A partir de la semaine prochaine, Canal+ diffusera la première saison stimulante d’une série américaine intitulée Homeland. Stimulante dans sa manière d’être une production typique de l’industrie culturelle américaine de notre époque, mais sans s’y réduire tout à fait. En effet, cette série dans son concept ne consiste pas uniquement à reprendre avec d’autres mots et d’autres images des thématiques et des points de vue habituels à l’Amérique d’aujourd’hui. En les croisant, elle propose du nouveau.
Pour le dire avec simplisme, Homeland insère dans le contexte de l’anti-terrorisme de 24 Heures Chrono des problématiques voisines de celles qu’on trouve dans Dr House où l’intuition et la science semblent appartenir à des individus en marge. Sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, Homeland poursuit le travail de conjuration culturelle des Etats-Unis. Car l’histoire s’inscrit clairement dans le paysage américain de l’après 11 septembre 2001, comme en témoigne d’ailleurs le générique d’intro où on retrouve des images d’archives vidéo de l’événement et des voix off qui l’évoquent. Dix ans après la chute des tours jumelles de Manhattan, lors d’une opération sur le sol irakien, l’armée américaine découvre un marine supposé mort et qui dit avoir été le prisonnier d’Al-Qaida pendant 8 ans. Suspecté d’avoir été retourné par l’ennemi terroriste de la nation, le sergent Nicholas Brody va durant les douze épisodes de la saison être une figure double et ambiguë, héros de la nation et terroriste potentiel. Il va ainsi servir un travail scénaristique autour de la prise de conscience par l’Amérique elle-même que l’ennemi terroriste peut venir de l’intérieur, ou mieux : que l’ennemi peut être le produit de l’Amérique.
Mais cette prise de conscience permettant à la culture américaine de conjurer en partie ses démons n’est rendue possible ici que par l’articulation de la thématique anti-terroriste au côté Dr House de Homeland. Car sans l’intuition de l’agent de la CIA Carrie Mathison, autre figure centrale de l’histoire, tout aussi double et ambiguë que celle de Brody, les vérités qui fâchent et qui réconcilient ne se feraient pas jour. Carrie Mathison, antisociale et séductrice, bipolaire à l’intuition géniale qui frise la pathologie, de sa propre initiative et sans l’assentiment de ses supérieurs hiérarchiques, va mener une enquête risquée pour sa carrière et pour son équilibre psychologique. Subjuguée par Brody et le danger qu’il représente, elle va être amenée pour tenter de le démasquer à jouer avec toutes les limites : celles de la loi, de la déontologie, de la santé mentale, de la patience de ses proches. En travaillant sa propre conjuration pour découvrir ce qui la fascine tant chez lui, en traquant son ambiguïté la plus intime à travers celle de Brody, Carrie va permettre au récit plus général de l’Histoire culturelle américaine d’en faire de même à son niveau. L’Amérique se découvre double grâce aux yeux d’une demi-folle, et elle semble accepter de plus en plus de se reconnaître dans la tension de cette dualité.
La combinaison propre à Homeland propose donc cela de nouveau qu’elle ne prétend pas décider du bien et du mal, mais qu’elle entreprend un véritable travail d’introspection psychologique et culturelle qui ne s’arrête pas à la fin de cette première saison. Dans la succession des douze épisodes peu formatés, aux coups de théâtre dans l’ensemble bien trouvés, grâce à une mise en scène cohérente, à des acteurs jeunes et adultes qui assurent, grâce enfin à des personnages principaux toujours sur le fil et en constante évolution, on assiste à une thérapie culturelle augurant des développements passionnants.bub
Jacques Danvin
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Homeland de Howard Gordon et Alex Gansa (Etats-Unis ; format 42 min)
Date de diffusion : 2012
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C’est toujours un plaisir de découvrir les nouvelles séries de Canal qui sont de plus en plus qualitatives.