Attention : entretien garanti sans filtre dans un imaginaire poisseux et décalé !
François Armand : à coup sûr, Trashpépé est un projet iconoclaste. Quelles en étaient les intentions de départ ?
Révérend Séide : Parce que nous vous devons la vérité, Trashpépé est dépourvu d’intention. Il se contente d’Être. L’Être diffuse et se donne à boire à qui peut le boire. Les Îconophanes ou les Îconophages ne le peuvent sans doute pas, je vous l’accorde volontiers…
F.A. : C’est la mode d’utiliser l’expression « post #metoo » dans les chroniques qui fleurissent partout, donc vous n’allez pas y couper. De son côté, Trashpépé semble se draper dans une sorte de dédain presque aristocratique. Est-ce que finalement Trashpépé, c’est du punk ? Y a-t-il l’idée d’être dérangeant, à contre-courant d’une époque ?
R.S. : Les humains, mais surtout ceux qui les gouvernent ont besoin d’associer les choses. Il est plus simple pour un despote de compotes de confiner leurs confitures de façon binaire. Le # est une expression du tri qui s’opère. L’Être Trashpépéhien se contre-branle dans son essence de ce genre de distinctions.
F.A. : Au risque d’être confondu avec un papier d’un torche-cul reac’ tel que « Valeurs Actuelles », peut-on quand même dire que Trashpépé tente de parler de désir masculin, voire de le comprendre, tout cela teinté d’une certaine amertume ?
R.S. : Pour répondre à votre question, nous pourrions ainsi résumer la chose : le désir n’est ni plus ni moins qu’une bite dans un fion. Et même, puisque vous semblez aimer la précision, je dirais une bite à la circoncision d’un fion. C’est la corrélation entre ces deux imaginaires qui fait exister le désir. Pour l’amertume et le goût des torche-culs… là, c’est juste une question de papille !
F.A. : Finalement, on peut comprendre à votre écoute que le mâle – alpha ou non – dans une société civilisée porte son désir comme un fardeau, comme Sisyphe pousse son rocher chaque jour en haut de la montagne, sans jamais pouvoir atteindre une quelconque paix. Serait-ce comme une expression ironique d’une telle idée ?
R.S. : Vous avez mis là le doigt dans l’orgasme de notre pensée. Tout se plie et se déplie. La paix, toujours luxuriante aux êtres accomplissant, réalisant leur désir – et pas seulement celui logé dans leur culotte – taraude inlassablement le cœur des hommes. De telle façon que seuls les fous ne tueraient pas pour l’obtenir. Mais pour autant ils ne l’obtiendront jamais, pour cause de finitude. Nul besoin de tuer je vous assure. L’équation resterait branlante quoi que vous fassiez.
F.A. : Du coup, il y a cette idée de l’homme victimisé, voire castré, en tout cas empêché. N’est-ce pas gênant d’assumer une sorte d’inversion des rôles ?
R.S. : Le sexe faible de vos sociétés, épris d’une volonté revancharde que des marionnettistes leur ont insufflé, a pris les commandes. Cela doit faire 100 000 ans environ, que l’ordre phallique n’est plus dans la gouvernance véritable. Et peut-être même ne l’a-t’il jamais été ? Un certain Léo Férré disait : « Je suis seul et je pisse quand même. » Pourquoi l’homme répugne-t-il autant à ce qu’on ne la lui tienne pas ? » Les polarités impliquent toujours deux « ceci » ou deux « cela ». N’ y aurait-il pas ici une ébauche de solution dans Sa Pensée ?
F.A. : N’y a-t-il donc pas de paix possible entre les sexes ?
R.S. : Très certain oui. Mais juste entre les deux.
F.A. : De tous temps, les sociétés et les religions ont tenté de refréner les pulsions et les désirs humains. On peut parfois avoir l’impression que l’humanité est capable de dépasser cela, et donc de s’affranchir des religions archaïques. Paradoxalement, de plus en plus de gens se réfugient dès que possible dans des croyances que l’on pourrait penser dépassées. Est-ce donc une fatalité que de toujours s’inventer plus de règles et d’interdits, et ainsi d’avoir un rapport au corps, à l’autre et à la sexualité toujours plus pourrie ?
R.S. : Ne croyez vous pas justement en la pourriture ? Remarquez quelle fragrance le fruit gâté libère, il est une stimulation olfactive et libidinale sans précédent non ? Ce qui vous émoustille par dessus tout, ce n’est pas cette moiteur lisse des chairs, mais bien cette possible impossibilité qui jalonne ce corps offert. Ce veto qui pourrait surgir à n’importe quel moment, fait battre votre cœur et le stimule en raffinant votre désir. N’oubliez pas les rituels des bouquetins. Ils paissent, pissent et pénètrent inlassablement. Mais leur folie n’égalera jamais la votre. Ce que vous voyez comme un paradoxe, n’est en fait que la couverture du réel.
F.A. : Sinon par la religion, notre sexualité contemporaine est soumise aux injonctions du porno. Le fardeau du désir que nous évoquions un peu plus haut n’est-il pas une construction factice issue de l’idée de s’épanouir dans une jouissance génitale continue ?
R.S. : Justement, le porno a perdu les règles de noblesse qui le sépare du bouquetin. On y retrouve exactement les mêmes candeurs. Et le religieux n’est plus vu que par les aveugles. Et le bonheur ? Puisque vous en parlez si peu, peut-être l’avez vous oublié ? Il pourrait vouloir vous sourire et se revêtir de chasteté et briller de milles feux comme le ciel étoilé qui illumine chaque jour les nuits au dessus de vos têtes ! Et cela, quand bien même vous puissiez considérer que vous ayez passé les plus beaux moments de votre vie accolé aux rosées de quelques orifices…
F.A. : Portez-vous un culte secret à Michel … ? (compléter la phrase et éventuellement y apporter une réponse).
R.S. : Affirmatif… (Et dans le plus intime et humble des secrets s’il vous plaît !)
François Armand
Trashpépé / En souvenir des vivants (France | 31 mars 2020)
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