La saison des pulls tricotés par mamie et de la goutte au nez arrive avec son grand manteau blanc doublé d’un froid vif, propices aux affres de l’introspection. Pour se lamenter dans une mélancolie de circonstance, rien de tel qu’une petite sélection de black metal délicieusement dépressif à écouter en regardant la nature dépérir par la fenêtre.
De l’autre côté de la galaxie se trouve, comme chacun sait, la planète glacée Hoth, abritant la base des rebelles et théâtre d’une bataille épique dans l’Empire Contre-Attaque. Hoth donc, d’où nous parvient aussi un album à la température proche du zéro absolu. Astral necromancy fait donc suite au très remarqué mais non moins inquiétant Oathbreaker. Cet opus explore cette fois les rites étranges, la magie noire, les incantations interdites avec ses trilles électriques imparables, ses riffs en glaçon armé et son black n’roll capable d’arracher mouvements de nuque et claquements du pied à Dark Vador lui-même. Le groupe au logo en forme de chasseur TIE confirme toute sa puissance mélodique et recule encore les limites de la richesse de sa production, conférant à l’ensemble une grande clarté.
De retour sur Terre, ce sont les Néerlandais de An Autumn For Crippled Children qui continuent de hurler au milieu des feuilles mortes avec The light of september. Curieux mélange que cette cold wave, aérienne, progressive, aux accents indie rock, dont la superposition de couches synthétiques mêlée à des plaintes déchirantes et mélancoliques donne une force à l’ensemble, tout en atténuant sa brutalité. En effet, le côté presque lumineux des compositions transforme ce cri, comme une pierre coupante qu’on placerait dans un écrin de coton, pour mieux en saisir la puissance et accentuer une impression de désespoir teintée de douceur.
Arrachant l’auditeur à sa contemplation ouatée, la haine viscérale de Behemoth emporte tout sur son passage. The Satanist avait été un choc et il était impensable de voir un tel exploit être ainsi réédité de sitôt. I loved you at your darkest fait pourtant très fort, tant dans sa forme, sorte de symphonie extrême, que dans le fond. En citant dans le titre de l’œuvre le Christ lui-même, Nergal et sa bande se font plus que jamais provocateurs et blasphématoires. Fidèle à son style, Behemoth fait de régulières incursions dans un death metal dense et baroque, continuant ainsi son travail de synthèse avec un black metal plus traditionnel. Armé de compositions à la fois épiques et complexes, fortes d’une myriade d’ajouts tous plus profanes les uns que les autres, le groupe Polonais assoit encore un peu plus un statut d’incontournable de la scène metal.
Une longue marche dans les étendues désertiques et glacées du grand nord Canadien parait idéale pour se remettre d’un tel déchaînement de haine. Dans une longue plainte lancinante (et en Français dans le texte), les Québécois de Cantique Lépreux transportent l’auditeur imprudent dans un froid polaire, seul sous le ciel étoilé. Atmosphérique, la musique s’étend dans une langueur sans fin pour raconter les Paysages Polaires, racontant à la fois la beauté et l’implacable rigueur de l’hiver terrible. Au grès de poèmes hurlés et autre riffs mélodiques, dans la solitude et le désarroi, il n’est pas exclu non plus de croiser le Diable au détour d’une crevasse ou les spectres d’aventuriers prisonniers de la banquise.
Un classique enfin permettra de remettre en perspective l’évolution du black metal depuis ses origines. L’œuvre fondatrice de Mayhem Grand Declaration Of War se trouve rééditée avec un nouveau master. Formidable concentré de noirceur, l’album bénéficie là d’une seconde jeunesse. Les conditions originales d’enregistrement ne permettaient pas d’avoir une production aussi profonde et vénéneuse que voulue. Surtout la batterie et ses blasts semblent être véritablement exhumés suite à ce travail, permettant la (re)découverte d’un album surprenant, n’ayant rien perdu de son pouvoir de fascination, beaucoup plus nuancé dans ses tonalités qu’il n’y parait, bourré de trouvailles telles que ces phrases enregistrées à l’envers, puis inversées à nouveau : étrange effet qui n’est pas sans rappeler le procédé utilisé par Lynch dans Twin Peaks. Cette musique sent toujours autant le soufre, à l’image d’un groupe à l’histoire ahurissante (suicide, meurtre, incendies d’église, déclarations douteuses…).
François Armand
Hoth / Astral Necromancy (Etats-Unis | 15 juin 2018)
An Autumn For Cripped Children / the light of september (Pays-Bas | 14 septembre 2018)
Behemoth / i loved at your darkest (Pologne | 5 octobre 2018)
Cantique Lépreux / paysages polaires (Canada | 30 novembre 2018)
Mayhem / great declaration of war (Norvège | 7 décembre 2018)