—–Walk away Renée commence par une citation d’Albert Einstein. Elle dit en substance que concevoir le temps en séparant passé, présent et futur n’est qu’une idée reçue de notre époque. Le film de Jonathan Caouette prend bonne note de cette critique. En un geste poétique d’une grande radicalité, il monte en un mélange foisonnant les différents temps de la vie de sa mère, Renée Leblanc, bipolaire et schizophrène. Mais plus encore que le rapport au temps que nos sociétés entretiennent, ce geste démonte surtout une autre idée reçue concernant la folie. Le résultat est remarquable.
La radicalité du geste de Jonathan Caouette tient d’abord au fait qu’il s’inscrit dans une forme d’hyper-biographie. Il n’y a pas plus singulier que son environnement familial qu’il documente sans relâche depuis son adolescence. Tarnation, réalisé en 2004 à partir d’archives sonores, photographiques et vidéo trouve un prolongement avec ce nouveau film. Walk away Renée porte son regard cette fois-ci sur la mère de Jonathan et la complexité de la relation qu’il a pu nouer avec elle au fil du temps. Aléatoirement fils, ami et père de Renée, Jonathan la prend en charge suivant les circonstances soit à distance, soit à proximité, sur des périodes courtes ou longues, chez lui à New-York ou dans la maison de famille à Houston.
Son geste est radical ensuite tant il semble vouloir confirmer le propos d’Albert Einstein. La structure chronologique du film est sans cesse sapée dans ses fondations par des allers-retours dans le temps. En cela l’œuvre fonctionne sur le modèle narratif choisi par Marcel Proust dans certains passages d’A la Recherche du temps perdu. Le trajet en train sur la côte normande qu’y fait le Narrateur pour se rendre chez la Princesse de Guermantes trouve son équivalent ici. Dans Walk away Renée, c’est le voyage en camionnette que font Jonathan et Renée en 2010 depuis Houston jusqu’à New-York qui fixe un présent narratif. En favorisant la distraction, la rêverie et l’association d’idées, mais aussi en rendant plus critique la dépendance aux médicaments, ce voyage au présent mobilise le passé par intermittence et sans logique stricte. Les souvenirs et les faits du passé viennent éclairer la situation que vivent actuellement les deux protagonistes. Oui Renée est gravement malade et a besoin d’une assistance. Non Renée n’est pas juste une « folle » qu’il faudrait contrôler à l’aide d’électrochocs. Oui Renée fait autant de bien que de mal à son fils dévoué. Non Renée ne vit pas dans le même monde que la plupart des gens, mais son univers vaut tout autant que celui de son fils, des médecins, des autorités sanitaires, de tout un chacun.
Si chez Proust le futur se propose comme un projet littéraire, dans Walk away Renée il se présente sous les traits de la filiation. D’abord celle des ancêtres illustrée par des images de synthèse issues d’un reportage sur de récentes découvertes astronomiques. A en croire ce reportage, l’univers dans lequel se trouve le système solaire n’est pas le seul dans son genre. Il en existe beaucoup d’autres et sont sans doute très divers. Car il apparaît de plus en plus probable que les univers sont engendrés par d’autres, qu’il peut exister une sorte de cordon ombilical entre eux. Pour autant rien n’implique qu’un univers-fils est la réplique d’un univers-mère. Le futur ensuite se présente sous la forme de la postérité. Il s’agit de la filiation de la progéniture incarnée par le fils de Jonathan, Joshua, âgé de quinze ans en 2010. Lors d’un dialogue époustouflant de maturité, ils questionnent à deux la filiation et l’héritage familial. Jonathan a pris la décision par amour pour ses proches de faire beaucoup de sacrifices. Même si sa mère et son grand-père lui pèsent au quotidien, même si leur présence chez lui est un danger pour son propre équilibre, il prend le risque de vivre avec eux. En résonnance avec le documentaire sur les univers engendrés, l’enjeu pour Jonathan est de briser une fatalité familiale. La sénilité agressive d’Adolph et la bipolarité de Renée n’ont pas vocation à s’emparer de lui, et au-delà de Joshua.
Voilà sans doute ce qu’il y a de remarquable dans ce film. Sans impudeur ni complaisance, le réalisateur (auto) biographe parvient grâce à une œuvre d’une grande sincérité à nous plonger dans son intimité à un tel degré qu’il réussit à transcender finalement le cadre singulier de sa vie. La filiation n’est pas une simple mécanique dont on ne mesure que les effets déterminés. Il y est principalement question d’intelligence, d’amour et de liberté.
Jacques Danvin
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Walk away Renée de Jonathan Caouette (France, Etats-Unis ; 1h30)
Date de sortie : 2 mai 2012
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