Elle
Paul Verhoeven

EnterreL’âge d’or de Paul Verhoeven s’arrête avec son dernier chef d’œuvre, Starship Troopers, réalisé en 1997. S’en suivra une dernière expérience américaine, avec le décevant Hollow man (2000), et un retour à ses sources Hollandaises avec un film historique plus conventionnel, Black Book (2006). Difficile, dans ces conditions, de croire en une résurrection de Verhoeven ; mais on pouvait imaginer, à travers lui, sentir la brise légère du renouveau dans un cinéma français trop souvent enfermé dans ses carcans, être le témoin d’une audace capable de le repousser dans ses retranchements.

Malheureusement, si la première heure pose l’histoire et détermine le rôle de ses protagonistes, la deuxième heure n’est que désillusion et enterre l’œuvre un peu plus chaque minute pour de multiples raisons.

Des invraisemblances. Une femme, après s’être fait violer sauvagement, décide de commander des sushis : Elle n’est malheureusement qu’une succession de situations totalement incongrues qui, à défaut de mettre mal à l’aise, finissent juste par lasser à la longue. Et si certains dialogues ou certaines scènes prêtent à sourire, c’est le plus souvent de façon accidentelle (la scène de l’accouchement).

Dans Elle, rien n’a d’incidence sur rien et toute forme de vraisemblance semble proscrite : je perds mes parents à quelques jours d’intervalle, ma meilleure amie vient de découvrir la liaison que j’avais avec son mari, je suis la risée de mes collègues de travail… Ces quelques éléments, dont on pourrait imaginer qu’ils bousculent le déroulement du récit ou provoquent des réactions en chaîne ne sont guère impactants. On pourrait répliquer que le réalisateur joue la carte du « décalage », ce qui le soustrairait justement à toute forme de vraisemblance, mais ce n’est clairement pas le ton de Elle, qui lorgne vers la dramaturgie maladroite.

Un casting inégal. Verhoeven a toujours fait des choix discutables concernant ses comédiens. Prendre Schwarzenegger pour Totall Recall était un pari risqué. Mais l’acteur, bien dirigé, révélait une vraie profondeur qu’on ne soupçonnait pas nécessairement chez un homme habitué aux rôles de brutes épaisses. On pouvait donc s’attendre avec le réalisateur Hollandais, à (soyons fous), découvrir le talent insoupçonné d’une Virginie Efira ou une nouvelle facette du jeu de Laurent Laffitte. Mais, soyons clair, le jeu de ce dernier consiste à froncer les sourcils en faisant un regard noir sans piper mot quand il joue la colère, et à nous sortir un sourire enjôleur et des yeux qui brillent pour nous jouer le voisin sympa. Ca marcherait sans doute dans un biopic de Michel Leeb mais chez un provocateur subtil comme Verhoeven, cela semble pour le moins inadéquat. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’un personnage complexe dans son rapport au viol et essentiel à l’intrigue du film. A contrario, Alice Isaaz, excellente dans le film, incarne un personnage totalement sous exploité et caricatural (la colérique de service) dont même l’évènement majeur qui la concerne semble au final assez anecdotique.

Une réalisation plate. Pas un téléfilm mais presque. On ne peut pas dire qu’Elle brille par la maestria de sa mise en scène ou le travail somptueux de son chef opérateur. Pourquoi un réalisateur expérimenté comme Verhoeven est-il ici aussi académique ? Pas un seul plan, un seul mouvement de caméra, une seule audace formelle pour retenir l’attention. Verhoeven n’a jamais été un formaliste, mais la puissance narrative de ses grands films se suffisait à elle-même.

Alors que reste-t-il ? Isabelle Huppert, qu’on a toujours autant de plaisir à retrouver dans ses rôles de femmes psycho rigides à moitié folles dans la pure lignée de La Pianiste de Michael Haneke ou dans un autre registre (comique celui-là) à la Tip Top de Serge Bozon. Tiens, Haneke… Voilà un réalisateur qui est parvenu, via La Pianiste, Caché ou Amour, à imposer sa patte dans un contexte francophone pour accoucher d’objets singuliers. Là où certains réalisateurs étrangers ont réussi leurs paris, Verhoeven échoue et nous sert un film français sans signature.bub

Ivann Davis

bub

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Elle de Paul Verhoeven (Allemagne, France ; 2h10)

Date de sortie : 25 mai 2016

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