HAYDEN
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FocusPour bien comprendre la carrière de Hayden Desser, plus connu sous le nom de Hayden, il peut être intéressant de revenir sur une petite anecdote survenue lors de l’un de ses derniers concerts parisiens (2004, quelque chose comme ça). Devant un public se résumant à une poignée de personnes, le canadien laisse une possibilité de jukebox aux spectateurs. Quelques téméraires osent donc réclamer une chanson ou deux, et l’évocation d’un titre, « In September », fait soudain rire le jeune trentenaire qu’Hayden était à l’époque. Le tout s’accompagnant d’un refus net d’interpréter la chanson. Il faut dire que ce morceau, datant de son premier album Everything I Long For (1995), symbolise à lui tout seul un mal-être dont l’auteur-compositeur semble vouloir se détacher depuis. Une décharge électrique au sein d’un disque qui semble avoir été, en son temps, l’équivalent d’une puissante catharsis. Une plaie à vif qu’Hayden cherche à masquer depuis presque vingt ans derrière un folk désormais accueillant, mais au sein duquel semble toujours errer une âme en détresse.

La discographie d’Hayden est née sur les cendres du grunge, cela ne fait nul doute à l’écoute d’Everything I Long For. Un disque parcouru, entre deux ballades déprimantes, par des morceaux coups de poing à l’énergie morbide. La voix de baryton du chanteur s’y exprime parfois par des hurlements qui ressemblent de près à des cris de douleur. On peut donc comprendre que Desser, lors de ce concert parisien, ait balayé d’un revers de la main la simple probabilité de jouer un morceau qui lui évoque certainement une période pour le moins noire. Ceci dit, Hayden a toujours été capable de douceur, et ce dès ses débuts. Mais au départ il impressionnait par sa façon de faire cracher des cordes de nylon, accordées deux tons en dessous, comme une guitare saturée.

Aujourd’hui, ce que produit le Canadien n’a (quasiment) plus rien à voir avec ce coup de force qui s’apparente, avec le recul, à un accouchement difficile, à la naissance d’un artiste aux forceps. Cependant, il y a quelque chose en lui (malgré lui ?) qui résiste depuis à cette volonté de tirer un trait sur le passé. L’apaisement de tous les disques qui ont suivi Everything I Long For, qui dessinent un folk charnel (héritier de la facette la plus calme d’un Neil Young), est une façade. Et c’est cela qui rend la suite de ses aventures musicales toujours aussi touchantes, à défaut d’être, il est vrai, aussi marquantes. Dans les faits, reconnaissons qu’après Everything I Long For, jamais plus Hayden n’hurlera, jamais plus il ne désaccordera sa guitare. Même sa voix naturelle de baryton n’apparaîtra que par secousses, le chanteur préférant désormais la caresse d’un timbre moins sombre, et donc moins puissant, puisque perché dans des aigus, qui ne sont pas naturels pour lui. Il n’en reste pas moins que ce choix vocal laisse sourdre comme une forme de dédoublement de la personnalité, une forme adoucie de schizophrénie finalement attendrissante. Comme si Hayden ne voulait plus, peut-être pour se protéger, exorciser ce noir à broyer qui reste en lui.

La musique elle-même s’est convertie à ce changement de ton. Les tornades des premières heures se sont définitivement éteintes pour laisser la place à des mélodies à la fois directes et travaillées (comme le prouve le très beau double Live At Convocation Hall (2002) où il s’accompagne seulement d’une guitare et d’un piano). Mais qu’il le veuille ou non, le chanteur laisse derrière lui, pour peu que l’on ait écouté en premier lieu ce fameux Everything I Long For avant ses autres essais, un gigantesque champ de ruines, un terrain dévasté par une tristesse qu’aucun disque, aussi placide soit-il, même agité de temps à autre par un humour décalé et surprenant, ne pourra faire oublier. Hayden semble être possédé par une nostalgie indécrottable qui habite et habitera sans doute toujours ses compositions, souvent lentes et charpentées du plus beau bois. Ce bois dont on se plaît à penser qu’il peuple ce « Skyscraper National Park » dans lequel l’homme enregistre ses chansons depuis des années maintenant.

On imagine qu’Hayden, malgré sa nouvelle vie de famille évoquée dans Us Alone (2013) est toujours ce loup solitaire incapable d’accéder à la sérénité totale. Ce n’est pas le titre parlant de ce dernier album, qui s’achève sur une superbe chanson testamentaire, qui nous prouvera le contraire : la mélancolie profonde est son meilleur moteur artistique.

François Corda

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