Interstellar
Christopher Nolan

Duel 18.10.00Interstellar brasse beaucoup de genres. Trop pour être honnête ? En tout cas Laurent et François ont deux visions tout à fait différentes du nouveau méga projet du très Hollywoodien Christopher Nolan…

François Corda : Qu’en dis-tu si j’avance qu’Interstellar est le film le plus Spielbergien de Christopher Nolan ?

Laurent Leplaideur : Que ça ne veut pas dire grand chose, même si il est vrai que le projet était initialement destiné à Steven Spielberg. En fait je rebondis sur ta question en t’en posant une autre  : qu’est-ce qu’un film « Spielbergien » pour toi ?

FC : Crois-moi ou pas, je n’avais aucune idée que Spielberg avait été impliqué, de près ou de loin, dans cette affaire ! Simplement, oui, j’ai retrouvé dans Interstellar des thématiques spielbergiennes typiques : l’extraterrestre perçu comme ami et non comme envahisseur, le robot émotif, la famille… Qui plus est Spielberg est un cinéaste de l’émotion (au sens noble du terme), et jamais Nolan n’avait approché cela dans son cinéma. Le parcours du héros de Memento avait quelque chose de touchant, mais dans ses autres films les personnages étaient plutôt fonctionnels. Interstellar, plus qu’un voyage intergalactique nourri d’action, est un mélodrame.

LL : Tel quel Nolan essayant de faire l’émotion à la Spielberg (d’accord sur le sens noble du terme pour ce réalisateur) m’a plus fait penser à Joel Schumacher tentant de faire du Tim Burton exacerbé avec ses Batman des années 90 : un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine.
Alors oui, effectivement c’est du mélodrame, hélas dans le sens théâtral du terme, ponctué d’incohérences, de personnages prenant des décisions irréfléchies ou s’excitant pour pas grand chose. Cette exagération d’état d’âme, que dis-je, cette hystérie, est pour moi, un simulacre facile pour tenter, voire le plus souvent forcer le public à s’émouvoir. Et je crois que c’est ce qui me gène le plus chez Nolan dans sa notion d’émotion : c’est qu’il nous y force. D’autres, dont Spielberg même lorsqu’il y va avec ses gros sabots, nous laissent le choix à travers souvent des choses simples (une larme, un sourire, une note de musique) ou hors champ, tel que le duel Tom Cruise- Tim Robbins dans La Guerre des Mondes… Où, tiens, les envahisseurs n’étaient pas si gentils que ça!
Autre chose aussi, ce genre d’oeuvre de science fiction n’est jamais pensé comme un film d’action, mais plus comme un questionnement métaphysique sur une odyssée intergalactique, et ce que l’Homme va trouver au bout de ce voyage. Or je trouve que Nolan ne s’y intéresse absolument pas. Ce qui l’importe, ce sont ses personnages dont a vite faire le tour au bout d’une heure.

FC : Effectivement, je ne pense pas que ce qui a mobilisé Nolan dans le projet Interstellar soit l’odyssée à proprement parler. De ce côté-là, très intelligemment, Nolan a minimisé les effets numériques (omniprésents depuis des années au cinéma et en fin de compte, plus crédibles pour un sou) pour privilégier les décors naturels, superbes. Mais ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les enjeux humains et en particulier les liens qui unissent et en même temps séparent cette famille américaine. Le dilemme moral du père, qui fait un choix entre l’amour qu’il porte à sa famille et cette mission qu’il prend à cœur (pour des raisons philanthropiques soit, mais aussi par égoïsme puisqu’il peut ainsi réaliser un rêve qui a toujours été hors de portée), je l’ai trouvé passionnant. D’autant plus qu’il est incarné par un acteur, Matthew Mc Conaughey, qui est, c’est le cas de le dire, vraiment sur une autre planète. Je boucle sur Spielberg : tu évoques La Guerre des Mondes (dont le final était d’ailleurs d’une mièvrerie sans bornes), là j’ai surtout pensé à A.I., voire à un cousin de Rencontres du troisième type. Au-delà de ça je repars quand même d’Interstellar avec des étoiles plein les yeux : les séquences de la planète mer et du trou noir sont incroyables !

