UNE ANNÉE POLAIRE
Samuel Collardey

Samuel Collardey poursuit son chemin à la frontière entre le documentaire et la fiction. S’exilant cette fois au Groënland, le réalisateur d’Une année polaire ne s’attarde pas longtemps sur le passage obligé du choc des civilisations et s’engouffre rapidement dans une voie plus constructive et positive que celle d’une conversion forcée vers une forme de norme occidentale, dont, de toute évidence, les habitants de ce village perdu de quatre-vingt âmes ne veulent pas entendre parler.

Samuel Collardey ne joue pas au béat pour autant. L’intégration d’Anders n’est pas évidente : l’accueil est rude, voire inexistant. Sa tâche, l’enseignement, est vite vectrice de frustration et d’incompréhension. Mais dès lors qu’Anders accepte l’idée que c’est à lui de s’adapter et non à ceux qu’il est venu rencontrer de son plein gré, un nouveau monde s’ouvre à lui, et donc à nous, spectateurs, qui nous identifions à lui.

Il faut préciser qu’au départ, Anders s’est expatrié vers le Groënland autant par conviction professionnelle et humaniste (l’enseignement) que par nécessité de rompre un atavisme (reprendre, de génération en génération, la direction d’une ferme familiale au Danemark). Et c’est en partie grâce à l’impuissance à laquelle il fait face lorsqu’il essaye d’attirer l’attention de ses élèves en se conformant à un modèle éducatif complètement inadapté qu’il va réagir. Collardey n’insiste pas sur la pédagogie ou les cours d’Anders, d’ailleurs vite réduits à néant par la dispersion de ses élèves. L’espoir de transmission d’Anders aux enfants ne réside pas là ; que ce soit heureux ou malheureux n’est pas la question. En tout cas cette transmission ne peut pas se faire dans la forme traditionnelle qu’Anders imaginait. Elle viendra plus tard, et sera bilatérale, forcément.

Samuel Collardey se sent globalement plus concerné par les conditions de vie extrêmes des habitants, sans pour autant sombrer dans le sordide : les problèmes sociaux, connus, de ces populations au taux de chômage effarant, sont volontairement relégués hors-champ, et même balayés d’un revers de main au détour d’une réplique cinglante d’un villageois. Samuel Collardey insiste au contraire sur la beauté des coutumes (le double enterrement, la chasse à l’ours, les petits-enfants gardés et initiés par leurs grands-parents). La magie de l’environnement semble suffire, malgré sa rudesse, à illuminer le coeur et l’esprit de ces humains abandonnés au bout du monde.

Avec Une année polaire, Samuel Collardey met à mal, en douceur, une forme de condescendance occidentale envers des peuples reculés à la culture radicalement différente de la nôtre. Même inconsciente dans le cas d’Anders (son choix de départ est valeureux, c’est incontestable), cette condescendance exige, pour qu’on y mette fin, une réflexion sur soi et les valeurs de notre société riche, soi-disant moderne, et que nous érigeons volontiers en modèle indétrônable.

François Corda

| 30 mai 2018 | France


 

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