Psy(musi)chothérapie
bilan musique 2015

FocusCette année, il aura fallu se soigner. La musique comme thérapie, ce n’est pas nouveau : le peintre flamand Hugo van der Goes, mélancolique suicidaire, fut soigné par la musique, et pas mal de rockers seraient peut-être devenus timbrés s’ils n’étaient pas passés à la musique. Selon un autre courant, la musique adoucirait les mœurs et certaines autorités tenteraient même d’influencer les passions et la morale des quidams que nous sommes en jonchant les gares de pianos. Les meilleurs artistes de cette année, eux, nous ont imposé un traitement autrement plus radical et salvateur : bienvenue dans le monde d’une musicothérapie d’un nouveau type, pleine de rage, d’angoisse et d’envie de liberté.

Bruit Noir soigne le mal par le mal. Le malheur (amoureux, social) comme moteur de purge, comme moteur de réflexion aussi, sur les maux qui rongent notre quotidien (la solitude, l’ennui, la connerie, les boulots harassants…). C’est du rire en barre, la sublimation de la sinistrose. Ecouter les machines de Bruit Noir, la voix douce de Pascal Bouaziz, c’est se purifier de la saleté du monde. Idem avec Killing Joke. Leur combat contre le capitalisme et ses dérivés (démocraties mises à mal, écosystème sacrifié) semble inextinguible : trente-cinq ans que la bande de Coleman se bat contre l‘aliénation que le système provoque. Pylon pilonne, comme la plupart des albums du groupe anglais, jusqu’à l’épuisement. Le message est clair comme une ligne de basse en quatre temps, un riff de guitare répété à l’envie. C’est une libération.

IAMX, comme Lone Wolf et Ezra Furman assument dans leurs paroles ou off record qu’ils ont été mal et qu’ils vont mieux depuis qu’ils ont écrit leurs disques sortis l’année passée. Insomnie pathologique et chronique pour Chris Corner (IAMX), crises d’angoisse pour Paul Marshall (Lone Wolf), troubles de l’identité pour Ezra Furman. Ces auteurs/compositeurs chantent sur eux et pour eux. Tout en pulsations nerveuses, la techno-pop de Chris Corner fait des ravages sur Metanoia, album forcément destiné aux oiseaux de nuit, amateurs de clubs, de grands espaces vierges ou de ruelles désertes. Paul Marshall surclasse et symbolise à la fois tout le mouvement dubstep sur Lodge, condensé d’electronica fragile dominée par un piano lumineux, parfaitement adapté au recueillement et à la guérison de plaies intimes. L’Américain Ezra Furman, qui narre son parcours personnel (passionnant) dans le livret de Perpetual Motion, joue sur la dualité pulsion de vie (sa musique, fanfaronne, à fond les ballons) / pulsion morbide (les paroles, très autobiographiques). Le résultat est déstabilisant, entraînant, et au final, purement euphorique.

Beach Slang joue aussi sur l’énergie, mais il s’agit là d’une sorte de punk-noise, admirablement produit, dans lequel le chanteur James Alex hurle « alive » et « young » à profusion : cette idée que la jeunesse et la vie emportent tout sur leur passage, via un ouragan musical aussi bref que violent, fait office de véritable cure de jouvence. L’album The Things We Do To Find People Who Feel Like Us, tout un programme thérapeutique, s’il dure moins de trente minutes, n’a pourtant rien d’une homéopathie. Non, ce qu’il faudrait, c’est une nouvelle dose, s’il vous plaît.

Un mot sur nos quatre autres lauréats, en forme de confirmation pour Du Blonde (sorte d’égérie blonde de la PJ Harvey des débuts, la morgue en moins, la sensualité en plus), dont nous avions aimé le premier album folk aventureux sous le nom de scène Beth Jeans Houghton. Confirmation aussi pour Snow Ghosts, dont A Wrecking marque l’assurance d’un duo qui a résolument trouvé une place entre dark electronica et folk pluvieux. Ce deuxième essai a été injustement ignoré, mais l’utilisation (discrète) de l’un de leurs titres pour le trailer de Xmen Apocalypse leur ouvrira peut-être des horizons meilleurs. Quant à Khemmis et Rolo Tomassi, Absolution et Grievances se suffisent à eux-mêmes comme meilleurs albums de métal de l’année : prouvant que le genre peut tenir seul à la complexité et à la beauté de riffs portés par l’alternance d’un chant puissamment lyrique et de pincées de growlingbub

François Corda

bub

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Top musique 2015

01 – Bruit Noir / I-III
02 – IAMX / metanoia
03 – Rolo Tomassi / grievances
04 – Khemmis / absolution
05 – Beach Slang / the things we do to find people who feel like us
06 – Ezra Furman / perpetual motion
07 – Du Blonde / welcome back to milk
08 – Lone Wolf / lodge
09 – Killing Joke / pylon
10 – Snow Ghosts / a wrecking

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