On a reproché à Jonas Cuarón d’être passé à côté de l’aspect politique de son sujet : partir d’un enfer, le supposé cauchemar mexicain (drogue, pauvreté), pour en retrouver un autre, celui d’une Amérique qui a perdu son humanité. Une Amérique symbolisée par un personnage nommé Sam (évidemment), représentant à lui tout seul la figure white trash et l’essor d’un mouvement d’extrême droite attaché au territoire et à la « liberté » (et donc aux armes).
Mais, a priori peu concerné par ce potentiel, Jonas Cuarón balaye bien vite l’argument sociologique. Sans doute dès le premier plan, superbe, qui en rappelle un autre, de Massacre à la tronçonneuse : un camion minuscule perdu dans l’immensité d’un désert. Le poids du titre vient ensuite s’écraser sur le cadre ; Jonas Cuarón a choisi une autre voie, celle de s’attacher, obstinément, au désert du titre. Au cours d’un survival très sec, le réalisateur Mexicain filme le seul héros du film : une étendue sauvage parcourue de quelques émigrants livrés à la folie de Sam. Pas un rocher, pas un arbre, pas une grotte, pas un buisson, pas un serpent n’échappe à Cuarón, qui filme les reliefs de son espace ouvert comme un immense danger, pour ne pas dire un tombeau.
Pas ou peu de scénario, pas ou peu de dialogues, pas ou peu de personnages. Juste des formes qui suent et souffrent (les Mexicains), livrées à la folie de Sam, personnification de l’envers du rêve américain : racisme, alcoolisme, solitude. Au-delà de cette métaphore, Desierto surpasse ses maigres enjeux humains (ne faisons pas semblant, de suspense il n’y a point) par sa façon de mettre en scène l’environnement et de jouer sur les distances, toujours trompeuses dès lors que les rapports spatiaux s’effacent. La plus belle scène de Desierto étant cette absurde course-poursuite sous Tranxen autour d’un gigantesque roc. Le désert est plus sauvage que l’homme, même le pire d’entre eux. Sam pleure comme un gamin dès lors qu’il comprend qu’il ne sortira plus de cet endroit qu’il chérit pourtant plus que tout au monde (son chien mis à part).
Les dernières minutes, expéditives, justifiées par un pseudo-impératif scénaristique dont on n’a cure, et parasitées par un clin d’œil un peu grossier à Gerry, auraient pu s’étendre encore et encore au son de la partition abrupte de Woodkid. Non que l’on se sente réellement concerné par le calvaire de ces hommes pris au piège. Mais la majesté des paysages qui les engloutit est un spectacle, qui, sous l’œil de Jonas Cuarón, ne lasse pas.
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Desierto de Jonas Cuarón (Mexique, 1h34)
Date de sortie : 13 avril 2016
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bub