Derrière des atours un peu frustres symbolisés par le personnage de Tony Lip, italo-américain débrouillard, grossier et attachant, Green Book se révèle finalement, sur le thème de la discrimination, beaucoup plus fin que toutes les dernières fictions écrites sur le sujet ces dernières années (entre autres BlacKkKlansman, Django Unchained et 12 Years a Slave).
Au départ foncièrement drôle, Green Book doit beaucoup à l’interprétation de Viggo Mortensen, décidément l’un des plus grands acteurs de sa génération, servi ici par un rôle particulièrement coloré, à la frontière de la caricature. Mais petit à petit, au fur et à mesure que ce duo mal assorti (Tony Lip est le chauffeur d’un pianiste noir un peu starlette sur les bords) s’enfonce dans les contrées de plus en plus racistes des Etats-Unis et que leur relation, d’abord glaciale, se réchauffe, l’émotion se fraye un chemin au travers de la souffrance intérieure de Don Shirley. Musicien génial mais guindé, dont le mal-être ne demande qu’à exploser, se libérer, Shirley trouvera son salut au contact de son antithèse, Tony Lip, qui lui même s’élèvera en observant et écoutant son patron, mieux éduqué et cultivé que lui.
Green Book, en inversant les codes du buddy movie, en brouillant les frontières de nos a priori (sur la musique noire, les origines sociales) s’avère non seulement jouissif, mais plus encore, grâce à la distance instaurée par les ressorts comiques (à l’instar des Aventures de Rabbi Jacob), Green Book s’affirme comme un formidable plaidoyer pour la tolérance, qui évite avec brio la mièvrerie et les bons sentiments.
François Corda
| 23 janvier 2019 | Etats-Unis