François et Martin ont souhaité débattre d’Alabama Monroe, qui aura été un des grands moments cinéma de cette année 2013 si l’on en juge par l’accueil public et critique qui lui a été réservé. L’occasion pour eux de définir les ingrédients qui, de leur point de vue, contribuent à la réussite ou à l’échec d’un mélodrame.
Martin Souarn : François, tu es le seul membre de la rédaction à ne pas saluer Alabama Monroe. Qu’est-ce que tu reproches exactement à l’histoire tragique de Didier et Elise ?
François Corda : Oula, beaucoup de choses ! J’avais plutôt aimé La Merditude des Choses, le précédent film de Felix Van Groeningen. Malgré le pathos il parvenait à insuffler une sorte d’esprit potache franchement vivifiant. Ce qui m’a déplu dans Alabama Monroe, c’est que l’air y est irrespirable. Il y a une forme de complaisance dans le malheur, de morale résignée sur l’injustice de la vie que je trouve artificielle parce que peu crédible.
MS : Je trouve ton constat très noir. Certes, en se concentrant linéairement sur l’histoire, on peut n’y voir qu’une avalanche crescendo de malheurs. Mais la construction du film permet à mon sens de transcender les faits crus de l’intrigue et de les présenter d’une toute autre manière pour un rendu qui m’apparaît au final plus épique-dramatique que tire-larmes ou pessimiste ! Les événements eux-mêmes sont bien malheureux mais pour peu qu’on se laisse porter par la narration musicale et discontinue du film, on se retrouve à contempler le récit du couple comme on contemplerait une fresque humaine.
FC : A mon sens cette discontinuité narrative fait justement perdre beaucoup d’intérêt au film puisque l’on sait tout, ou presque, à l’avance. Et elle fait naître une sorte de suspense un peu malsain. On ne va pas spoiler les lecteurs, mais grossièrement, les enjeux narratifs tournent surtout autour du couple, en se concentrant sur le « comment » (comment ils sortent ensemble, comment ils s’engueulent) plutôt que sur le « pourquoi ». Cela aurait pourtant forcé Van Groeningen à densifier un peu plus ses personnages, qui, en l’état, sont de purs prototypes (Elise, bimbo très sympa vs. Didier, hippie cowboy très sympa). Le gros problème du « comment », c’est aussi qu’il implique une somme de détails craspecs que j’ai trouvés tout à fait déplacés, et surtout parfaitement inutiles. Cette forme de naturalisme documentaire, notamment dans la première partie, n’est à mon avis qu’un moyen d’appuyer des effets dramatiques déjà bien chargés.
MS : Plutôt que ce suspense malsain dont tu parles, il y a pour moi dans ce montage comme une exploration subjective de leur histoire ; dont l’achèvement prendrait place dans cette avant-dernière séquence où Didier reste pensif dans sa cour. Comme si, à ce moment précis, ce dernier se repassait fébrilement ses souvenirs en désordre, au rythme de la musique bluegrass qui accompagne son existence, pour tenter de mettre un sens à ce qui lui arrive et ainsi continuer à vivre. Dès lors je ne trouve pas juste que tu parles d’impudeur concernant certains détails de la vie de Didier ; car si c’est bien lui qui revisite subjectivement le récit de son couple alors je ne vois pas l’intérêt qu’il aurait eu à s’auto-censurer. Ce qui compte pour lui à cet instant, dans son introspection, ce n’est pas de comprendre « pourquoi » tout cela s’est passé (il ne récolte d’ailleurs rien de bon en allant tout mettre sur le dos des religions) mais plutôt « quel sens » y mettre. La séquence de fin en est d’ailleurs un écho merveilleux, avec cet entrain magnifique et cet air de dire : « J’en ai bavé, je suis cassé mais la vie continue et j’en ressors grandi » !
FC : Je ne sais pas si on peut sortir grandi de tels évènements, ou en tout cas, aussi rapidement… C’est d’ailleurs un problème récurrent dans Alabama Monroe : une bonne chanson et ça repart. C’est très joli comme concept, mais, déjà, je ne suis pas du tout convaincu par l’interprétation desdites chansons (notamment lorsqu’Elise s’en mêle, son chant me semble particulièrement emprunté), et ensuite, je ne crois pas une seconde à leur introduction dans les passages dramatiques, cela me semble forcé. On en parlera peut-être prochainement puisque nous ne sommes pas d’accord non plus sur le dernier film des frères Coen, mais j’ai été plus convaincu par l’utilisation de la musique dans Inside Llewyn Davis. Sans doute aussi parce que la mélancolie y est plus sourde, moins exhibée…
MS : En fait, Inside Llewyn Davis est plus l’illustration intimiste d’une chanson folk pleine de misère que la mise à l’écran d’une gigantesque composition bluegrass, comme Alabama Monroe, dans lequel des évènements douloureux sont contés avec une passion presque euphorique.
FC : Eh bien justement, ce sentiment d’euphorie je l’ai trouvé dans La Guerre est Déclarée de Valérie Donzelli, qui traite d’ailleurs, peu ou prou, du même sujet. Et j’avais été beaucoup plus convaincu ! C’était coloré, positif. La balance me semblait beaucoup plus équilibrée, plus fine aussi, entre dureté et volontarisme.
MS : Nous en reparlerons peut-être quand j’aurai vu le film de Donzelli ! Mais ce déséquilibre dont tu parles ne m’a pas frappé comme un défaut. C’est parce qu’à mon sens il est soutenu par une passion rendue palpable par le traitement de Van Groeningen. Cette passion humaine, si débordante qu’elle en atteint l’équilibre du film, c’est probablement d’ailleurs un des éléments qui rend Alabama Monroe si attirant et qui contribue à sa réussite.
François Corda et Martin Souarn
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Alabama Monroe de Felix van Groeningen (Belgique ; 1h49)
Date de sortie : 28 août 2013
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