Piégée
Steven Soderbergh

—–EnterreIl est louable que Steven Soderbergh veuille redonner ses lettres de noblesse à une autre époque du film d’action et d’espionnage. Mais contrairement à Contagion, son nouveau film Piégée n’est pas une œuvre de maître. La réalisation tâtonne trop pour permettre à l’histoire de trouver véritablement son rythme. Au final, qu’on s’attende à voir un film d’action et/ou un film sur le cinéma d’action, dans tous les cas on est déçu. Car il manque à Piégée ce qui anime Contagion jusqu’à la perfection : l’adéquation cohérente entre une idée de cinéma et une forme totale.

Le début de Piégée peut pourtant laisser croire que les choix de Soderbergh vont servir un projet plus global que la simple recherche de l’effet à court terme sur le spectateur. L’arrivée de Mallory Kane dans un restaurant perdu dans le nord enneigé de l’état de New York est rendue par une photo surexposée provoquant un halo qui confère à la situation une atmosphère très étrange. Connaissant le goût du réalisateur pour les parti-pris colorimétriques (Traffic, Contagion), il y a tout lieu de penser a priori qu’il s’agit là d’un indice important. En complément, d’autres indices formels ou techniques peuvent être relevés. Ils accréditent l’idée que Soderbergh cherche à se positionner vis-à-vis du cinéma d’espionnage contemporain.

Ainsi la longue séquence de poursuite à San Diego où le montage n’use d’aucun effet facile pour créer artificiellement de l’énergie par une caméra à l’épaule sans cesse en mouvement, ou du rythme effréné grâce aux raccords en gros plans par exemple. Soderbergh refuse clairement à ce moment-là le style « Greengrass » de la trilogie Jason Bourne et lorgne plutôt vers Hitchcock et L’Homme qui en Savait Trop. Il laisse Mallory Kane marcher longuement dans la rue, se retourner plusieurs fois pour vérifier qu’elle est effectivement suivie. Lorsqu’elle s’échappe ensuite en zigzaguant dans des ruelles, il la cadre assez large, ce qui provoque une impression de gaucherie pour l’œil d’un spectateur de 2012. Il est difficile en effet pour l’actrice d’aller ainsi de mur en mur pour se cacher de ses poursuivants sans avoir l’air perdu et maladroite dans ses gestes, surtout quand elle pose ses mains gantées sur les briques pour tendre la tête et regarder si la voie est libre. Idem de la course poursuite sur les toits au son d’une musique digne d’une série télé des années 80 de type Starsky & Hutch. Sans oublier enfin une des toutes dernières scènes du film où Mallory règle ses comptes avec son ex-petit ami sur la plage de Vera Cruz et qui ressemble à un clin d’œil à Deathproof de Tarantino : Soderbergh fait durer le plaisir de la vengeance féminine en jouant d’un montage clairement erratique dans ses raccords mouvement et ses raccords lumière. Elle frappe du pied le visage de Kenneth en plan moyen face aux rochers sous une lumière douce, elle le frappe de nouveau quasiment à l’identique en plan d’ensemble en complet contre-jour orange face au soleil couchant, elle enchaîne avec un coup plus ou moins logique avec le précédent en plan moyen suivant un troisième angle un peu plongeant et une couleur encore différente… etc.

A ces indices formels et techniques clairement repérables, d’autres encore peuvent être dénichés sans aucun doute, et ce serait un exercice bien fastidieux que de tous les lister. Ceci dit, l’exercice en question permettrait peut-être de savoir in fine s’ils font sens, ces indices une fois assemblés comme autant de pièces d’un même hypothétique puzzle. Mais le doute est vraiment permis, car l’impression de faux-rythme que le film dégage dans son ensemble laisse plutôt penser qu’avec Piégée Steven Soderbergh cherche plus son idée qu’il ne la déploie. Un peu comme dans La Taupe, la nostalgie apparente pour une autre époque du film d’espionnage semble servir une idée supérieure. Mais si Tomas Alfredson délivrait tout de même des indices significatifs pour découvrir progressivement l’enjeu narrativo-cinématographique de son film, Soderbergh multiplie plutôt les fausses pistes sans privilégier une destination particulière. Le halo du début du film ne trouve plus d’écho par la suite. Le rythme lent et la mise en scène de la course poursuite ne concordent pas avec ceux des combats à mains nues entre Mallory et Paul ou Aaron, bien plus énergiques et contemporains dans leurs parti-pris. Sans oublier les choix musicaux déjà évoqués et les clins d’œil à une œuvre rendant hommage à la série B d’horreur… Alors ? C’est quoi l’idée de Soderbergh ? Je cherche toujours, moi aussi.

Jacques Danvin

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Piégée de Steven Soderbergh (Irlande, Etats-Unis ; 1h33)

Date de sortie : 11 juillet 2012

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