CRAWL
Alexandre Aja

Faut-il s’étonner de voir Alexandre Aja revenir au cinéma d’horreur minimaliste de Haute Tension, qui lui a ouvert les portes des Etats-Unis il y a presque quinze ans déjà ? Pas vraiment. Ce back to basics était sans doute la condition nécessaire pour qu’il puisse espérer continuer à vivre son rêve outre atlantique après les échecs au box-office des inclassables Horns (2014) et La Neuvième Vie de Louis Drax (2016). A bien y penser, il est d’ailleurs incroyable qu’Aja ait pu s’émanciper de la sorte en dehors de son pays, se montrer sous un jour aussi radicalement différent, presque romantique. En tout cas, le plantage en règle de ces deux fresques plus fantastiques qu’horrifiques aurait sans doute scellé le sort de n’importe quel autre frenchy expatrié (il suffit de se rappeler le cas Kassovitz). Alexandre Aja, lui, sans doute en mémoire de ses petits exploits passés (La colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D ont bien fait tourner la planche à billets), a eu droit à sa seconde chance.

Comme il y a un double sens derrière le mot Crawl (qui signifie à la fois nager et ramper), il y a double enjeu pour Aja. D’abord, dérouler sa technique (imparable) de faiseur de peurs, comme son héroïne, nageuse outsider, déroule ces gestes mille fois répétés dans sa ligne d’eau. Ensuite, figurativement, ramer de nouveau (avec un petit budget, un casting et des espaces réduits), quand Haley, elle, doit survivre dans un sous sol en rampant, littéralement. L’analogie entre Haley et Aja est évidente : les deux étaient promis à un brillant avenir, et cherchent un deuxième souffle.

On parle beaucoup des Dents de la mer au sujet de Crawl. Mais avant que la cave soit inondée, c’est bien à Alien, le huitième passager (ou même à The Descent) que l’on pense. Le même jeu sur les décors caméléons, desquels peut émerger l’alligator à tout moment. Cette impression tenace, moite et malaisante, d’être dans l’antre de la bête. Et la rencontre, répugnante, avec les œufs de la « reine mère ».

Et si Aja, au contraire de Spielberg et Scott, exhibe le monstre dans son entièreté assez rapidement, c’est pour mieux faire naître la terreur, par la suite, de toutes ses parties que l’on croit en permanence distinguer dans l’obscurité ou sous l’eau (un dos écaillé, des yeux, une queue, une patte, un flanc).  Dans les années 70, les bons films d’horreur s’évertuaient à repousser sans cesse la vue du monstre : la peur naît et s’alimente de l’inconnu, et donc de ce que l’on ne perçoit pas. Mais c’était aussi, bien sûr, pour des raisons techniques : éviter chez le spectateur la déception que pouvait provoquer l’apparition d’un être créé de bric et de broc, aux mouvements trop mécaniques pour que l’on y croit, et faire retomber le soufflé de l’angoisse monté en épingle.

Mais en 2019, les alligators d’Alexandre Aja sont époustouflants de réalisme. Alors pourquoi repousser la rencontre tant attendue ? Une fois rassasié par le premier face à face (sidérant), le spectateur peut se concentrer sur ses propres phobies, et s’en contenter : cette mâchoire démesurée, cette peau gluante, cette queue qui fouette, on sait qu’on les reverra. Toute la problématique, pour les protagonistes comme pour le spectateur repose sur le « quand ? ». Ainsi, après nous avoir dévoilé la bête sous toutes ses coutures, il s’agit pour le réalisateur français de faire renaître chez le spectateur le trauma initial de la rencontre, encore et encore, et chaque fois différemment.

Et de ce point de vue, chaque jump scare de Crawl est une suée froide garantie. Loin des portes qui claquent de l’écurie Blumhouse. Loin de la surenchère d’un Pascal Laugier. Et à la différence de ses contemporains  officiant dans le genre, Aja sait filmer : il suffit de se référer à la scène de la cabine de douche – absurde, soit, mais pure démonstration de mise en scène – pour s’en convaincre.

En ayant décharné ses dialogues et la psychologie de ses personnages jusqu’à l’os (réduits ici à un dialogue entre Haley et sa sœur, puis à un autre avec son père), Aja se concentre exclusivement sur la tension psychologique, dans tous les plans : un garrot à faire par ci, un SOS à envoyer par là, un plan sauvetage qui tourne mal, une déferlante qui nous tombe dessus… C’est bien simple, le rythme est frénétique, le cauchemar semble ne jamais devoir prendre fin. Si bien que le spectateur, sans arrêt sur le qui-vive, ne sait  jamais quand il va se faire surprendre. Il ne lui reste plus alors qu’à subir chaque nouvelle attaque/mutilation comme s’il s’agissait de sa propre vie.

François Corda

| 24 juillet 2019 | Etats-Unis

 

 

 

08/20

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