Black Death
Christopher Smith

DeterreIl y a des tout petits films qu’on a envie d’aimer un peu plus que ce qu’ils valent parce qu’ils fourmillent d’idées inédites. C’était déjà le cas de Severance (2006), du même Christopher Smith, qui parvenait à dresser un portrait percutant et drôle du monde vicié de l’entreprise au sein d’un survival à la trame plutôt classique. Black Death (qui n’a pas bénéficié de sortie en salles françaises) est du même acabit. Ce quatorzième siècle bouffé par la peste noire suinte méthodiquement la mort, présente dans chacun des plans. C’est finalement dans son histoire (proche du conte initiatique) et dans son traitement visuel que Black Death révèle de vraies singularités.

Smith a le sens du code. C’est un homme appliqué qui connaît ses classiques. À tel point qu’Osmund, le jeune moine amoureux, fait immédiatement penser à Christian Slater dans le Nom de la Rose. C’est certainement cette facette, scrupuleuse (trop diront certains), qui est la moins convaincante chez Smith. On a la sensation que ce dernier cherche à rallier à sa cause les spectateurs en leur remémorant, de manière un peu trop ostentatoire, une histoire (cinématographique et/ou scénaristique), qu’ils connaissent déjà. Cela étant dit, il faut reconnaître que le réalisateur anglais dresse un portrait de l’époque qui semble parfaitement juste si l’on s’en réfère aux manuels de vulgarisation. Charniers, mercenaires, lynchages publics, monastères et villages… Les éléments typiques semblent d’un réalisme étonnant dans Black Death, et c’est le contrepoint heureux de ce respect minutieux des codes qui pourrait faire défaut à Smith s’il ne les suivait pas avec autant de foi.

La réelle finesse de Black Death se joue en fait à d’autres niveaux. Son sujet d’abord. La peste a rarement été le centre d’un film, or elle est ici de tous les plans. Présente à l’écran même lorsqu’elle est invisible (la peur sur les visages), la peste selon Christopher Smith renvoie directement aux films « viraux » (zombies, épidémies*) qui sont de nouveau dans l’air du temps. C’est intéressant parce que cela permet d’inscrire Christropher Smith dans une dynamique d’auteur : sa problématique à lui, c’est définitivement de mettre ses personnages dans des situations limites face à un mal qui se cache. Peu importe le temps (passé, présent, futur), le cadre (même si on sent le réalisateur très à l’aise avec la forêt, la nature en général) tant que la mort vous traque dans l’ombre. Ensuite, on ne peut qu’être enthousiaste de la manière avec laquelle le réalisateur adapte le scénario de Dario Poloni. Le parcours d’Osmund est peu ou prou celui d’un conte. Tiraillé entre sa foi et l’amour qu’il porte à une jeune fille, ses rencontres successives, avec des guerriers inquisiteurs puis avec un village entier mystérieusement épargné par la maladie, vont le conduire à des choix moraux qu’il évitait jusque là. La puissance des décors et leur utilisation fantasmagorique (cf. la scène de l’attaque des rôdeurs, celle de la course poursuite entre Osmond et Langiva) entraînent Black Death dans ces ambiances aux airs de légende ancestrale qui n’ont finalement rien à voir (et à envier) à celles de l’heroic fantasy.

Ce quatrième film de Christopher Smith est curieusement divisé, dans la forme et le fond, entre prises de risques audacieuses et partis-pris « à la papa ». Cela fait son charme, c’est indéniable, mais c’est aussi dommage car on sent un potentiel énorme derrière Black Death, le matériau brut pour  construire une véritable œuvre générationnelle, ambitieuse, unique en son genre ; un ex-futur film-culte en somme ! En l’état Black Death est donc simplement une jolie bizarrerie, mais c’est suffisant pour qu’on l’aime plus qu’un peu.

*A ce sujet on ne peut que vous conseiller de (re)voir l’excellent Contagion de Soderbergh et le beau remake du film de Georges Romero, The Crazies, par Breck Eisner.bub

François Corda

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Black Death de Christopher Smith (Royaume-Uni, Allemagne ; 1h42)

Date de sortie : 1er avril 2011

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