LL : Faisons l’impasse sur la Guerre des Mondes, c’était juste pour évoquer le côté non-gentil des ET et toutes les intéressantes séquences avec le personnage interprété par Tim Robbins, et revenons à Interstellar, tu veux bien ? Tu prêtes à Nolan, et donc au film, de très bonnes intentions – la famille, les dilemmes moraux, les choix des personnages principaux – et là dessus je te rejoins ; mais si ces idées sont relativement bonnes, leur traitement est calamiteux.

Beaucoup d’événements sont téléphonés comme le « fantôme » ou le revirement de Matt Damon, le long montage alterné censé faire monter le suspense est très mal construit (l’expédition avec Jessica Chastain/Murphy qui rend visite à la famille de son frère) car rien ne lie ces deux environnements, d’ailleurs la fin de ce passage n’aboutit à rien pour l’un des deux, les ellipses sont assez grossières comme l’éventuel entraînement de Cooper avant de décoller ou le fait qu’il soit récupéré dans l’espace à la fin…

Et j’ose à peine évoquer la manière dont Nolan pervertit la notion d’ironie dramatique : désormais c’est un fait acquis que, ce que sait le spectateur, le personnage à l’écran le devine sans chercher, un peu  comme Murphy qui découvre qui est le « fantôme » presque d’un claquement de doigts.

FC : C’est un détail technique. Interstellar ne joue qu’assez peu sur la notion de suspense, qu’il soit dramatique (Cooper va-t-il revoir sa fille) ou technologique (vont-ils réussir à rentrer). D’ailleurs le film, bien qu’il soit très long, ne s’encombre pas d’explications ou de faits mais plutôt d’idées ou de cadres que je trouve très beaux (belles). Celle de considérer que le fantôme de Murphy est son propre père, situé dans un autre espace temps, j’aime. Celle des planètes hostiles (de la vague géante notamment), du vieillissement programmé (l’ellipse de l’attente de l’astronaute), la terre reconfigurée à l’identique en quatre dimensions, sans parler des messages laissés sans réponse, autant de moments parfois courts, parfois plus longs qui bousculent un peu l’imaginaire. Ca fait du bien !

Quant aux ellipses, elles me semblent tout à fait justifiées : voir Cooper s’entraîner ou se faire récupérer dans le trou noir ce sont des aspects purement techniques qui se seraient sans doute révélés rébarbatifs…

LL : De mon côté j’ai plutôt senti Nolan extrêmement fatigué, avec un sujet qu’il a été incapable de mettre en scène et jouant d’artifices pour nous faire croire qu’il savait où il allait. Et si le film se veut dépaysant, eh bien hélas, il est tellement dans des tons gris et tristes, qu’il en devient monotone : des deux planètes, aucune ne fait dans l’originalité : une couverte d’eau, et l’autre de pierres et de glace… Pour se prendre pleins d’étoiles dans les yeux, on repassera, non !?

FC : Comme je le disais plus haut, j’en ai assez des effets numériques à gogo. Vive les décors et naturels et/ou les décors de studio !! Je n’y aurais pas cru un instant si on m’avait balancé des délires de graphiste avec des monstres pixélisés. Les planètes sont censées être viables : à quoi peut-on s’attendre dans ce cas si ce n’est à des éléments géographiques que nous connaissons déjà ? Le titre d’Interstellar peut se révéler trompeur : on se prépare à quelque chose de baroque, un peu fou, quand le film propose quelque chose de finalement plus terre à terre : une histoire de famille… Mais tout de même très particulière !

LL : C’est peut être ce qui ne m’a pas plu… Une histoire de famille à laquelle je n’ai pas foncièrement accroché. J’avais envie très clairement d’autre chose, d’une véritable odyssée spatiale et métaphysique. Or ceci, Nolan n’y attache que peu d’importance et remplit cette part avec du déjà vu issu de nombreux autres films. C’est bien dommage, car comme toi j’ai trouvé certains personnages et leurs rapports entre eux très intéressants, ainsi qu’un jeu d’acteur remarquable comme à l’accoutumée de Matthew McConaughey, parfait en héros épuisé. Mais hélas tout cela est desservi par des situations invraisemblables qui m’ont annihilé toute forme d’émotion.

François Corda et Laurent Leplaideur

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Interstellar de Christopher Nolan (Etats-Unis ; 2h49)

Date de sortie : 5 novembre 2014

bub

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